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Tiger Woods au Masters, le retour de l'énigme

Cette semaine,Tiger Woods est favori pour remporter le 5e Masters de sa carrière. Sportif ultra-médiatisé, le champion américain reste pourtant un étonnant mystère.

Tiger Woods en 2010. REUTERS/ Damir Sagolj
Tiger Woods en 2010. REUTERS/ Damir Sagolj

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Tout passionné de golf rêve d’un tel scénario: Tiger Woods, 36 ans, et Rory McIlroy, 22 ans, jouant dans la même partie, dimanche 8 avril, et se disputant la victoire au Masters dans la sublime lumière crépusculaire d’Augusta, dans l’état de Géorgie, aux Etats-Unis.

Evidemment, le golf est un sport trop aléatoire pour promettre avec certitude une telle conclusion contrairement au tennis devenu si «prévisible» avec ses Djokovic-Nadal ou Nadal-Federer en guise de bouquet final. Mais avouons qu’une telle hypothèse n’appartient pas, ou plus, au domaine de l’impossible.

Les deux hommes sont en forme. Rory McIlroy vient de remporter le tournoi de Palm Beach Gardens, en Floride, et d’occuper, pour la première fois, la place de n°1 mondial pendant quelques jours. A Bay Hill, toujours en Floride, Tiger Woods a, lui, renoué avec la victoire après 923 jours de privation de trophées.

Dans la configuration d’un tel duel, et sans lui faire injure, Rory McIlroy ne serait «rien» sans la toute puissance de Tiger Woods, capable à lui seul de transcender ce sport et d’attirer vers les écrans de télévision l’amateur moins éclairé, mais aussi fasciné que le passionné par ce personnage tellement universel et énigmatique à la fois. En s’imposant à Bay Hill il y a quelques jours, Woods a permis à la chaîne NBC de voir progresser ses audiences de 129% par rapport à celles de 2011 pour la même épreuve.

Impossible à cerner

En l’espace d’un mois, le champion américain, privé de titre majeur depuis l’US Open en juin 2008, a montré deux visages contradictoires sans que l’on sache s’il s’agissait d’un masque à chaque fois. Au tournoi de Miami, blessé à la jambe, il a abandonné au trou n°12 du dernier tour et s’est dirigé tout droit vers le parking en plantant tout le monde et sans passer par le club-house et encore moins par la salle de presse pour évoquer ses douleurs.

A peine a-t-il desserré les dents pour lâcher une bribe d’explication au moment de prendre le volant de sa voiture et de se diriger vers l’aéroport poursuivi par un hélicoptère de la télévision qui paraissait traquer un fugitif comme dans les faits divers les plus glauques.

A Bay Hill, tout miel après tant d’attente récompensée, il a cette fois affiché des sourires en pagaille pour la galerie et pour les journalistes qu’il maltraite si souvent par des réponses glaciales et une langue de bois taillée dans l’écorce la plus épaisse. Le vrai Tiger Woods? Qui est-il? Que pense-t-il vraiment? Le cerner est un exercice aussi délicat que la lecture des greens d’Augusta…

Au fond, avec Tiger Woods, tout a changé et rien n’a changé à la fois depuis ce mois de novembre 2009 quand il eut un léger accident de voiture après s’être probablement disputé avec celle devenue depuis son ex-épouse. Le carambolage médiatique qui a suivi avec la révélation de toutes ses infidélités et l’humiliant acte de contrition publique auquel Tiger Woods a dû se livrer à son corps défendant ne l’ont pas fait évoluer.

Des biographies ravageuses

Sa vie privée a été mise à nu et renversée, mais le champion est resté droit dans ses chaussures à clous dans sa manière clinique de fonctionner. Après tout, Woods a perdu des contrats, mais en a signé de nouveaux et le golf dépend toujours autant de lui.

Pendant ces années vierges de titre et parsemées de blessures, Tiger Woods a continué d’être le maître du jeu en dépit de ses absences et de sa méforme. Il est resté en permanence au cœur de l’actualité. Il a été quitté par son entraîneur, qui se venge aujourd’hui dans un livre assassin. Il a congédié son caddie historique, Steve Williams, qui le lui a fait payer. Il a quitté IMG, qui représentait ses intérêts. Il a déclaré forfait ici ou là comme bon lui semblait et sans fournir d’explication valable.

Il a continué de courir le cachet comme lorsqu’il a décidé de s’aligner dans une épreuve à Abu Dhabi pour une bourse de trois millions de dollars à la rage du PGA Tour américain qui l’espérait dans une autre épreuve aux Etats-Unis. On l’a dit, il snobe toujours autant les médias et les chasseurs d’autographes peuvent courir longtemps après lui pour qu’il daigne en signer un. En résumé, il a persisté à n’en faire qu’à sa tête malgré les promesses de changement.

L’ouvrage de Hank Haney, son ancien coach de 2005 à 2010, révèle, entre autres, combien Tiger Woods est centré sur lui-même —mais n’est-ce pas la qualité première d’un champion?— et combien sa froideur est un mur de protection entre lui et le commun des mortels.

La seule vraie star du golf

Dans le livre, très critiqué aux Etats-Unis parce qu’il brise la règle de confidentialité tacite entre un joueur et son entraîneur, Haney raconte notamment cette anecdote de la joie, en 2005, d’Elin, l’épouse de Tiger Woods, alors que ce dernier vient de gagner un tournoi après quelques mois de disette. «On va fêter ça comme on le faisait avec Jesper (NDLR : Jesper Parnevik, joueur suédois, dont Elin était la baby-sitter de ses enfants avant de rencontrer Woods)», s’exclama-t-elle. Son enthousiasme aurait été aussitôt «douché» par son mari : «On ne fait pas ça. Je ne suis pas Jesper. Nous sommes supposés gagner

Quelques pages plus loin, Haney livre cette confidence de Woods tandis que celui-ci prépare son retour à la compétition après le scandale qui l’avait éloigné du jeu: «J’ai appris une chose avec certitude. Lorsque je rejouerai au golf, je ne jouerai que pour moi. Je ne jouerai pas pour mon père, pour ma mère, Mark Steinberg (NDLR : son agent) ou Steve Williams, pour Nike, pour ma fondation ou pour les fans. Seulement pour moi-même.»

Le livre est fascinant parce qu’il perce (un peu) cette vie au secret, mais sans réussir à nous révéler non plus qui est vraiment Tiger Woods derrière ce monstre d’égoïsme présenté par Haney. Et il est probable qu’on ne le saura jamais puisque Woods a fait de la parole émolliente et du silence son mode de communication.

Ce silence qu’exige tant le golf et, paradoxalement, qu’il est pratiquement le seul à pouvoir briser tout au long des parcours grâce à cette foule hurle son nom à travers le monde, à commencer par Augusta.

Yannick Cochennec

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