France / Politique

La campagne ne se joue pas sur le web

La télévision apparaît encore comme le média numéro 1 pour une élection. Internet est un outil de mobilisation, plus que de conviction.

Le compte Twitter de Nicolas Sarkozy. REUTERS/Mal Langsdon
Le compte Twitter de Nicolas Sarkozy. REUTERS/Mal Langsdon

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C'est une légende urbaine qui ressort tous les cinq ans: la campagne va se jouer sur le web.

Une légende nourrie par au moins quinze ans de frustration. En 1995, la campagne ne s'était pas jouée sur le Minitel. En 2002, la campagne ne s'était pas non plus jouée sur un gif animé. Et en 2007, manque de chance, Facebook avait émergé en France juste quelques semaines après le second tour. En 2012, cette fois-ci, ce devait être la bonne.

Mais à trois semaines du premier tour, on ne voit toujours rien venir. Aucun des grands mouvements d'opinion qui ont rythmé la campagne (la montée puis l'érosion d'Hollande, la chute puis la montée de Sarkozy, la montée de Mélenchon, la chute de Joly...) ne semble avoir de relation directe avec Internet (même si l'élection peut évidemment réserver des surprises).

Le pouvoir de la télévision, encore et toujours

Au contraire, la télévision, ce «vieux» média, est apparu une nouvelle fois déterminant avec les grands-messes de TF1 (Paroles de candidat) et de France 2 (Des paroles et des actes) et la diffusion des démonstrations de force des candidats, parfaitement calibrées pour les JT (Hollande au Bourget, Sarkozy à Villepinte, Mélenchon à la Bastille). Les dernières inflexions de la campagne sont attendues une nouvelle fois à la télévision: l'égalité stricte du temps de parole depuis le 20 mars pourrait favoriser l'émergence des «petits» candidats

Pour avoir une idée du poids relatif d'Internet, il faut écouter Nicolas Dupont-Aignan dans notre émission [20'12]: «Je n'existerais pas sans Internet», assure le candidat qui s'estime boudé par les médias traditionnels. Dupont-Aignan est crédité d'environ 1% des suffrages dans les sondages. Un chiffre à comparer avec l'effet télévision qu'a connu Olivier Besancenot en 2002 qui était passé de 0,5% dans les sondages fin mars avant l'égalité du temps de parole à 4,25% dans les urnes. Triste constat: à l'heure d'Internet, un candidat qui ne passe pas à la télé n'existe pas.

Du côté des candidats qui existent, les stats d'audience des sites officiels sont très décevants (chiffres Médiamétrie sur le mois de février):

  • 680.000 visiteurs uniques (VU) pour francoishollande.fr (dont 2/3 de + de 50 ans)
  • 337.000 VU pour lafranceforte.fr
  • 220.000 VU pour bayrou.fr
  • 182.000 VU pour marinelepen2012.fr
  • 135.000 VU pour placeaupeuple2012.fr, le site de Mélenchon

Comment Internet aurait-il pu avoir une influence décisive? Je vois 4 possibilités:

1. L'apparition sur Internet d'un contenu de nature à modifier l'agenda de la campagne, capable de faire la une des médias traditionnels. Dans l'histoire de l'Internet français, il n'existe qu'un seul exemple de cette nature pendant une campagne électorale: la vidéo off de Ségolène Royal prônant les 35h pour les profs lors de la primaire PS en 2006. Les syndicats enseignants avaient réagi vivement mais l'équilibre de la campagne n'en avait pas été modifié, Royal l'avait largement emporté.

Cette année, la vidéo où Jean-Luc Mélenchon explique qu'il négociait son score dans les congrès du PS avec François Hollande aurait pu influencer la campagne mais elle a vite été oubliée. La séquence avait été ressortie des profondeurs de YouTube par le site 24hactu, classé à droite.

2. L'organisation d'un débat entre les principaux candidats. Puisque la télévision, soumis à l'égalité stricte du temps de parole, ne semble pas en mesure d'organiser un vrai débat entre les favoris de l'élection, Internet, qui échappe à toute contrainte du CSA, aurait pu organiser l'événement. On l'a oublié, mais en 2007, un tel débat avait failli s'organiser juste avant le premier tour avec Sarkozy, Royal, Bayrou et Le Pen, organisé par des blogueurs et des médias comme Agoravox ou LaTeleLibre.fr.

L'opération avait viré au fiasco mais avait montré l'émergence d'une scène Internet alternative des médias traditionnels. Cinq ans plus tard, les pure-players du web se sont respectabilisés, y ont perdu leur fougue et personne n'a eu l'idée d'un tel débat. 

