Économie

Quel avenir pour la voiture électrique?

Les ventes sont basses et les fabricants sont à la peine. Le problème pourrait venir d'une innovation prématurée.

Une place de parking pour voiture électrique à Hong Kong. REUTERS/Siu Chiu
Une place de parking pour voiture électrique à Hong Kong. REUTERS/Siu Chiu

Temps de lecture: 4 minutes

Existe-t-il une véritable demande en SUV électrique à 75.000 dollars capable de rivaliser avec une Porsche? L’entrepreneur sud-africain Elon Musk parie que oui. Et il n’est pas seul: plus d’une dizaine de pays et des milliers d’entreprises de par le monde ont misé gros, avec la conviction que les batteries haute technologie et les véhicules électriques seront les produits stars de demain.

En tout, ce ne sont pas moins d’une vingtaine de modèles qui seront présentés dans les showrooms d’Asie, d’Europe et des États-Unis en 2012 et 2013.

Une certaine frayeur commence toutefois à poindre chez les précurseurs de la voiture électrique. GM et Nissan, pionniers des nouveaux véhicules électriques, n’ont vendu en tout et pour tout que 26.000 modèles «Volt» et «Leaf» l’année dernière.

Le 4 mars, GM a annoncé arrêter la production de la Volt durant cinq semaines en raison de la faiblesse des ventes. La startup Aptera Motors a fermé en décembre dernier, le fabricant de batteries Ener1 a fait faillite en janvier et Bright Automotive (entreprise émanant d’un consortium formé par Google.org, le Rocky Mountain Institute et la fondation Turner Foundation) a annoncé sa fermeture pour le 29 février. Ces signes inquiétants ont poussé certains à douter de leur investissement.

Un marché qui pourrait ne jamais décoller

Il y a trois manières différentes de considérer la crise que connaissent les voitures électriques. Cela pourrait être une innovation prématurée, comme le fax d’Édouard Belin, en 1925. Les histoires de la science, de la médecine et de la technologie sont remplies d’exemples d’inventions légendaires prématurées. À l’instar du fax de Belin, Charles Babbage a inventé un véritable ordinateur en 1834, et Léonard de Vinci avait conçu le parachute dès la fin du XVe siècle.

On peut également penser que le secteur tout entier –des startups qui fabriquent les batteries aux usines qui assemblent les véhicules– se trouve quelque part dans la très redoutée «vallée de la mort», ce vaste désert qui sépare l’invention du succès commercial et où la plupart des entreprises disparaissent, soit par manque d’intérêt du public, soit par simple manque d’argent. «Vallée de la mort» et innovation prématurée peuvent sembler très similaires, mais il s’agit de deux maladies bien distinctes, pour lesquelles les traitements sont donc très différents:

Un produit révolutionnaire qui se trouve dans la vallée de la mort a juste besoin de soutiens financiers pour survivre (ce qui n’est déjà pas une mince affaire s’il faut attendre plus de cinq ans avant de commencer à percevoir un bénéfice). Mais si le véhicule électrique n’est pas prêt pour le marché, le problème est autrement plus sérieux: des dizaines de milliards de dollars investis pourraient être perdus à tout jamais.

Pire encore, le marché des voitures électriques pourraient ne jamais décoller. À Orlando, en Floride, l’ambiance était si morose lors de la grande convention annuelle des batteries, à laquelle j’ai assisté le mois dernier, que certains industriels allaient jusqu’à laisser entendre que tout leur travail n’avait été qu’une perte de temps. Les véhicules électriques s’adressent «à une petite niche et ils ne feront sans doute jamais mieux» m’a affirmé David Raney, ancien cadre chez Honda Motors.

Le blocage des compagnies pétrolières

Il y a de bonnes raisons de penser que les inventeurs de véhicules électriques ne seront pas les prochains Charles Babbage et que, malgré cette mauvaise passe, ils joueront bientôt un rôle majeur dans le monde automobile. Il suffit de regarder qui joue contre eux: les grandes compagnies pétrolières qui, pour des raisons de survie, ont tout intérêt à se montrer sceptiques.

ExxonMobil et BP, entre autres, ont émis des projections sur 25 et 30 ans affirmant que les automobilistes pourront apprécier la consommation réduite marginale de voitures comme la Prius, avec des batteries moins encombrantes, mais qu’ils n’adopteront pas les modèles purement électriques comme la Leaf, ni même les véhicules hybrides rechargeables comme la Volt.

Ces projections des compagnies pétrolières estiment que les fabricants ne parviendront pas à produire les innovations nécessaires à ce que les voitures hybrides rechargeables soient un succès commercial. Au lieu de cela, selon ExxonMobil, 90% des transports dans le monde continueront à utiliser des carburants fossiles, au moins jusqu’en 2040.

On peut certes trouver qu’il est trop tôt, et même beaucoup trop tôt, pour que les véhicules hybrides rechargeables soient un réel succès. Mais qui peut prédire de tels échecs scientifiques et commerciaux, qui se perpétueraient de façon chronique durant trente ans? Si les pro-électriques font preuve de naïveté dans leurs espoirs, Exxon et BP semblent quant à elles aveuglées par leurs intérêts.

En attendant, comment survivre?

Il n’en reste pas moins que l’on ne sait pas encore bien où se situe la voiture électrique dans le cycle de l’innovation. La sortie de la vallée de la mort (qui ne sera envisageable que lorsque la prochaine génération de batteries lithium-ion aura permis de baisser le prix des voitures électriques) ne devrait pas être possible avant trois ou cinq ans, selon les professionnels du secteur.

Alors, les véhicules électriques pourront commencer à véritablement réduire l’écart qui les sépare des véhicules à essence en matière de prix et de performances, ce qui leur permettra d’entamer une longue ascension vers le marché de masse. Mais avant cela, il faut encore survivre.

Aussi, comment une société peut-elle finir comme Thomas Edison et éviter l’échec commercial de son rival, Nikola Tesla, qui ne devint légendaire qu’après sa mort et à qui la société d’Elon Musk a emprunté son nom?

La solution de Musk est de s’adapter au marché tel qu’il est à l’heure actuelle. Il n’existe pas, pour l’instant, de marché de masse pour les voitures électriques. Musk a donc décidé de produire une voiture de sport à 109.000 $ pour une niche, en commençant à réduire progressivement les prix. Les voitures électriques sont en train de suivre le même chemin que les téléphones portables, assure Ricardo Reyes, vice-président de Musk en charge des relations publiques:

«[Les téléphones portables] étaient extrêmement chers au départ. Les premiers utilisateurs étaient des gens aisés. À mesure que la technologie a progressé et que les prix ont baissé, la demande s’est accrue. Et aujourd’hui, tout le monde a un portable dans la poche.»

Le problème est que Musk a autant raison que Raney (l’ancien cadre de Honda): l’heure n’est pas encore venue pour les voitures électriques et elles vont sans doute rester longtemps un produit de niche. Si c’est vraiment le cas, on pourra dire que les pionniers de la voiture électrique sont les prochains Martin Cooper.

Martin Cooper a inventé le téléphone portable. En 1973.

Steve LeVine

Membre de la New America Foundation, Steve LeVine colabore à Foreign Policy et travaille actuellement sur un livre au sujet de la géopolitique des batteries.

Traduit par Yann Champion

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