Life

Obésité des jeunes: télé et jeux vidéo mis hors de cause?

Quels sont les effets du temps passé devant les écrans sur le poids des enfants?

<a href="https://secure.flickr.com/photos/treehouse1977/5676567731/">Un enfant devant une télévision</a> treehouse1977 via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Un enfant devant une télévision treehouse1977 via Flickr CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

Entre la théorie et la pratique, il y a un monde de différences. L’Académie américaine de pédiatrie assure aux parents que la durée totale que passent leurs enfants devant des appareils à écran ne doit pas dépasser deux heures par jour. Selon la Kaiser Family Foundation, les jeunes regardent la télé en moyenne au moins deux fois plus (quatre heures par jour). Ils passent aussi plus d’une heure de leur journée sur Internet et encore une heure à jouer à des jeux vidéo.

Aux Etats-Unis, ces activités que les anglophones appellent «screen time» (temps passé devant un écran) sont pointées du doigt pour avoir fait tripler les taux d’obésité des jeunes depuis les années 80.

Les jeux vidéo «actifs», pas mieux que d’autres jeux dits «passifs»

Zoner devant la télé ou un écran d’ordi, manette de jeu dans les mains, ne semblerait pas très bon pour la santé. Mais nul n’a pu établir de lien de causalité entre le fait de passer de longues heures sur un canapé et celui d’être en surpoids.

En février, des chercheurs basés au Texas ont mené une étude pour savoir si l’on pouvait aider les enfants à maigrir en remplaçant des jeux vidéo classiques par d’autres jeux plus dynamiques, comme ceux de la console Wii.

Ils ont distribué des Wii à 84 jeunes, dont la moitié devait essayer une série de jeux axés sur des exercices physiques, tels que Wii Sports et EA Active, où les joueurs doivent bouger les jambes et les bras ou sauter. Et ils ont demandé à l’autre moitié de se contenter de jeux ne demandant pas d’effort physique particulier, à l’image de Madden NFL: on peut y jouer en position assise et avec un minimum de mouvements corporels.

Les résultats furent décevants. Au bout de trois mois, «rien n’indiquait que les enfants ayant joué aux jeux vidéo physiques avaient effectivement été plus actifs en général ou à un moment donné», concluent les auteurs de l’étude. 

L’année précédente, une étude similaire réalisée en Nouvelle-Zélande n’avait fait état que de légères améliorations chez les enfants ayant joué à des jeux vidéo «physiques». Ils avaient perdu moins de 500 grammes six mois après s’être adonné à ces jeux vidéo plus énergiques.

Une manette de jeux vidéo Sleeteye via Flickr CC License By

Ces études n’ont rien de simple, car même les jeux vidéo classiques – ceux si souvent accusés de faire grossir les enfants – n’entraînent peut-être pas autant de passivité qu’on aurait tendance à croire. Il y a une dizaine d’années, Arlette Perry, une physiologiste employée par l’Université de Miami, s’était inquiétée pour son fils de 10 ans, Thomas, qui avait trop souvent une manette entre les mains.

Pour mesurer les effets du temps qu’il passait sur ses jeux vidéo, elle a fait passer, dans son laboratoire, une expérience à son fils ainsi qu’à 20 autres enfants pendant qu’ils jouaient à Tekken 3 sur une PlayStation. Elle a constaté que les jeux de combat augmentaient leur rythme cardiaque et leur tension artérielle autant qu’une marche à vitesse normale de 5 km/h.

Les enfants ont brûlé à peu près deux fois plus de calories en jouant àTekken 3 qu’en restant assis sans bouger, ce qui revient à entre 40 et 80 calories supplémentaires éliminées toutes les heures. Autrement dit, ce jeu vidéo «passif» traditionnel permet en réalité aux enfants de pratiquer une forme d’activité physique.

Moins de télé = moins de surpoids?

Si les jeux vidéo ne sont pas synonymes de prise de poids, quid de la télévision?

On sait, depuis longtemps maintenant, que les tentatives de réduire le temps de télé chez les enfants ont un effet limité sur leur masse corporelle. Pour un article scientifique publié en 1999 dans la revue Journal of the American Medical Association, des chercheurs ont dispensé à un groupe d’écoliers californiens âgés de 8 à 10 ans des cours de sensibilisation aux risques qu’ils courraient à trop regarder la télévision. On a demandé à leurs parents d’imposer des limites de temps de visionnage (grâce à un appareil de contrôle du screen time total) et d’éteindre leur téléviseur pendant 10 jours consécutifs, parmi d’autres expériences.

