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Il serait temps de dire adieu au traitement de texte de Microsoft

Qui n'a jamais eu des problèmes de code en transposant un document Word sur Internet? Pourtant la majorité d'entre nous continue d'utiliser ce traitement de texte, il est temps de se débarrasser de cette mauvaise habitude.

<a href="http://www.flickr.com/photos/doos/3953478168/">Tous les fonctionnalités de Microsoft Word</a> Rob Enslin via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Tous les fonctionnalités de Microsoft Word Rob Enslin via Flickr CC License by

Temps de lecture: 6 minutes

Il y a une vingtaine d'années et plusieurs traitements de texte de ça, j'étais assistant éditorial dans un hebdomadaire auquel certains pigistes envoyaient encore leurs articles tapés à la machine. Et où les papiers arrivaient encore par fax.

À partir de là, si l'impression était assez nette, et si notre gigantesque scanner à plat était d'humeur, les feuilles étaient scannées. Un programme de reconnaissance de caractères déchiffrait le texte, et l'on pouvait alors traquer absurdités et coquilles dans le fichier électronique ainsi obtenu.

Si le scanner était dans un mauvais jour, on ressaisissait tout l'article sur un ordinateur. Les technologies ont évolué vite, et certains sont restés un peu à la traîne. On ne peut pas vraiment le leur reprocher, mais pour ceux d'entre nous qui baignions déjà dans l'ère informatique, ces feuilles de papier étaient synonymes de fastidieuses heures supplémentaires.

Word, le fax du XXIe siècle

Aujourd'hui, le même effroi me saisit quand j'ouvre un message auquel est joint un document Word. Du temps et du travail vont être perdus à faire le ménage à cause d'habitudes archaïques. Le fichier Word est un peu le fax de ce début de XXIe siècle: lourd, inefficace, relique d'idées dépassées sur la technologie.

Il est temps de dire adieu à Word.

J'ai mis des années à arriver à ce constat. Word m'a fait entrer dans l'âge adulte; c'est le programme que j'ai utilisé à l'université et qui m'a permis de ne plus avoir à compter les pages grâce à ses merveilleuses polices interchangeables: Times bien justifié si c'était trop long; Courier aéré à espacement fixe si c'était trop court. Word était alors un destrier serviable et dégourdi.

Mais c'est devenu un patron abusif, spécialiste du superflu. En cause, la manie de Microsoft à vouloir toujours multiplier les fonctionnalités, en les laissant toutes actives. La première fois que le Trombone s'est incrusté sans crier gare entre moi et ce que j'écrivais, j'aurais bien aimé que le programme comporte un petit bouton «Dégage et ne me refais jamais ça.»

L'actuelle version de Word en est peut-être doté, mais allez savoir où il pourrait se nicher parmi tous les menus et les barres des tâches. Tout ce dont je suis capable aujourd'hui, c'est de désactiver la fonction «Correction automatique», de manière à pouvoir écrire ce que je veux, plutôt que ce qu'un informaticien a pensé que le programme penserait que j'essaierai d'écrire.

Word n’est pas adapté au web

Les préférences de style de Word vont de l'irritant —les nombres ordinaux en exposant, la création de puces dès lors que le programme croit déceler une liste— à l'erreur pure et dure. L'inaptitude de Microsoft à expliquer à un ordinateur comment utiliser correctement l'apostrophe, avec sa gestion catastrophique de la ponctuation type guillemets, a déjà fait des ravages dans la vraie vie, quand des joueurs de baseball se sont retrouvés avec des casquettes où la ponctuation laissait à désirer (l'apostrophe est à l'envers).

Certes, une faute de frappe par-ci par-là, ce n'est pas bien grave. Pour preuve, l'invasion de la signature paraphrasique «Envoyé depuis mon iPhone» dans les courriers électroniques. Mais l'énorme problème de ce traitement de texte, c'est ce à quoi il est destiné: à l'instar du fax, Word a été conçu pour des sorties papier.

À l'heure de la révolution PAO (publication assistée par ordinateur), il a permis à des utilisateurs lambdas de réaliser des mises en page professionnelles (ou du moins à peu près pro) avant impression. C'est super si vous faites beaucoup de bulletins paroissiaux ou d'affiches de chiens perdus. Gardez Word. Ou gardez l'œil sur votre chien, peut-être.

Trop de code tue le code

Cependant, publier aujourd'hui, c'est surtout publier sur le Web, de moins en moins depuis son ordinateur de bureau, de plus en plus depuis un portable ou un smartphone. Or Microsoft Word est un outil désastreux pour écrire sur la toile.

