Économie

Facebook / Instagram: spéculons sur l'idée d'une bulle

En payant 1 milliard pour Instagram, les dirigeants de Facebook ne commettent-ils pas une erreur? La réponse n’est pas évidente dans une industrie où les surprises —bonnes ou mauvaises— sont légion.

REUTERS/Luke MacGregor
REUTERS/Luke MacGregor

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La nouvelle a surpris et les analystes ont bien du mal à trouver des arguments permettant de condamner ou d’approuver sans réserve l’achat pour 1 milliard de dollars par Facebook de la société Instagram.

Pour les uns, c’est une bonne nouvelle: cette application se développe à grande vitesse; Facebook a eu raison de ne pas laisser se développer en dehors de lui un concurrent potentiel; c’est un signe de sa vigilance et de son aptitude à contrôler toutes les initiatives qui pourraient venir mettre son leadership en question.

D’autres sont plus sceptiques, ils font remarquer qu’Instagram est une petite société qui a seulement deux ans d’existence, emploie 14 salariés et réalise un chiffre d’affaires insignifiant. Payer un milliard pour cette entreprise, c’est franchement excessif.

C’est au moins deux fois plus qu’elle ne vaut puisque Instagram venait de lever des fonds auprès de divers investisseurs sur la base d’une valeur de 500 millions de dollars. Quant à l’argument selon lequel cette opération serait la meilleure des défenses, il peut aussi se retourner contre Facebook.

Ainsi que le constatent les économistes d’Aurel BGC, le réseau social, avec ses 3.200 employés, «peut paraître fragile si une petite startup, avec un programme développé pour les applications mobiles (coûtant quelques milliers de dollars), est susceptible de mettre en danger le géant d’internet».

Prendre parti est difficile. Cela supposerait d’avoir des références précises, des précédents directement comparables. Ce n’est pas le cas. La seule comparaison généralement citée est celle du rachat de YouTube par Google pour un montant de 1,65 milliard de dollars en 2006.

Mais les spécialistes ne sont pas d’accord sur le sujet: pour les uns Google n’a qu’à se féliciter de cette acquisition; selon d’autres, il n’a jamais réellement réussi à la valoriser. Il est vrai que l’utilisation d’une application, si spectaculaire soit-elle exprimée en millions de personnes,  ne donne aucune information sur sa rentabilité.

En fait, cette prise de contrôle d’Instagram ne peut permettre d’aboutir qu’à deux conclusions certaines.

L’introduction en Bourse de l’année

La première est que Facebook est bien décidé à défendre sa place. Car 1 milliard de dollars, ce n’est pas rien, même pour ce réseau qui compte aujourd’hui plus de 845 millions de membres. L’an dernier, son chiffre d’affaires s’est élevé à 3,7 milliards de dollars et son bénéfice net à 1 milliard. Autrement dit, c’est tout le bénéfice réalisé en 2011 qui est consacré à cette acquisition. Et ce n’est pas fini. Facebook doit s’introduire en Bourse le mois prochain.

Et compte en profiter pour augmenter son capital de 5 milliards de dollars, peut-être plus. Tour cet argent est destiné à préparer les prochaines étapes de son développement. Très clairement, Facebook n’a pas envie de finir comme son ancien concurrent Myspace, que News Corporation avait acheté 580 millions de dollars en 2005 et n’a pu revendre que 35 millions l’an dernier.

Selon les estimations, l’introduction de Facebook sur le Nasdaq doit se faire à un prix d’au moins 80 milliards de dollars. Ce qui donne une idée de la fortune potentielle de son fondateur, Mark Zuckerberg, 27 ans, qui détient actuellement 28,4% du capital de l’entreprise.

Et cela illustre bien la rapidité avec laquelle on peut faire fortune dans ce secteur: le Fonds d’investissement Accel Partners, qui a investi 13 millions dans le réseau social il y a sept ans, pourrait ainsi voir sa mise multipliée par 600 au minimum. On comprend que les technologies et Internet continuent d’attirer les investisseurs.

