France

Les féministes influencent-elles la campagne présidentielle?

Ce n’est pas pendant la soirée symbole, organisée à la veille du 8 mars par «Féministes en mouvement», qu'elles ont réussi à avoir un impact sur les programmes et les candidats pour 2012…

Eva Joly dans une manifestation pour l'égalité des hommes et des femmes, à Paris, le 8 mars 2012. AFP / FRED DUFOUR
Eva Joly dans une manifestation pour l'égalité des hommes et des femmes, à Paris, le 8 mars 2012. AFP / FRED DUFOUR

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Mercredi 15 février dernier, quarante-cinq associations de défense des droits des femmes regroupées sous le nom des «Féministes en mouvement» (FEM) ont adressé une lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle pour réclamer dix mesures pour atteindre l’égalité hommes-femmes.

Parmi ces mesures, la création d’un ministère d’Etat des Droits des femmes, l’égalité salariale avant 2017 ou encore la multiplication par 4 du nombre de places d’hébergement pour les femmes victimes de violence.

Ces demandes rejoindraient les attentes des Français: d’après une enquête Médiaprism-Laboratoire de l’égalité de mars 2011, 7 Français sur 10 déclarent qu’il est important que le sujet de l’égalité femmes-hommes soit à l’ordre du jour de la présidentielle 2012.

Pour mieux interpeller les candidats qui ont tous inscrit ces questions d’égalité à leur agenda politique, les associations féministes ont organisé une soirée, sans précédent, le 7 mars où tous les candidats —sauf Marine Le Pen— étaient invités à écouter leur revendication et défendre leurs propositions concrètes pour l’égalité hommes-femmes.

Mais ce n’est sans doute pas lors de cette soirée symbole, organisée à la veille de la journée de la femme, que les féministes réussissent à influencer les programmes et les candidats pour 2012…

Des féministes chez les politiques

Entre politiques et associations féministes, le mélange des genres existe depuis longtemps. En juillet dernier, quatre jours avant le début des primaires socialistes, Martine Aubry contacte Caroline de Haas. La candidate socialiste souhaite que la porte-parole et cofondatrice d’Osez le féminisme (OLF, né en 2009) soit sa responsable de campagne des droits des femmes pour les primaires.

La jeune femme est l’un des nouveaux visages du combat pour l’égalité hommes-femmes, présente dans les médias et sur les réseaux sociaux. L’une des membres des associations créées après 2007, plus jeunes, plus dynamiques, plus réformistes, que l’on appelle les «nouvelles féministes».

«J’ai d’abord hésité à répondre à Martine Aubry. J’ai eu peur pour l’image d’OLF, qu’on amalgame le collectif et le parti, peur aussi des dangers de la personnalisation qui n’ont pas réussi à toutes mes consœurs», se souvient Caroline de Haas. Elle a consulté plusieurs militantes avant de se décider.

Pourquoi une telle méfiance? «Dans le mouvement féministe français, rappelle Michèle Riot-Sarcey, historienne du féminisme, il a toujours eu une  défiance vis-à-vis des partis politiques. Pour ne pas être étouffées par les hommes de l’appareil et parce que les partis n’adoptaient pas, de toute façon, leurs revendications, les féministes se sont toujours constituées en groupes de pression qui luttaient à l’extérieur des partis. Parce que les révolutions des années 70 ont échoué, les féministes récentes sont plus réformistes et essaient d’autres techniques».

Caroline de Haas confirme ces propos:

«Je pense que, pour faire avancer les droits des femmes, il faut des gens à l’extérieur des partis, comme OLF, mais aussi des gens à l’intérieur.»

Elle raconte avoir eu «quatre grosses discussions avec Martine Aubry sur ces sujets. Nous avions même pré-rédigé une loi sur l’égalité professionnelle pour preuve qu’elle était à l’écoute». Une fois François Hollande désigné comme candidat, Caroline de Haas a été écartée de la campagne du PS…

L’initiative d’intégration de cette petite nouvelle est loin d’être isolée. A Europe Ecologie Les Verts (EELV), Eva Joly a aussi souhaité faire appel à des membres de la société civile. «Un appel aux “experts” courant chez nous», explique le porte-parole Sergio Coronado:

«Ici, ce sont des féministes parmi d’autres. Leur point fort est la sensibilité aux questions de l’imaginaire, de l’éducation et des propos sexistes.»

