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«Imaginons, ce qu’il est facile d’imaginer puisque cela devient presque une réalité, un monde où l’on volerait dans les rues, où l’on ne pourrait plus laisser sa voiture garée, où l’on se barricaderait derrière des murs d’alarmes, où la nuit on craindrait de se promener, où les pompiers seraient frappés, les policiers écrasés, tués à coups de sabre, où la loi religieuse des uns imposée aux autres, la différence des uns imposée aux autres, la vie commune serait impossible. Pour corriger cette réalité, il faut de la justice et des juges respectés, que le pouvoir ne réduit pas au statut de petits pois…»
Cette description apocalyptique de la France de demain est livrée dans le propos liminaire du programme du Front national en matière de justice. Marine Le Pen fredonne la ritournelle de la peur afin d’inspirer un désir renforcé de justice.
De façon générale, elle prône le retour d’un Etat fort pour lutter contre la délinquance. Même si elle semble vouloir se démarquer du discours peu présentable de son père il y a cinq ans, sa conception d’une «justice plus efficace» reste empreinte d’élans autoritaires, populistes, sécuritaires et parfois xénophobes. Ses projets sont nombreux et le programme extrêmement détaillé prend parfois des allures d’inventaire.
1. Revalorisation du budget de la justice
Marine Le Pen prévoit une revalorisation du budget de la Justice de 25% en cinq ans: «Il est impératif de donner les moyens à la Justice de ses missions. La France doit rattraper son retard vis-à-vis de ses voisins, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni», détaille-t-elle. Ces crédits supplémentaires serviront à augmenter le nombre de magistrats afin d’atteindre «le ratio de 20 magistrats pour 100.000 habitants en 2017, contre 12 pour 100.000 aujourd’hui» et donc de tendre vers plus de célérité de la justice.
Autre
affectation de ce budget: un vaste plan carcéral afin
d’aboutir à la création de 40.000 places de prison
supplémentaires. Une fois de plus, la candidate ne lésine pas sur
les moyens et joue la surenchère par rapport à son rival, Nicolas
Sarkozy, qui milite, quant à lui, pour la création de 20.000
places de prisons supplémentaires. Cette mesure serait de surcroît
fort onéreuse puisqu’elle reviendrait à environ 4,6 milliards
d’euros de coût d’investissement et 1,2 milliard par an de coût
de fonctionnement, selon
les experts de Terra Nova, think tank proche du PS.
2. Redéfinition du statut des magistrats
D’abord, Marine Le Pen entend supprimer l’Ecole nationale de la magistrature. A cet égard, la voix de la fille n’est pas en contradiction avec celle de son père qui proposait déjà lors de l’élection présidentielle de 2007 une mesure similaire. Marine Le Pen envisage de la remplacer par une filière universitaire des carrières judiciaires, c’est-à-dire une formation «commune aux avocats et aux magistrats proposant une spécialisation en fin de cursus».
Si le projet peut laisser sceptique au regard de la diversité de ces métiers, il pose une question simple: ne s’agit-il pas de supprimer purement et simplement l’ENM, considérée depuis longtemps par le FN comme le bastion d’une magistrature «gauchiste» à «l’idéologie bobo»?
Plus généralement, la candidate du Front National entend renforcer l’indépendance des magistrats mais la recette n’est pas la même que chez ses adversaires, qui ont plutôt choisi de s’attaquer au Conseil supérieur de la magistrature. Au FN, on veut privilégier la neutralité en ôtant aux magistrats «le droit d’être syndiqué, la possibilité de s’engager politiquement ou d’être candidat, d’écrire ou de témoigner au sujet d’une quelconque affaire ayant trait à leur fonction».
Une fois encore, Marine Le Pen marche sur les traces de son père qui, en 2007, voulait «bannir la politisation de la magistrature». Une telle initiative se heurterait certainement à la Constitution comme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui proclame la liberté d’expression et la liberté syndicale pour tout citoyen.
Il faut d’ailleurs noter qu’il existe déjà un devoir de réserve pour les magistrats. Bref, celle qui critiquait l’attitude du président Nicolas Sarkozy réduisant les magistrats «à des petits pois» affiche une façon plutôt paradoxale d’effacer les mauvais souvenirs… Elle s’attaque à leurs droits démocratiques!