Où l’on reparle de bulle spéculative

Régulièrement, on parle de la formation d’une nouvelle bulle spéculative dans le secteur, qui pourrait être comparable à celle qui avait mené les marchés boursiers à des sommets en 2000, avant une chute brutale jusqu’en 2003. En fait, les choses ne se répètent jamais exactement de la même façon, le contexte a bien changé (il est nettement moins euphorique), mais on constate que les investisseurs sont encore prêts à prendre des paris risqués.

Par exemple, le réseau social LinkedIn, introduit en Bourse le 19 mai 2011, a vu son cours multiplié par plus de deux dès le premier jour, à 94,25$. Onze mois plus tard, le titre n’a guère progressé, autour de 98$, mais il faut dire que ce cours valorise plus de 1.200 fois les bénéfices des douze derniers mois connus (et 152 fois les bénéfices attendus pour 2012), ce qui est déjà le signe d’une belle confiance dans l’avenir (le rapport cours/bénéfice à New York se situe autour de 13 fois les bénéfices attendus en 2012 pour les valeurs qui composent le S&P 500).

Pour Zynga, concepteur de jeux en ligne, l’introduction en Bourse a été plus difficile: dès le premier jour, le 16 décembre 2011, introduite à 10$, la valeur a perdu 5%; maintenant, elle s’échange autour de 11,5 $. La hausse n’est pas spectaculaire, en apparence, mais il faut rappeler que le dernier résultat connu est une perte de 435 millions de dollars au quatrième trimestre 2011 pour un chiffre d’affaires de 311 millions….Précisons que les analystes s’attendent à un bénéfice en 2012.

Oublié le krach de 2000!

Enfin, on peut citer le cas de Groupon, ce spécialiste des bonnes affaires en ligne, introduit sur le Nasdaq à 20$ le 4 novembre dernier, qui est monté très vite jusqu’à 25$, mais ne s’échange plus maintenant qu’à moins de 15$, après avoir dû annoncer une perte au quatrième trimestre 2011 nettement plus importante que celle qui avait été précédemment publiée et reconnaître une défaillance dans ses procédures de contrôle interne.

Ce qui est fâcheux, c’est que la firme avait eu des problèmes de ce genre à l’automne 2011, avec son introduction en Bourse. Et, ce qui est encore plus regrettable, c’est que le Congrès américain a adopté et que Barack Obama a signé le 5 avril dernier une loi dite Jobs Act, qui allège les procédures pour les startups (jusqu’à 1 milliard de chiffre d’affaires annuel) souhaitant lever des capitaux dans le public ou s’introduire en Bourse. Autrement dit, les investisseurs risquent de connaître d’autres déceptions, et encore plus graves, que celles qu’ils peuvent connaître avec Groupon.

La SEC, l’équivalent de l’Autorité des marchés financiers en France, a tiré le signal d’alarme, mais ses avertissements ont été ignorés. Oubliés la bulle des années 90 et le krach de 2000: tout le monde veut de l’Internet, des startups et de belles aventures…

Apple s’envole

Et, il faut bien l’admettre, des belles aventures, la Californie en offre: Apple, à l’été 2011, rivalisait avec ExxonMobil pour la place de première capitalisation boursière américaine et mondiale. L’affaire est maintenant classée: Apple flirte avec la barre des 600 milliards de dollars tandis que le géant pétrolier est englué autour de 388 milliards. La firme à la pomme est bien partie pour battre le record absolu établi par Microsoft: 621 milliards en décembre 1999.

Il reste à savoir si Apple ne suivra pas ensuite le même chemin: Microsoft a aujourd’hui une capitalisation boursière de l’ordre de 254 milliards… Mais, si on raisonne comme aux Etats-Unis, on se dira que ce n’est pas grave, qu’après Apple il y aura Facebook et qu’après Facebook il y aura encore d’autres étoiles montantes.

De bulle en bulle, la vie continue.

Gérard Horny

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