France / Politique

Présidentielle 2012: on a vu tous les clips de campagne

Vous n'avez pas vu les spots des dix candidats diffusés depuis lundi? On vous les résume en quatre temps: décryptage, curiosités, analyse filmique et point cravate.

Montage des génériques de fin des clips de campagne (Slate.fr)
Montage des génériques de fin des clips de campagne (Slate.fr)

Temps de lecture: 8 minutes

La campagne officielle a débuté lundi 9 avril, et avec elle la diffusion des inévitables clips de campagne des candidats, exercice rarement réussi et décrié. Slate.fr les a vus pour vous et vous fait une fiche critique en quatre points: décryptage, curiosités, analyse filmique et point cravate.

François Hollande

Le clip de François Hollande est une reprise du meeting du Bourget. Cette mise en scène a l’avantage de bénéficier de l’énergie des rassemblements: on ne parle évidemment pas de la même façon pendant un meeting ou seul face à une caméra. Les plans très courts, le montage et la musique en rajoutent. Il s’agit clairement de faire oublier l’aspect terne ou mou qu’on prête au candidat socialiste.

Curiosités: On notera un clin d’œil discret à Jacques Chirac avec un plan sur des pommes, ainsi qu’un semi-clash. Si «c’est pour l’égalité» que le Front populaire a fait les congés payés et De Gaulle la Sécu, Mitterrand, lui, a été élu pour l’égalité. Autrement dit, à part se faire élire, il n’a rien fait de concret pour l’égalité. Maladresse ou message caché?

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: un montage survitaminé pour un clip épileptique. On est face à un authentique objet de cinéma dans la lignée des films indépendants américains des années 90, dans le style de Snatch. Mais cela ne suffit pas à pallier un certain vide du scénario. Un film salutaire mais frustrant. Dommage!

Point cravate: bleue.

Nicolas Sarkozy

Le clip officiel de Nicolas Sarkozy est construit sur la figure d’autorité du président. Etrangement, les Français en sont à peu près totalement absents. Le sujet d’ensemble est la France, traitée comme une personne.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: Le président sortant nous offre un clip hommage à Joey Starr puisqu’il s’agit d’un clip egomaniac qui tourne autour de sa dernière histoire d’amour. Ce film retrace en creux l’autopsie d’une passion en train de mourir, une histoire où l’amour s’est transformé en haine, celle de Nicolas et la France.

Le protagoniste tente à tout prix de sauver son couple, un couple qui a déjà traversé de nombreuses épreuves, notamment parce que la France est atteinte de maladies graves. Il est resté à ses côtés et veut la convaincre de le laisser la soigner parce qu’il croit en elle, en son talent, en son génie. Le scénario est bourré de poncifs vus et revus ces dernières années. Un film qui ne décolle jamais vraiment. 

Point cravate: noire.

Jean-Luc Mélenchon

Le Front de gauche a privilégié un clip de campagne s’adressant aux gens. Les chiffres qui sont donnés sont toujours accompagnés d’exemples concrets comme «Nourrir les enfants ou payer la facture d’électricité». Les vrais gens sont opposés aux «puissants», aux «actionnaires», au monde de la finance. Le programme est simple: il s’agit de récupérer nos sous.

Curiosité: la phrase «Comment s’occuper alors des enfants et profiter avec eux d’un peu de bonheur simple?» C’est vrai, il est temps de faire fi du trop plein de bonheur compliqué dans lequel on baigne d’ordinaire.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: le début de ce film joue sur le procédé de flou artistique —c’est-à-dire que les contours de l’image sont flous, seul le centre est net. Cette technique est empreinte d’une grande poésie évidemment, mais elle a surtout une fonction de message. Elle dénonce finement chez le spectateur sa manie de regarder le monde avec des œillères, par le petit bout de la lorgnette, comme une buse aveuglée par la lumière du cirque médiatique.

Le spectateur est donc invité à revivre sa propre expérience de mal-voyant dans l’immersion de ce flou. Cette portée quasi-philosophique est par ailleurs un peu lourdement soulignée par l’acteur principal qui en fait un poil trop dans le rôle du professeur. Alors que la forme nous tirait vers le pamphlet philosophique, on est vite ramené au tutorat d’enseignant. Le futur Ken Loach n’est pas encore né.

Point cravate: rouge.