Alice Loffredo, d’abord adhérante à EELV, puis à OLF un an plus tard, ne voudrait pas être accusée «"d’entrisme" pour faire monter les idées d’OLF dans le parti!»  

Elle affirme pourtant qu’elle a conseillé personnellement Eva Joly sur la réponse à faire aux «Féministes en mouvement». Alors qu’elle est toujours sympathisante d’OLF, une des 45 associations du collectif…

L’autre visage du binôme féministe d’Eva Joly était Alix Béranger, porte-parole de La Barbe (remplacée par Chris Blache pour raisons personnelles). Co-fondatrice du collectif féministe en 2008, entrée en politique un an plus tard, elle ne veut pas être accusée de «féminisme washing», c’est-à-dire l’utilisation de personnalités identifiées pour afficher un féminisme de façade. Mais «c’est d’avoir été engagée ailleurs et de détenir une modeste aura médiatique qui m’a permis d’être écoutée ici... C’est une sorte de pouvoir d’influence», confirme-t-elle.

Fatima Ezzahra Benomar —encore une co-fondatrice d’Osez le féminisme!— a rejoint le Front de gauche en 2010. «Ex encartée au PS, je suis venue ici car le mouvement de Jean-Luc Mélenchon était le plus féministe des partis. Je n’ai rien contre l’entrisme: j’ai défendu les revendications d’OLF dans le parti bec et ongles sortis!», s’enthousiasme-t-elle.

Un phénomène généralisé?

A l’UMP, le parcours de Lydia Guirous, militante à droite depuis 2007, «féministe depuis toujours» et créatrice de «Future au féminin» en 2010 se rapproche de celui de ses consœurs de gauche. Son collectif, sorte de think tank de l’UMP, a rendu un livre blanc «pour un féminisme pragmatique et républicain» en novembre 2011.

«Le but est effectivement de peser sur la campagne présidentielle et de montrer que l’égalité hommes-femmes est un objectif à droite. La gauche n’a pas le monopole du féminisme», affirme la militante UMP.

Ces quelques exemples sont «surtout des parcours individuels, pointe Michèle Riot-Sarcey, voire des envies de faire carrière. Il ne faut pas croire que les féministes rentrent en masse dans les partis!» Effectivement, si quelques pognées de filles par parti se font entendre, la tendance n’est pas généralisée.

D’ailleurs, au Modem, aucune militante du «nouveau féministe» n’est mise en avant. Alors qu’au FN, on affirme —est-ce une surprise— qu’«aucun membre de l’équipe de campagne ne se dit “féministe”».

Les politiques seraient réceptifs

Lors de la soirée du 7 mars à la Cigale, les quatre candidats de gauche à l’élection présidentielle (Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et François Hollande) avaient répondu présent.

L’ampleur du succès de la mobilisation s’explique aisément: l’affaire DSK a révélé l’existence d’un sexisme encore fort en France, le problème des retraites des femmes était à l’agenda médiatique l’an dernier, et les mouvements féministes ont su mobiliser constamment l’agenda médiatique par quelques opérations choc.

Pour la sociologue Laure Béréni, spécialiste de la parité, «cette initiative est sans précédent par son ampleur. En 1995, alors que le mouvement pour la parité en politique battait son plein, il y avait eu des mobilisations associatives et une journée publique interpellant Chirac, Balladur et Jospin. (Peu efficace, ndlr). Mais la nouvelle initiative symbolise la jonction entre un féminisme militant assez contestataire et la stratégie de pression sur les partis politiques».

Parce que le féminisme français est historiquement ancré à gauche, les partis de ce bord sont les plus réceptifs à la veille de la présidentielle. Même si toutes n’étaient pas répertoriées dans le livre-programme «L’humain d’abord», le Front de gauche a repris intégralement les 10 revendications des «Féministes en mouvement».

Même les aspects plus sociétaux comme «l’accès à la procréation médicalement assistée» s’y retrouvent, ou le nombre exact de «100 centres IVG» à rouvrir. Jean-Luc Mélenchon a même glissé vouloir «aller plus loin».

