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Le Bahreïn, la ligne rouge que l'Iran est tenté de franchir

Le petit royaume où vient de se dérouler un grand prix de Formule 1 controversé est un enjeu de la lutte pour la suprématie entre les chiites menés par l'Iran et les sunnites conduits par l'Arabie Saoudite.

Manifestation d'opposants à la monarchie du Bahreïn  REUTERS
Manifestation d'opposants à la monarchie du Bahreïn REUTERS

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Tandis que les islamistes prennent sans coup férir le pouvoir en Tunisie, en Égypte et en Libye et que la répression contre les civils syriens s’intensifie, l’Iran poursuit tranquillement son offensive dans les pays musulmans visant à asseoir une véritable hégémonie. 

Infiltration iranienne

L’Iran accéllère sa stratégie consistant à infiltrer les potentats du Moyen-Orient en favorisant le soulèvement des populations chiites. En février 2011, la fièvre révolutionnaire s'était ainsi emparée de Bahreïn, royaume voisin de l'Arabie saoudite. Les manifestations non violentes ont été très durement réprimées par le pouvoir.

L’Iran, de l’autre côté du Golfe, tente de s’inviter dans les évènements et la marche du pays. Le Shah, déjà, avait des vues sur une terre qu’il considérait comme iranienne parce que la population est constituée à 70% de chiites. Mais l’énorme pont autoroutier de plus de vingt kilomètres, qui relie l’île à l’Arabie Saoudite, est là pour prouver que Bahreïn est une ile arabe. Le paradoxe tient dans la volonté clairement exprimée par les bahreïnis lors d'un référendum en 1971, à l’occasion de leur indépendance, de choisir l’allégeance au clan Al-Khalifa, lignée d’émirs arabes et sunnites. Le système a depuis fonctionné avec une majorité chiite, dirigée par une minorité sunnite. Mais il est marqué par les discriminations qui ont fait des chiites une sous-population, interdite aux fonctions dans l’armée et la police. Le régime estimait que la loyauté des chiites restait suspecte et les accusait de prendre leurs ordres auprès de l’autorité spirituelle en Iran.

Les israéliens ont toujours estimé que la capacité de nuisance des iraniens est mal évaluée par les occidentaux et la destabilisation du Bahreïn en est une preuve. L’Iran veut étendre son influence dans un pays à majorité chiite, pour chasser ensuite sur les terres de son concurrent le plus direct et ennemi intime, l’Arabie saoudite, et pour se rapprocher des frontières saoudiennes, par alliés interposés. Les États-Unis, qui refusent toute épreuve de force, ont conseillé aux dirigeants du pays d’entreprendre rapidement des réformes pour faciliter le retour au calme.

L'ennemi de mon ennemi...

Israël, qui voit dans cette ile au large des côtes iraniennes, un centre stratégique pour observer ou surveiller l’Iran, a multiplié les avances au Bahreïn. WikiLeaks avait révélé que le roi de Bahreïn avait exigé que les déclarations officielles cessent de se référer à Israël comme «entité sioniste» ou «ennemi». Des informations des services de renseignements ont fait état d’échanges avec les services sécuritaires israéliens. Lors d’une rencontre, le 15 février 2005, de l’ambassadeur américain William Monroe avec Hamad ibn Isa Al Khalifa, le roi a reconnu avoir des contacts suivis avec le Mossad pour développer sa collaboration dans le domaine sécuritaire. Il a d’ailleurs souhaité œuvrer pour un développement heureux du processus de paix israélo-palestinien. Cependant le roi estimait qu’il était trop tôt d’avoir des relations commerciales avec Israël, à fortiori diplomatiques, mais le dialogue entre les deux pays reste ouvert.

Mais le véritable danger d'une destabilisation du Bahreïn est pour l'Arabie Saoudite qui a d'ailleurs envoyé rapidement des troupes en mars 2011 quand le royaume menacé de basculer dans le camp chiite. Du côté de Téhéran, les menaces se précisent à nouveau. Un haut dignitaire iranien a mis en garde le roi saoudien contre toute tentative  de prendre des mesures préventives à l’encontre des deux millions de chiites saoudiens concentrés dans les régions pétrolifères.

Soulever les chiites

La menace a été proférée par un proche d’Ahmadinejad, le parlementaire Mohammed Dehgan, dans des termes clairs: «Les dirigeants saoudiens devraient savoir que le peuple saoudien est devenu vigilant et qu’il ne permettra qu’un crime soit commis contre les chiites». Il a d’autre part assuré l’Arabie saoudite que les 15% de chiites vivants dans le pays pourraient être les prochaines cibles de la révolution qui déferle sur le monde arabe.

Les révolutions dans les pays arabes semblent revigorer l’Iran. S’il n’est pas l’instigateur des soulèvements arabes, Téhéran cherche à récupérer à son profit le mécontentement des émeutiers contre des régimes jugés corrompus et trop proches des occidentaux.

L'administration américaine qui semble depuis un an dépassé par les évènements et perd un à un ses alliés au Moyen-Orient s’inquiète tout de même des conséquences d’une chute du roi Al Khalifa qui pourrait fragiliser l’Arabie saoudite et la Jordanie. C’est pourquoi Washington n'était pas étranger à l’envoi d’un millier de soldats saoudiens qui ont traversé, en mars 2011, le pont qui sépare leur pays de Bahreïn pour aider le régime à se maintenir au pouvoir. D’autres États du Golfe, inquiets des troubles qui pourrait contaminer leur région,  sont prêts aussi à envoyer des troupes à savoir, le Koweït, le Qatar ou Oman.

Un an plus tard, de nouveaux troubles se développent. C’est la première fois que des dizaines de milliers de manifestants bahreïnis réclament la chute du régime monarchique pro américain dirigé par le roi Al Khalifa. La famille royale n’a pas donné suite aux avertissements de 2011 et n’a rien fait pour entreprendre des réformes sociales ni pour répondre aux demandes des chiites. Or le Bahreïn, c'est aussi un gros producteur de pétrole et de gaz et une des bases de la Cinquième Flotte américaine.

Le régime du Bahreïn a mobilisé des milliers d'hommes des services de sécurité pour s’opposer aux manifestants. La place de la Perle est à présent encerclée par la police pour éviter qu’elle ne devienne une nouvelle place Tahrir. Les manifestants ont défilé à l’appel du religieux chiite, Sheikh Isa Qass, et du groupe chiite al Wefaq qui contrôlent l’opposition. L’Iran a par ailleurs suscité des manifestations de solidarité en Irak où des milliers de chiites se sont rassemblés dans plusieurs villes, dont Bagdad, Najaf, et Basra. Le régime d'Al Khalifa accuse ainsi l'Iran d'orchestrer le mécontentement au sein de la classe ouvrière du Bahreïn, majoritairement chiite. L'Arabie Saoudite comme les États-Unis considèrent le Bahreïn comme une ligne rouge à ne pas franchir par l'Iran. Cette petite ile pourrait devenir le catalyseur d'un conflit militaire avec le régime des mollahs.

Jacques Benillouche

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