François Bayrou

François Bayrou s’adresse à ses concitoyens sur un mode plus modeste que les autres candidats. Pas de dramatisation ni de révolte. Un message simple: redonner espoir en créant des emplois grâce au «Consommer français» mais aussi en sortant du surendettement et en améliorant l’école.

Curiosité: le ciel derrière le candidat est d’abord nuageux puis va en s’éclaircissant. CQFD.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: c’est devant un ciel tarkovskien que François Bayrou se présente à nous, avec la simplicité du berger venu offrir un nouveau pacte immaculé. Ce qui marque le plus dans cet opus, ce sont les mille facettes de cet homme-orchestre.

On le découvre tour à tour serrant des mains par-dessus des assiettes de nourriture, faisant un signe de pyramide à un jeune noir, contemplant l’infiniment petit dans un microscope, observant une machine à coudre, puis malicieusement caché derrière une portière de voiture en montage. Un petit film charmant et sans prétention.

Point cravate: couleur indéterminée.

Marine Le Pen

La candidate FN a choisi une seule thématique: celle du pouvoir d’achat. On peut noter plusieurs ressemblances avec le discours de Jean-Luc Mélenchon. Comme lui, elle commence par multiplier les exemples très concrets (parlant même de l’entente frauduleuse sur la nourriture pour chiens et chats, un scandale trop souvent passé sous silence par les médias).

Comme lui, elle présente la situation selon un schéma manichéen où des méchants volent l’argent des honnêtes travailleurs. La phrase «Toujours plus pour les plus gros mais toujours moins dans votre portefeuille» sonne en écho avec le «Dix points de ce qui est produit est passé des poches des travailleurs à celles des actionnaires» de Jean-Luc Mélenchon.

Dernier point commun: après avoir dressé un tableau catastrophique de la vie des Français, le candidat du Front de gauche déclare «Mais ceci n’est pas une fatalité», Marine Le Pen «Cette situation n’est pas une fatalité». Pour les deux, il faut prendre sur les bénéfices des grandes entreprises.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: Marine Le Pen est déconstructionniste. Elle a produit le film le plus minimal possible, rappelant que l’image est toujours un mensonge. Mais le discours est musclé, avec des mots forts comme «hold-up», «machines à sous», «poches», «entente frauduleuse». C’est donc, paradoxalement, un scénario de grand film d’arnaque qu’elle nous propose ici. Au final, l’ensemble ressemble davantage à un pitch qu’elle proposerait à des producteurs qu’à un film vraiment abouti. 

Point cravate: un petit décolleté noir avec un médaillon.

Eva Joly

Comme Nicolas Sarkozy, Eva Joly s’adresse à la France mais elle finit par relier les électeurs à la France. «Madame, monsieur, vous êtes la France.» Il s’agit pour elle d’insister sur son rapport à un pays qui n’est pas son pays natal pour légitimer sa candidature. A la fin, la reprise de «Vive la République et vive la France!» a la même fonction. 

Curiosité: les mots qui s’affichent en vert et blanc pendant le clip, «Anticiper», «Air», «Terre», «Mer», «Nature», «Nucléaire stop», et qui semblent piochés dans le discours de façon un peu aléatoire.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: dans la lignée du travail de documentaire autobiographique d’Agnès Varda, Eva Joly nous propose une lettre à la France qui malheureusement reste très convenue dans la forme et d’un sentimentalisme un peu facile. La réalisation n’est pas sans rappeler certaines émissions du service public comme Dans quelle étagère. Dispensable.

Point cravate: un blouson rouge sûrement en cuir de requin. On notera une inversion des couleurs entre l’habit et les lunettes qui sont désormais vertes. Une inversion qui nous dit clairement que si la veste est socialiste, le regard porté sur le monde, lui, reste écologique. 

Nicolas Dupont-Aignan

Le problème du clip de Nicolas Dupont-Aignan, c’est qu’il ressemble à un mix des clips des autres candidats. Un fond bleu, et à la fin, des images de meetings avec des drapeaux français comme Nicolas Sarkozy. Un ton dramatique comme Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, pour parler des difficultés des Français à «payer leurs factures» (notons tout de même que dans les ennemis des Français, il n’y a pas seulement le monde de la finance mais également les «technocrates de Bruxelles»).