Il a ajouté la création d’une «loi-cadre de lutte contre les violences faites aux femmes» —et précisé tenir cette idée des associations–, l’augmentation des plus bas salaires, l’abolition de la prostitution, etc.

«C’est pas difficile de reprendre toutes ces idées quand on n’est pas un parti de gouvernement. Pas besoin de les chiffrer, on sait qu’on n’aura jamais à les appliquer en tenant compte de restrictions budgétaires!», balance une militante du Front de gauche qui préfère rester anonyme.

Le programme d’Eva Joly est très proche des revendications des FEM. Sept propositions sont reprises en utilisant parfois les mêmes expressions («remboursement de l’IVG à 100%», «l’ouverture de 500.000 places en crèches dans les 5 ans»), la création d’un ministère d’Etat de l’égalité entre les femmes et les hommes est annoncée. «Pas étonnant que les demandes soient similaires, les constats sur les inégalités sont les mêmes. C’est rassurant d’en voir des traductions politiques ressemblantes», réplique Alix Béranger d’EELV.

Hollande hué

Les candidats ne sont pas tous égaux devant ces femmes. Le 7 mars, François Hollande a été hué par quelques agitatrices du fond de la salle lorsqu’il a refusé de chiffrer exactement le nombre de places qu’il ouvrirait en crèche s’il était élu. Le PS, lâché par 52% des femmes au second tour de la présidentielle de 2007, a pourtant tout intérêt à récupérer une partie de son électorat féminin.

«Il ne s’agit pas là d’un calcul électoral mais d’un engagement sincère», se défend Najat Belkacem, porte-parole du candidat. «Le féminisme est un socialisme comme un autre. Nous pensons à l’émancipation de la société, aux personnes défavorisées et prenons en compte ces revendications qui courent dans la société. Je n’ai pas grand doute sur le vote des femmes qui étaient dans la salle de la Cigale ce 7 mars…», avait-elle déclaré, à chaud.

Dans son projet présidentiel officiel composé de 60 propositions, François Hollande, partage trois idées avec les FEM pour lesquelles il propose même des moyens d’actions concrets: l’égalité professionnelle, un gouvernement paritaire, une dénonciation de la précarité qui frappe avant tout les femmes. Il a annoncé plusieurs fois sa volonté de créer un ministère des droits des femmes.

Lors de la soirée, François Hollande a promis de travailler sur l’augmentation des places en crèches, même s’il a refusé de fixer un chiffre à atteindre… et offert un petit cadeau aux féministes dans la salle: la promesse d’augmenter les subventions des associations.

Ces questions d’égalité, souvent considérées —à tort— comme «sociétales», sont-elles une priorité en période de crise? Tous les sympathisants de gauche cités répondent à l’unisson, comme une leçon apprise par cœur: «en période de crise, les femmes sont les plus touchées».

Et ils rappellent pêle-mêle que les femmes gagnent 27% de salaire en moins que les hommes tous temps de travail confondu, qu’elles occupent 80% des emplois précaires, que leur taux de chômage est plus élevé d’après l’Insee, etc. En 2012, le féminisme est donc politique… et très économique.

A droite, les questions d’égalité sont mises à l’agenda

A l’UMP, Nicolas Sarkozy n’a pas répondu à l’interpellation des «Féministes en mouvement». «Le candidat a fait le choix de révéler son programme, partie par partie, aucune partie du programme ou déclaration spécifique sur les femmes n’est prévue à ma connaissance», annonçait-on au QG de campagne.

La militante UMP Lydia Guirous offre un début de réponse: «en période de crise économique, il y a des sujets prioritaires à traiter: l’emploi, la précarité, la crise européenne… A côté, les femmes, c’est secondaire».

Dans son intonation, aucune once de regret:

«Pour des mesures comme l’ouverture de 100 nouveaux centres IVG, le remboursement total de cette procédure, l’Etat n’a plus les moyens de payer.»

Dans l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, menée par Nathalie Kosciusko-Morizet, on insiste sur le bilan positif du quinquennat en matière d’égalité: la nomination de femmes à des postes de ministres importants, les 40% des femmes dans les conseils d’administration des entreprises privées et publiques, la loi du 9 juillet sur les violences faites aux femmes.