Créé pour formater, ce programme engloutit le moindre bout de texte sous une montagne de métadonnées, sous des couches et des couches d'instructions invisibles et inutiles pour définir ce à quoi les mots sont censés ressembler sur le papier. J'ai ainsi créé un fichier Word, où j'ai écrit ce qui, à l'œil nu, donne ceci:

the Word

Ensuite, j'ai copié-collé ces mots sur un site qui m'en a révélé le code caché. En voici un fragment:

<!—[if gte mso 9]><xml>
<w:WordDocument>
<w:View>Normal</w:View>
<w:Zoom>0</w:Zoom>
<w:TrackMoves/>
<w:TrackFormatting/>
<w:PunctuationKerning/>
<w:ValidateAgainstSchemas/>
<w:SaveIfXMLInvalid>false</w:SaveIfXMLInvalid>
<w:IgnoreMixedContent>false</w:IgnoreMixedContent>
<w:AlwaysShowPlaceholderText>false</w:AlwaysShowPlaceholderText>

Puis:

<w:LsdException Locked="false" Priority="22" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Strong"/>
<w:LsdException Locked="false" Priority="20" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Emphasis"/>
<w:LsdException Locked="false" Priority="59" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" Name="Table Grid"/>
<w:LsdException Locked="false" UnhideWhenUsed="false" Name="Placeholder Text"/>

Ainsi que:

<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 5"/>
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
  UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 5"/>
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 5"/>
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
   UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 5"/>

En tout, cela fait 16.224 caractères. Quand je les ai rapatriés sur Word, cela a donné un document de 8 pages.

Word est dépassé

Les programmes de publication en ligne étouffent, avec ce genre de truc, car le diable est dans les détails. Sur certaines plateformes de publication, une fonctionnalité intégrée permet de reprendre un texte Word et de le nettoyer, mais ce n'est pas vraiment au point.

Car outre le code invisible, il y a aussi toutes les fioritures typographiques —les nombres ordinaux en exposant, les guillemets arbitraires, les tirets cadratins automatiques— qui sont autant de casse-tête pour la conversion de format. Il faut donc préférer l'un de ces multiples sites capables d'écrabouiller un texte Word et de le transformer en texte en clair ou en HTML lisible.

Quand un outil qui est la norme exige autant de tours et détours, il est temps de trouver une nouvelle norme. Word entend prouver qu'il sait que le papier ne fait plus marcher le monde —il peut même intégrer de vrais liens hypertextes dans ses documents…!

Sauf qu'on ne peut pas simplement déposer ces liens sur le Net pour qu'ils soient accessibles à tous. Il a beau faire, Word est toujours dépassé par ce que veut dire écrire et publier aujourd'hui, c'est-à-dire transposer du texte aisément entre différentes sortes de plateformes.

Plus d'unité

L'unité de base de ce programme reste le fichier propriétaire unique attaché à un ordinateur. Microsoft a d'ailleurs montré à ses utilisateurs sa notion du travail partagé quand il a changé son format par défaut .doc en .docx sur Office 2007, empêchant les usagers Word des anciennes et de la nouvelle version d'échanger leurs fichiers (on peut contourner le problème, bien sûr. On peut toujours contourner les problèmes).

L'idée que Word se fait de la collaboration est également illustrée par la fonctionnalité «Suivi des modifications», qui donne à la correction la plus anodine des airs de retranscription avec codes couleurs d'une dispute entre l'écrivain le plus narcissique de la Terre et le correcteur le plus pédant et passif-agressif de la planète.

Aucun changement, si infime soit-il, ne peut être fait sans l'autorisation expresse de l'auteur, et aucune concession d'ordre général ne peut être acceptée par le correcteur: «Page 5: le style maison est ‘’onze’’, pas ‘’11’’, j'ai donc changé ‘’11’’ par ‘’onze’’. Vous comprenez?» Oui, pas de problème. «Page 9, vous avez écrit ‘’11’’, que j'ai donc remplacé par ‘’onze’’, vous comprenez?» Oui, c'est le style maison, compris. «Page 15, vous avez mis ‘’11’’ ... »

L’après Word

Certains sont déjà passés à l'après-Word. Un journaliste sportif m'a ainsi confié qu'il écrivait tout sur TextEdit, qui n'exige pas beaucoup de mémoire et s'ouvre et se ferme en un clin d'œil (ma dernière version de Word refuse de créer un nouveau document sans m'avoir au préalable demandé de choisir parmi une demi-douzaine de modèles, dont la plupart ne m'inspirent absolument rien).

Pour l'écriture de mon livre, qui a exigé beaucoup de temps passé seul devant un énorme document —et beaucoup de décomptes de mots, ce que Microsoft sait faire—j'ai utilisé Word. Mais au quotidien, je peux passer des jours, voire des semaines, sans ouvrir le programme.

Cet article, par exemple, a d'abord pris la forme d'un message sur Gmail, sauvegardé automatiquement et facile d'accès depuis la maison, le bureau ou le téléphone. Je suis ensuite passé sur TextEdit, qui offre une fenêtre de travail plus grande et gère mieux les sauts de ligne que Gmail. Pour les corrections au long cours, je crée un document sur Google Docs afin de pouvoir travailler à plusieurs en même temps. Pour suivre les modifications, il suffit de consulter l'historique des corrections. Et pour les petits posts sur mon blog, j'écris directement sur le site.

Si je tiens à avoir des statistiques, j'ouvre un document Word et y copie mon texte. Une fois que j'ai mon nombre de mots, je supprime le document sans l'enregistrer afin d'éviter toute contamination Wordesque.

Je ne connais qu'une personne qui adore Word: mon fils de 4 ans. Il aime bien mettre le nom des lignes de métro dans la bonne couleur, ou écrire «automne» avec chaque lettre dans une teinte de feuille différente, ou sauter de la police Times New Roman à Comic Sans. Il adore aussi écrire sur ma vieille machine Smith-Corona. Les outils qui ont perdu de leur utilité font de remarquables joujoux.

Tom Scocca

Traduit par Chloé Leleu

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