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Grand prix de F1 à Bahrein: roulez, y a rien à voir

La FIA maintient l’organisation de son Grand Prix de F1 le 22 avril, comme prévu au calendrier, en dépit des manifestations qui se succèdent dans le pays.

Manifestant le 16 avril 2012. REUTERS/Hamad I Mohammed
Manifestant le 16 avril 2012. REUTERS/Hamad I Mohammed

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Assez largement oublié dans le mouvement de révoltes qui s’est développé dans le monde arabe depuis plus d’un an, Bahreïn a décidé de frapper un grand coup en maintenant l’organisation de son Grand Prix de F1 le 22 avril, comme prévu au calendrier, en dépit des manifestations qui se succèdent dans le pays.

L’objectif des dirigeants bahreïnis est de montrer que la situation est redevenue normale dans cet archipel de 700.000 habitants. Confortée par ces assurances officielles, la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) a confirmé le 13 avril que la compétition aura bien lieu, «toutes les mesures de sécurité nécessaires» ayant été prises.

Le grand cirque de la F1 et ses millions de dollars doivent donc se déployer à Manama parce que, selon le tout puissant  patron de la F1, Bernie Ecclestone, son organisation «n’intervient pas dans la politique des pays où elle va». Les manifestants «vont sûrement continuer à demander des réformes, mais qu’est-ce que cela a à voir avec la F1?», a-t-il demandé.

Le responsable du circuit de Manama, cheikh Salmane ben Issa el-Khalifa s’est immédiatement réjoui de «cette bonne décision», mais le collectif de «la Révolution du 14 février» qui réclame depuis un an des réformes a programmé trois jours de colère, du 20 au 22 avril, pour empêcher le déroulement du Grand Prix. Et le  principal mouvement d’opposition, al-Wefaq, a annoncé une semaine de manifestations qui ont commencé le 15 avril et doivent s’intensifier.

Le GP, «une bombe à retardement»

Les organisations des droits de l’Homme ont réagi négativement après la décision de la F1. Pour Human Rights Watch, «la famille régnante va tenter de présenter la décision de la FIA comme une déclaration de soutien à sa politique de répression», et Manama va se servir de l’événement pour affirmer que «la crise politique et des droits de l’Homme est terminée».

De son côté, Amnesty International a assuré que «même si les autorités prétendent le contraire, l’état de la violence contre ceux qui s’opposent à la loi de la famille al-Khalifa continue et, en pratique, peu de choses ont changé dans  le pays depuis la répression brutale des protestations contre le gouvernement en février et mars 2011». A son tour, International Crisis Group a estimé, le 16 avril, que le maintien du Grand Prix est «une bombe à retardement».

C’est la première fois depuis le début du Printemps arabe qu’un grand spectacle international, retransmis en direct par quelque 180 télévisions dans le monde, va être organisé dans un pays aux prises avec une révolte populaire qui ne faiblit pas. Le circuit automobile de Sakhir se trouve même au sud de Manama, à proximité des villages chiites où les manifestations anti-gouvernementales se succèdent.


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L’an dernier, le Grand Prix avait été annulé par les autorités alors que l’état d’urgence était instauré, que l’Arabie saoudite envoyait un millier de soldats pour sauver le régime et que les forces de sécurité donnaient l’assaut sur la place de la Perle de Manama pour chasser les manifestants qui y avaient établi un campement. Depuis un an, quelque 45 personnes ont été tuées, les deux dernières en mars par inhalation de gaz lacrymogène selon al-Wefaq.

Bahrein est gouverné par la dynastie sunnite de la famille al-Khakifa depuis 1783, mais la majorité de la population est chiite (60% chiite, 40% sunnites) et réclame une réforme de la monarchie, le départ du Premier ministre Khalifa ben Salmane al-Khalifa en place depuis 40 ans, ainsi que la fin de la discrimination systématique dont elle est l’objet dans l’emploi et les institutions officielles.

Les revendications et les mécontentement sont longtemps restés ignorés, mais portées par le Printemps arabe de 2010-2011, des manifestations chiites ont éclaté il y a un an et ont été réprimées brutalement par les forces de sécurité rapidement épaulées par les renforts venus des Etats sunnites du Golfe, en particulier de l’Arabie saoudite. Depuis un an peu de choses ont changé à Bahreïn hormis quelques petites réformes qui n’ont pas remis en cause les privilèges de la dynastie au pouvoir.

