France

La bataille des débaptisations

Les «débaptisations» —ou demandes de radiation des listes de baptêmes— augmentent, mais l’Eglise fait de la résistance.

Eglise Saint-Martin-de-Joue à Valanjou en 2007.  REUTERS/Jon Boyle (FRANCE)
Eglise Saint-Martin-de-Joue à Valanjou en 2007. REUTERS/Jon Boyle (FRANCE)

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La cour d’appel de Caen doit bientôt se prononcer dans une affaire de «débaptisation». En octobre 2011, pour la première fois en France, un libre-penseur de la Manche, René Lebouvier, avait obtenu du tribunal de Coutances que son nom soit rayé des registres paroissiaux et diocésains de baptême. Mais l’Eglise a refusé de s’exécuter.

Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Coutances, a même fait appel. Cette affaire est suivie de près par les associations de libre-penseurs qui font campagne pour la «débaptisation» et par l’Eglise catholique qui se trouve sur la défensive. Si la cour d’appel donnait raison au requérant et que le diocèse était mis dans l’obligation d’effacer un nom de ses registres, cela donnerait des idées à d’autres et ferait jurisprudence.

L’Eglise se dit sûre de son fait: le baptême est un acte public. Il se produit dans un lieu public qui est une église, à la demande de parents, et en présence de témoins qui sont un parrain et une marraine. Etre baptisé, ce n’est pas entrer dans un club dont le membre peut entrer et sortir à sa guise, quand bon lui semble.

De même qu’il n’est pas possible à un individu de rayer son nom d’une archive ou de l’état-civil de sa mairie, l’Eglise n’a pas le droit d’effacer la trace historique d’un événement public comme le baptême. Elle a le soutien, en cette affaire de protection de fichiers, de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil).

Le baptême est une réponse à une demande qui a été faite, à une époque donnée, par des parents et attestée dans un registre. L’Eglise peut, à la rigueur, mentionner en marge, et de manière neutre, le désir d’un demandeur de renier la décision de ses parents, mais elle ne peut radier un nom d’une liste. C’est ce qui a été fait à Coutances, comme dans toutes les affaires de ce genre: la mention «a renié son baptême par lettre datée du 31 mai 2001» figure en marge du nom de René Lebouvier, qui est aussi marié religieusement. Un nom que celui-ci voudrait voir effacé.

Il n’existe pas de statistiques précises sur ce phénomène des «débaptisations». On sait seulement qu’il est ancien, régulier, marginal. Il toucherait un millier de personnes chaque année en France, voulant cesser de se faire recenser comme fidèles catholiques (mais le phénomène touche aussi les Eglises protestantes). Cette demande touche essentiellement des athées, des agnostiques et ceux qui veulent changer de religion. Ils écrivent leur intention au curé de la paroisse, qui doit en reférer à son évêque chargé de statuer.

L’Eglise fait de la résistance pour des raisons juridiques, mais aussi théologiques. Pour elle, le baptême est un acte sacré et la «débaptisation» un péché voisin de celui de l’apostasie, c’est-à-dire du renoncement à sa foi. De son point de vue, on ne peut pas annuler un sacrement, l’effacer, le supprimer. Celui-ci crée une marque spirituelle indélébile. C’est une action de Dieu que l’homme ne peut ni modifier, ni contrarier.

On ne peut renier un sacrement: une personne divorcée demeure mariée aux yeux de l’Eglise si elle a été mariée religieusement. Un prêtre marié, et relevé de ses fonctions, demeure lui aussi prêtre. Et s’il venait à l’esprit d’un «débaptisé» de revenir sur sa décision et de rentrer à nouveau dans le giron de l’Eglise, il n’aurait pas à se faire re-baptiser.

La «débaptisation» est un phénomène qui s’étend en Italie (3.000 demandes en 2007, à l’initiative d’un actif mouvement pour la libre-pensée), en Espagne, en Belgique, en Suisse, au Canada. En Allemagne, on enregistre plutôt les «sorties d’Eglises», qui se manifestent par le refus de payer l’impôt destiné à l’Eglise catholique ou à l’Eglise protestante (kirchensteuer). Ces sorties d’Eglise augmentent d’année en année.

En France, une première campagne de «débaptisations» s’était produite en 1996 à l’occasion de la visite à Reims du pape Jean Paul II, venu commémorer le 1.500e anniversaire du baptême du roi Clovis et rappeler la vocation de la France à demeurer la «fille aînée de l’Eglise». En 1980, lors de sa première visite en France, il avait lancé cette appel: «France, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême?».

Une nouvelle vague de «débaptisations» a suivi, en 2009, toute une série de décisions malencontreuses prises au sommet de l’Eglise et controversées dans le milieu catholique lui-même: levée, par Benoît XVI, de l’excommunication d’évêques intégristes, dont l’un s’est révélé comme un négationniste de la shoah; déclaration du pape contre le rôle du préservatif dans la prévention du sida lors d’un voyage en Afrique; excommunication au Brésil de médecins qui avaient mis fin à la grossesse d’une fillette violée par son beau-père et elle aussi excommuniée, ainsi que sa mère. La révélation dans de nombreux pays (Irlande, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Australie, Etats-Unis) de scandales d’abus sexuels commis par des prêtres pédophiles a aussi provoqué la colère et accru les demandes de «débaptisation».

Des formules-types de demande sont mises à disposition par des associations de libre-penseurs ou glanées sur Internet. Dans un diocèse comme celui de Lyon, il arrive chaque semaine au moins une demande de «débaptisation». Dans les diocèses belges, à la suite des affaires de pédophiles de religieux et de prêtres, le nombre des demandes de «débaptisation» a récemment flambé: 2.136 en 2010 pour la seule ville d'Anvers.

Longtemps sous-estimées, ces affaires de demandes de radiation des listes de baptême sont désormais prises au sérieux au sommet de l’Eglise catholique. Le jugement de la cour d’appel de Caen pourrait mettre fin aux espoirs de ceux qui rêvent de voir un jour leur nom rayé d’un registre de baptême ou, au contraire, en cas de confirmation du premier jugement, de provoquer une contagion.

Henri Tincq

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