France

Comment Mohamed Merah est «devenu» informateur des «services»

Un journaliste l'a évoquée en citant des sources anonymes, Bernard Squarcini l'a officiellement démentie. Un ancien patron du renseignement estime que l'on peut «s'interroger» sur les liens entre Merah et les services français.

Capture d'écran de Mohamed Merah / France 2/ Reuters
Capture d'écran de Mohamed Merah / France 2/ Reuters

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Le journaliste Daniele Raineri du quotidien italien Il Foglio, qui cite des «sources du renseignement» anonymes, a suggéré que la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française aurait fait rentrer Mohamed Merah en Israël, et que celui-ci était en fait un informateur des services français. Quelle est la crédibilité de cette hypothèse? Et quels étaient les rapports exacts entre Mohamed Merah et les services de renseignement français?

Pour le moment, deux informations ont été confirmées par les autorités françaises à ce sujet.

D’abord, le suspect des tueries de Toulouse et de Montauban a bien été interrogé par deux fonctionnaires de police, un de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et un autre rattaché à la direction régionale du même service, le 22 novembre 2011. A cette époque, Mohamed Merah est suivi par les services de renseignement français depuis un an, et les autorités veulent en savoir plus sur ses récents voyages au Pakistan et en Afghanistan.

La France et Israël se contredisent sur un point

Selon le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, il explique alors, «force photos à l'appui, qu'il avait fait un voyage touristique». Les deux agents du renseignement voient en Mohamed Merah un individu «bizarre», mais dont le profil est plus celui d’un jeune délinquant «de cité» que d'un djihadiste. Une impression confirmée par le casier judiciaire de l’intéressé (nombreuses condamnations pour vol, violences ou encore défaut de permis).

Autre information validée par les autorités: les services de sécurité israéliens ont déclaré à Reuters que Merah s'était rendu trois jours en 2010 en Cisjordanie occupée à partir de la Jordanie, confirmant une information donnée par Bernard Squarcini, le chef de la DCRI, dans une interview au Monde. Selon les services de renseignement israéliens cités par le quotidien Haaretz, le jeune homme n’a pas éveillé les soupçons des hommes du Shin Bet au poste frontière, notamment parce qu’il ne s’était alors pas encore rendu en Afghanistan et au Pakistan.

Mais la concordance des versions officielles israéliennes et françaises s’arrête là. Bernard Squarcini a déclaré au Monde que la police israélienne avait «découvert un canif dans le sac» de Merah à Jérusalem puis l’avait relâché. Un commissaire de la DCRI cité par Libération évoque également «un contrôle par les services de sécurité à Jérusalem avec un couteau». Contacté par Slate.fr pour avoir confirmation de cette information, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité faire de commentaires. Selon Haaretz, les services de renseignement israéliens n’ont pas retrouvé la trace dans leurs dossiers d’un tel incident.

Un informateur?

Selon Daniele Raineri du quotidien italien Il Foglio, qui cite donc des «sources du renseignement» anonymes, c’est la DGSE qui aurait fait rentrer Mohamed Merah en Israël en tant qu’informateur. Il serait ensuite revenu en Jordanie d’où il se serait envolé pour l’Afghanistan. But de l’opération: «Prouver au réseau djihadiste sa capacité à passer à travers la frontière avec un passeport européen», selon Raineri.

Toujours selon ces sources anonymes du renseignement citées par Daniele Raineri, il y aurait eu un accord entre Mohamed Merah et la DCRI: «La liberté de mouvement en échange d’informations précieuses», ce qui expliquerait ses nombreux déplacements. Bernard Squarcini a confirmé des voyages au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Israël, en Afghanistan et au Pakistan. Eric Denecé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, ne se prononce pas sur cette hypothèse, mais souligne que si Mohamed Merah «était suivi par la DCRI, ses déplacements étaient forcément connus des services de renseignements français».

Quelle est la crédibilité de l'hypothèse de l'informateur? Le travail du journaliste italien Daniele Raineri n’est pas exempt de tout reproche. Les Inrocks soulignent qu’après vérification auprès de la DGSE, le journaliste italien n’a pas cherché à joindre le service de renseignement extérieur français. De plus, dans un premier article, Daniele Raineri s’étonnait que Merah connaisse un agent du renseignement et demande à lui parler lors du siège de son appartement, alors que cela s’explique assez logiquement par le fait qu’il avait été interrogé par cet agent le 22 novembre 2011. Bernard Squarcini a quant à lui fermement démenti l’hypothèse d’un informateur mardi 27 mars, expliquant à l’AFP que Mohamed Merah n’était «ni un indic de la DCRI ni d'autres services français ou étrangers».

«Avoir un correspondant n’est pas innocent»

Mais un témoignage vient donner un peu de poids à la possibilité d’un lien plus étroit entre Merah et les services de renseignement français que ce que ces derniers veulent bien laisser croire. C’est celui d’Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (une des entités qui en fusionnant avec les RG, a formé la DCRI), qui déclare dans un entretien à la Dépêche du Midi paru ce mardi 27 mars:

«Ce qui, personnellement, me paraît poser question, c'est que le garçon avait manifestement des relations avec la DCRI comme on l'a appris à travers les déclarations de Bernard Squarcini lui-même. C'est-à-dire qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Alors appelez ça “correspondant”, appelez ça “officier traitant”… Je ne sais pas jusqu'où allaient ces relations, voire cette “collaboration” avec le service, mais on peut effectivement s'interroger sur ce point. […] Car ce qui interpelle, quand même, c'est qu'il était connu de la DCRI non pas spécialement parce qu'il était islamiste, mais parce qu'il avait un correspondant au Renseignement intérieur. Or avoir un correspondant ce n'est pas tout à fait innocent. Ce n'est pas anodin.»

Grégoire Fleurot

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