Le débat autour du Grand Prix, que l’opposition chiite entend utiliser pour se faire entendre, a fait remonter les tensions dans le pays conduisant à de violents incidents confessionnels au début du mois, notamment lorsqu’après un attentat qui a blessé sept policiers dans un village chiite, des centaines de civils sunnites se sont attaqués à des habitants de villages chiites.

Les Etats-Unis ont exprimé leur «préoccupation» condamnant à la fois «la violence dirigée contre la police et les institutions gouvernementales», et «l’usage excessif de la force et l’utilisation de gaz lacrymogène  sans discernement contre les manifestants».

Le Grand Prix se déroulera au moment où le gouvernement bahreïni est soumis à de fortes pressions internationales pour deux cas humanitaires. Un militant chiite, Hadi al-Khawaja, condamné à la prison à perpétuité à la suite des manifestations de 2011, est en grève de la faim depuis deux mois.

Tous les conflits de la région en arrière plan

Le détenu, qui possède également la nationalité danoise, est en danger de mort, selon son avocat. Un autre détenu chiite, également condamné à la détention à perpétuité, Hassan Mashaimaa, souffre d’un cancer et n’est pas soigné, selon l’opposition.

La crise que traverse le petit royaume de 700 km2 ancré à quelques encablures de l’Arabie saoudite, provient de déséquilibres socio-politiques internes longtemps ignorés, mais elle a pris une tournure particulière du fait que Bahreïn se dit menacé par les ingérences iraniennes, le grand adversaire historique de la dynastie régnante.

La famille sunnite al-Khalifa a en effet chassé les Perses pour prendre le contrôle de l’archipel en 1783, ce qui explique en partie la suspicion qu’elle nourrit à l’encontre des chiites bahreïnis, dont certains ont une lointaine origine iranienne. Il n’y a pas si longtemps, en 2009, les relations difficiles entre Manama et Téhéran ont connu une nouvelle crise quand un responsable iranien a qualifié Bahreïn de «14e province iranienne».

Voyant la monarchie bahreïnie menacée, les Etats arabes du Golfe, tous sunnites et déjà engagés dans une longue rivalité avec l’Iran, se sont précipités pour envoyer des troupes, toujours sur place, et étouffer le processus de contestation qui risquait de faire tache d’huile dans le Golfe.

Ces Etats (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) ont d’ailleurs mis en place dès 1981, quelques mois après le début de la guerre Irak-Iran, un organisme régional, le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) chargé de stabiliser cette région pétrolière stratégique, politiquement et militairement agitée, en pratiquant une coopération étroite dans les domaines militaire, économique, industriel, et social.

Ce Conseil avait pour premier objectif de faire face à toute menace qui viendrait de l’Iran ou de l’Irak, ce qui demeure plus que jamais d’actualité en raison de la crise latente avec l’Iran et de l’instauration d’un pouvoir chiite en Irak à la faveur de l’intervention américaine.

Des manifestants qui pèsent peu, des voisins qui pèsent lourds

L’Arabie saoudite est particulièrement vigilante à cause de ses deux millions de chiites établis principalement dans sa province orientale de Hassa, dans les villes de Qatif, Khobar, Dammam et Dhahran, où est concentrée la richesse pétrolière. Dans cette région, précisément proche de Bahreïn, les incidents, les attentats et les manifestations suivies d’arrestations sont régulières, les personnes arrêtées étant généralement accusées d’agir «pour le compte de parties étrangères», ce qui vise l’Iran.

La crise de Bahreïn est donc bien loin de se limiter aux frontières de ce petit pays mais se prolonge dans tous les pays de la région, Iran inclus, et implique de multiples acteurs avec en arrière plan les rivalités entre chiites et sunnites.

Autre intervenant majeur à Bahreïn, les Etats-Unis qui ont installé dans l’archipel le quartier général de la Ve flotte américaine dont la zone de compétence s’étend le long des côtes d’une vingtaine de pays, du Golfe à la mer Rouge et à l’océan Indien. L’une des principales activités de cette base est de surveiller les navires iraniens et d’assurer le libre passage dans les voies d’eau stratégiques de la région: le détroit d’Ormuz, le détroit de Bab el-Mandeb et le canal de Suez.    

Compte tenu des implications locales, régionales et internationales, les manifestants bahreinis ont peu de poids face à un pouvoir épaulé par des puissants voisins et déterminé à faire oublier la crise et à montrer que tout est redevenu normal à Bahreïn.

Ainsi, la F1 peu s’installer. Roulez, il n’y a rien à voir.

Xavier Baron

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