Deux mois de sacrifice, et les participants avaient diminué de moitié leur temps devant la télé. Huit mois plus tard, les chercheurs ont mesuré la taille et le poids des enfants, et ont comparé ces chiffres à ceux d’écoliers n’ayant pas suivi le même programme. Conclusion, cette réduction radicale du temps de télévision n’a fait qu’une mince différence, les sujets de l’expérience n’ayant perdu en moyenne que 0,45 kilo.

Limiter le temps de télé ou de jeux vidéo de ses enfants présente certainement des avantages – dégager du temps pour des loisirs créatifs ou pour les devoirs. Mais la perte de poids ne semble pas vraiment en faire partie. Inversement, si les enfants se mettent à regarder davantage la télévision, rien ne garantit qu’ils prendront du poids: entre 1999 et 2010, la consommation de télé des jeunes a augmenté de plus de deux heures par jour, selon les chiffres de la Kaiser Family Foundation. Pourtant, sur la même période, les taux d’obésité de l’enfant sont restés relativement stables.

Les écrans pèsent peu sur l’obésité

Combinées, les données ci-dessus suggèrent que les efforts d’amélioration de la santé publique passant par la réduction ou la réallocation du temps devant les écrans n’a pas d’impact majeur sur l’obésité chez les enfants.

Il existe une corrélation connue entre l’obésité et les heures passées devant des images vidéo, mais nous sommes incertains du lien de cause à effet. Est-ce le fait de regarder la télé qui fait grossir les gamins ou bien sont-ce les enfants en surpoids qui regardent beaucoup la télé? Les multiples travaux sur ce sujet feraient plutôt pencher la balance en faveur de la dernière possibilité.

Un jeu vidéo de danse Stéfan via Flickr CC License By

En bref, le nombre de calories brûlées par un enfant qui jouerait à Dance Dance Revolution ou qui éteindrait la télé au profit d’une petite marche reste négligeable. Même un adulte n’éliminerait que quelques centaines de calories en une demi-heure de musculation soutenue. Un bénéfice immédiatement annulé s'il mange après un seul paquet de chips ou une boule de glace.

Cette donnée explique peut-être que les cours pour tenter de réduire le temps de télé/d’ordi, comme le fait d’équiper les foyers de jeux vidéo «physiques», donnent si peu de résultats. Naturellement, il n’est pas impossible se débarrasser de sa surcharge pondérale en s’astreignant à des activités physiques régulières, mais cela reste difficile.

Pour combattre l’obésité pédiatrique, il serait plus efficace de traiter le problème en amont: il est pour ainsi dire plus facile de contrôler le nombre de calories qui entrent dans votre corps plutôt que de les chasser!

La faute (principale) à la malbouffe

Finalement, la télévision n’est pas la principale cause d’obésité chez les enfants. Lorsqu'ils grossissent, c’est surtout parce qu’ils mangent trop ou mal.

Analysez donc les résultats d’une autre grande étude clinique dans laquelle des familles d’enfants de 8 à 12 ans atteints d’obésité ont bénéficié des conseils de nutritionnistes, avec ou sans informations supplémentaires sur des exercices physiques.

C’est le fait d’inculquer des habitudes alimentaires aux parents et aux enfants qui a fait toute la différence: les enfants ayant participé à cette étude ont perdu, en moyenne, presque sept kilos en six mois. Le fait d’avoir en plus insisté sur l’importance de pratiquer une activité physique n’a eu que peu d’impact: seulement 500 g à un kilo de perte de poids additionnelle.

Deux ans plus tard, les effets des changements de régime alimentaire étaient encore largement visibles, au moins dans une certaine mesure. Contrairement aux effets des exercices appris et pratiqués, somme toute assez limités.

C’est pourquoi il n’y a guère de différences majeures, du point de vue de la perte de poids, entre les grands régimes alimentaires, tels que Weight Watchers, les régimes Zone diet, Atkins diet et Ornish diet. Leur efficacité est comparable, car ils visent tous à réduire les apports caloriques.

Il est probable que les foyers au sein desquels les enfants passent des heures devant la télé chaque jour soient aussi ceux où il est difficile de trouver des produits alimentaires sains, ou ceux où les parents sont trop peu éduqués pour faire des choix diététiques.

Même si cela peut sembler une solution pratique, débrancher les écrans ne règlera pas les problèmes de surpoids.

Darshak Sanghavi

Traduit par Micha Cziffra

cover
-
/
cover

Liste de lecture