Salima Saa, présidente de L’Acsé (Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) et membre de l’équipe de campagne UMP, distille les maigres propositions sur ce sujet: «un effort de communication massif auprès des lycéens sur la pilule, un financement amplifié des actions en faveur des femmes victimes de violence et un gouvernement paritaire. Si le candidat ne propose pas de nouvelles choses, c’est parce qu’il va continuer les changements qu’il a impulsés pendant ce mandat».

A propos des nouvelles féministes, elle ose la moquerie:

«On est à l’écoute des femmes plus que des militantes. Un ministère des droits des femmes, je trouve ça ridicule en 2012, pas moderne!»

Même son de cloche sur les restrictions budgétaires chez François Bayrou. Fadila Mehal, membre du cabinet et fondatrice des Mariannes de la diversité rappelle que le candidat du Modem «est attaché à donner des réponses raisonnables qu’il pourra tenir. Un ministère de plein exercice et 500.000 places en crèches, ça a un coût!»

Le candidat qui se dit défenseur de «l’égalité hommes-femmes» s’est excusé auprès des «Féministes en mouvement» pour avoir décliné leur invitation au profit d’un débat avec des femmes du terroir dans le Loir-et-Cher.

Les quelques mesures qu’il propose dans son «nouveau contrat social» comme le contrat de travail unique à durée indéterminée et temps complet ou l’introduction du mode de scrutin proportionnel viendraient, d’après Fadila Mehal, en aide aux femmes.

Marine Le Pen et les féministes

Une seule personne n’a pas été conviée à la petite sauterie des «Féministes en mouvement»: la candidate du FN. Caroline de Haas s’en explique sans détours: «on a refusé d’inviter un parti qui n’est pas républicain et on est resté bloqué sur la menace du droit à l’avortement».

Mais Marine Le Pen s’est, elle aussi, pliée à l’agenda médiatique. Un peu obligée. D’après un sondage du Laboratoire de l’égalité réalisé en février dernier, Marine Le Pen apparaît comme la troisième personnalité la mieux à même de mettre en œuvre l’égalité femmes-hommes, après François Hollande et à 1% de Nicolas Sarkozy. La candidate bénéficie de son image de quadra divorcée, mère de trois enfants, «proche des Françaises».

Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du parti en charge des affaires sociales rappelle sa «proposition majeure pour améliorer la vie des femmes: la création d’un salaire parental de 80% du SMIC. Dans la santé, on préfèrera mettre les moyens sur le remboursement des médicaments que sur l’avortement, même si on ne parle plus d’abroger la loi Veil!».

Une déclaration qui concorde avec les propos de Marine Le Pen sur Télématin sur France 2 et à son QG le 8 mars. La présidente du FN a déploré que «les avortements de confort semblent se multiplier» et fait état de 2 femmes sur 10 qui se serviraient de l’avortement «comme véritable moyen contraceptif» en 2011 –En réalité, selon les dernières statistiques annuelles des établissements, datant de 2009, 209.268 femmes avaient effectué un avortement dans l’année, soit un taux de 14,5 pour 1000 en diminution par rapport à 2007.

Le même jour, la présidente du parti a plébiscité des objectifs minimum de places en crèches par commune et des amendes pour les récalcitrants.

A la lecture des propositions des «Féministes en mouvement», la vice-présidente, Marie-Christine Arnautu, se prononce pour «l’égalité salariale, la fermeté sur la violence faite aux femmes…».

Le FN serait-il égalitariste? Pas pour Caroline de Haas:

«Quand Marine Le Pen fait des propositions sur les femmes, c’est exclusivement en rapport avec la maternité, l’assignation de genre. Son parti pense que les femmes et les hommes ont un rôle différent à jouer dans la société. Son programme est profondément réactionnaire. Si elle parle d’égalité salariale, c’est pour suivre l’air du temps, pour ne pas perdre bêtement des électeurs.»

Si même le FN s’essaie au discours sur l’égalité ! Pour la sociologue Laure Béréni, cela prouve que «les féministes ont au moins réussi une chose: créer le rapport de force nécessaire pour se faire entendre de tous».

Léa Lejeune

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