3. Durcissement des sanctions pénales
Plusieurs mesures visent à durcir le ton face à la délinquance. Marine Le Pen reprend à son compte l’idée d’une «tolérance zéro» en avançant des projets exclusivement axés sur le volet répressif.
D’abord, elle souhaite supprimer les remises automatiques de peine. Ensuite, elle entend renvoyer chez eux les délinquants étrangers condamnés. Cette proposition teintée de xénophobie s’appuierait sur «des accords bilatéraux passés avec les pays étrangers dont les ressortissants sont les plus représentés dans les statistiques françaises de la délinquance (Afrique du Nord, Turquie, Europe de l’Est) afin que l’application de la peine s’effectue dans le pays d’origine».
Autre chantier: redresser le taux d’élucidation des affaires en réformant la garde à vue. Critiquant vivement la «réforme Sarkozy», elle est bien décidée à redresser la barre en la supprimant et en instituant à la place «un système soucieux d’équilibrer droits des victimes et des mis en cause». Le contrôle des gardes à vue serait désormais assuré «par un corps de contrôleurs des droits civiques, confié à des citoyens retraités, ayant servi dans les professions judiciaires, volontaires, habilités, sur demande des avocats des parties, à vérifier les bonnes conditions de la garde à vue».
Marine Le Pen, tout comme ses adversaires UMP et socialistes, investit le terrain de la délinquance des mineurs. Elle promet «un traitement énergique et efficace» en renforçant la responsabilité pénale pour tous les mineurs de plus de 13 ans et souhaite accélérer le traitement des dossiers. Elle prévoit également la suppression des aides sociales aux parents d’enfants récidivistes sous réserve de la preuve de leur carence éducative.
4. Redonner une vraie place à la victime dans le processus judiciaire
Enfin, la candidate du FN, à l’instar de Nicolas Sarkozy, intègre le statut des victimes dans ses réformes. Elle propose «un corps d’agents d’accompagnement afin d’accueillir les victimes et de les accompagner tout au long du procès». Les associations subventionnées seront mises à contribution. Elle souhaite aussi insister sur la réparation des dommages.
Mais le projet ne s’arrête pas là: il vise également à faire de la victime un juge. Reprenant le laïus des magistrats laxistes (déjà entonné par Nicolas Sarkozy), Marine Le Pen considère que la participation des citoyens à la justice serait la garantie de peines plus fermes. Le FN propose donc que l’application des peines soit assurée par un jury de cour d’assises. Ce projet va au-delà des politiques initiées par Nicolas Sarkozy telles que la présence de jurés citoyens en correctionnelle.
Aussi le programme de Marine Le Pen risque-t-il à plusieurs égards de faire de l’ombre à celui de son rival UMP. En effet, la candidate se positionne sur le même double créneau que Nicolas Sarkozy: un durcissement des sanctions pénales accompagné d’une place accrue des victimes.
Toutefois, elle va plus loin: le discours du FN s’inscrit dans une logique exclusivement répressive avec une critique récurrente de la protection des délinquants par les juges. Plus gênant, il s’accompagne d’une vision xénophobe de l’exécution des peines.
La lutte contre la délinquance revêt ici un schéma binaire: «enfermement et expulsion» (et non pas ternaire comme au Front de gauche, avec son «prévention, dissuasion, sanction», ou quaternaire comme au PS et son «prévention, dissuasion, sanction, réparation»). Le temps judiciaire comprend uniquement la commission d’une faute suivi de la punition. Même si Marine Le Pen ne revendique pas comme son père le rétablissement de la peine de mort pour les crimes les plus graves, elle ne s’éloigne finalement pas des propositions phares de 2007...
La philosophie est la même que cinq ans auparavant: elle veut sanctionner «plus vite et plus fort» et son programme puise son ancrage dans la tradition autoritaire, sécuritaire et nationaliste des partis d’extrême-droite. D’ailleurs, sa mise en œuvre ne manquerait pas d’ébranler certains principes constitutionnels et conventionnels qui fondent aujourd’hui notre Etat de droit.
Julie Brafman