3. Qu'Internet apparaisse comme un contre-pouvoir médiatique face à une presse qui tire dans l'autre sens. C'est ce qui s'est passé lors du référendum européen de 2005. Le site perso d'Etienne Chouard, un enseignant partisan du «non» est resté comme le symbole d'un combat du web contre la pensée unique des grands médias qui défendaient plutôt le «oui». Sans qu'il soit possible de déterminer si Internet a fixé des opinions qui traversaient le pays, ou a favorisé directement ces opinions. 

En 2012, les principaux candidats de la «France du non», Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, sont loin d'être ignorés par les grands médias. Ils font même des audiences très conséquentes lors de leurs passages télé. Internet ne peut donc pas jouer son rôle de soupape face à la tyrannie des «éditocrates».

4. Une candidature de Dominique Strauss-Kahn. Avec DSK, la campagne numérique aurait sans doute été bien différente. Internet aurait pu être utilisé par des officines pour révéler des détails scabreux sur la vie sexuelle du candidat PS. Une campagne de caniveau bien planquée derrière des proxys. 2012 ne se serait pas gagnée sur Internet, mais DSK aurait pu y perdre l'élection.

Oui, mais voilà, il ne s'est rien passé de tout ça. Alors quel est le rôle d'Internet dans cette campagne?

On ne prêche que des convaincus

A l'heure des réseaux sociaux, Internet apparaît davantage comme un outil de mobilisation que de conviction. Pour suivre un compte politique, il faut le liker ou le follower, une forme d'adhésion. Ce qui fait que sur Twitter, comme dans un meeting, on ne prêche souvent que des convaincus, on mobilise sa base plus qu'on ne convainc.

Pour toucher en dehors des cercles militants, il faut faire de l'affichage, de la démonstration de force. Pour les meetings, on se bat sur le nombre de participants, sur Twitter, on vise les trending topics (les expressions les plus tweetées). Problème: tout le monde s'en fout. Cette newsletter envoyée par Vincent Feltesse, le responsable de la campagne numérique de François Hollande, qui se réjouit que le hashtag #SarkoCaSuffit soit dans les trending topic, résonne dans le vide.

Mobiliser plutôt que convaincre: cette tendance se retrouve dans le lancement de sites spécifiques. Des sites parallèles à ceux des candidats dédiés uniquement à la mobilisation: toushollande.fraveceva.fr, ou l'application Facebook «Ambassadeur» de Nicolas Sarkozy. Cette stratégie, c'est celle du «porte-à-porte» de François Hollande, qui, inspiré par Obama, veut profiter du web pour trouver des nouveaux militants pour aller frapper aux portes. Internet, qui est aussi un média, n'est ici qu'un moyen de communication comme un autre. La campagne ne se joue pas plus sur le web que par téléphone.

Le web, mémoire de la politique

Ne noircissons pas le tableau, la campagne web a quand même réservé quelques belles surprises. Partagé plus de 11.000 fois sur Facebook et tweeté plus de 6.000 fois, le site La vraie timeline apparaît comme un des rares succès viraux de la campagne.

Lancé par des sympathisants socialistes pour contrer la timeline Facebook de Nicolas Sarkozy qui réécrit quelque peu l'histoire, le site utilise une fonction intéressante d'Internet: la mémoire. Ce qui a son intérêt en plein storytelling sarkozyste pour faire oublier les moments délicats de son mandat. Dans la même mouvance de «LOL conscient», on retrouve les sites Sarkolol et 50 jours pour en finir.

Ces sites rappellent un autre succès de 2007, la vidéo amateure Le vrai Sarkozy, leader incontesté des vidéos de campagne avec près de 5 millions de vues. Cette interminable vidéo de 10 minutes proposait un discours alternatif face à l'image médiatique d'un Sarkozy en état de grâce pendant la campagne. Pour quelle influence? Difficile à déterminer.

La vogue du factchecking sur les sites d'information s'incrit dans cette tendance: Internet est un média qui n'oublie pas. Toutes les sources sont en ligne et sont mobilisables très vite pour contrer une intox médiatique. Mais le factchecking est noyé face à l'avalanche de contre-vérités des politiques, dans un combat médiatique asymétrique: les 5 millions de téléspectateurs d'un débat contre les 50.000 clics d'un article de factchecking.

Créativité populaire

Je sens poindre l'ironie des haters: pourquoi expliquer que la campagne ne se joue pas sur Internet alors que je tiens quotidiennement une chronique sur la campagne web au Grand Journal de Canal+?

Ce n'est pas parce que le web n'est pas si influent qu'on ne pouvait l'imaginer qu'il ne s'y passe rien. Internet est le lieu où peut s'exprimer la créativité populaire, la couche culturelle qui à défaut de faire bouger les lignes politiques, permet de créer du lien par le partage de contenus étonnants, dérisoires ou marrants. Quelle est l'image qu'on retiendra de la présidentielle, sinon celle-là?

Vincent Glad

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