Comme eux, il a choisi de parler du prix de l’énergie: «Pour maîtriser les prix de l’essence, de l’électricité et du gaz je veux remettre sous le contrôle de l’Etat les entreprises concernées.»

Curiosité: la phrase «Je suis justement candidat à la présidence de la République pour rendre à la France sa liberté d’agir. Voilà ma différence.»

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: Quentin Tarentino a quasiment inventé le remix en cinéma. Malheureusement, Nicolas Dupont-Aignan n’est pas Quentin Tarantino. Avec son film, on redécouvre que la frontière est mince entre le remix et le plagiat. Cette recherche du mix parfait entre les œuvres de tous ses concurrents, sans aucun doute motivée par une volonté pathétique de plaire au plus grand nombre, ne fait que vider son film de toute substance. A éviter.

Point cravate: bleue tirant sur le pervenche.

Nathalie Arthaud

Nathalie Arthaud s’adresse évidemment aux travailleurs victimes des «riches parasites». La notion de France est remplacée par celle de «collectivité» selon la logique internationaliste. Mais du coup, il est étonnant d’entendre la candidate de Lutte ouvrière construire son discours sur la devise républicaine «Liberté, égalité, fraternité». Cet angle la rapproche du clip de François Hollande, tout entier consacré à la notion d’égalité.

De plus, on note que depuis la montée du Front de gauche dans les sondages, Lutte ouvrière a mis au point une réplique argumentative simple: ce n’est pas par le vote qu’on obtient des avancées sociales mais par la lutte. Le vote Lutte ouvrière est donc présenté comme un moyen d’affirmer sa volonté de mener une lutte sociale dans les mois à venir.

Curiosité: le manche à balai au fond de la pièce.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: Ce film a clairement été tourné dans le même studio que les films des frères Dardenne. On reconnaît le décor, un lieu de travail avec néons, grosse machine, calendriers et un balai. Pourtant, le ton se veut plus chaleureux, optimiste que celui auquel nous ont habitué les frères belges. Le genre du film social serait-il en train de faire sa mue?

Point cravate: un surprenant haut rose à manches courtes.

Philippe Poutou

Philippe Poutou a semble-t-il abandonné l’idée d’être à l’aise face aux caméras. Du coup, il a décidé de jouer de son handicap, de sa propre maladresse pour bien montrer qu’il est un homme normal, un Monsieur Tout-le-monde, et pas un professionnel. Ainsi, on le voit faire quelque chose qu’aucun autre candidat ne fait: marcher dans la rue.

Dans le même ordre d’idées, il est le seul qui cite nommément Sarkozy et Hollande. «Pour dégager Sarkozy, sans faire confiance à Hollande» —tels quels, sans les prénoms, comme le ferait n’importe qui au détour d’une discussion. D’ailleurs, le terme même de «dégager», plutôt familier, est employé à deux reprises, au début et à la fin, «dégager la droite», «dégager Sarkozy».

Curiosité: les dernières secondes où un logo représentant un mégaphone apparaît dans un silence assourdissant. Symbole d’un pays réduit au silence par le capitalisme?

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: un film tout en paradoxes, nourri de la présence d’individus dans chaque plan, alors même que le protagoniste principal est comme une présence fantômatique qui rôde au milieu de ses contemporains. Une intéressante réflexion sur le rapport aux autres et la difficulté d’affirmer sa propre identité.

Point cravate: blouson et chemise noirs.

Jacques Cheminade

Jacques Cheminade souffrant d’un gros déficit de notoriété, il a trouvé un moyen d’acquérir une parole d’autorité: rappeler à l’aide d’images d’archives qu’il avait prévu la crise financière. La logique argumentative est «J’avais raison en 1995, donc j’ai forcément raison en 2012». Pour le reste du discours, comme nombre d’autres candidats, il dénonce «les prédateurs financiers», les «dettes de jeu» des banques (expression qui rappelle les «machines à sous» de Marine Le Pen). Mais notons qu’il est le seul à prononcer le mot «Europe».

Curiosité: c’est le seul qui a mis l’adresse de son site web sur l’intégralité du spot.

L’avis de l’ancienne stagiaire des Inrocks: si James Cameron a filmé le naufrage du Titanic, Jacques Cheminade a fait mieux. Il l’a prévu.

Point cravate: noire.

Titiou Lecoq 

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