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Les drones vont-ils avoir raison de l'humanité?

Les drones quadrotor sont incroyables, très mignons, et finiront probablement par avoir notre peau à tous.

Un drone de la taille d'un très gros insecte. REUTERS/Skip Peterson
Un drone de la taille d'un très gros insecte. REUTERS/Skip Peterson

Temps de lecture: 6 minutes

La première fois que j’ai vu des drones volants chercher à s’emparer du monde, c’était en mai 2010. C’était dans une vidéo postée sur YouTube par Daniel Mellinger, un des inventeurs apparemment un peu trop confiants de ces robots. Le clip, nommé «Aggressive Maneuvers for Autonomous Quadrotor Flight», présente une scène filmée dans un labo de robotique de l’université de Pennsylvanie, bien que «camp d’entraînement pour drones» convienne peut-être mieux au lieu.

Dans la vidéo, un «quadrotor», de la taille d’un ordinateur portable et au physique d’insecte, effectue des cascades de plus en plus délicates. Il commence par s’envoler et fait un tonneau en l’air. Puis deux tonneaux. Puis trois. Dans le commentaire, dont la sécheresse suggère qu’il n’a aucune idée de ce à quoi il est confronté, Mellinger dit:

«Nous avons développé une méthode permettant un vol vers n’importe point dans l’espace, avec n’importe quelle vélocité et n’importe quelle assiette, dans les limites du raisonnable.»

Qu’est-ce que cela signifie? Que le drone peut voler à travers de n’importe quel obstacle ou presque, ou le contourner. On le voit passer en virevoltant par une fenêtre ouverte, avec moins de dix centimètres d’espace d’un côté comme de l’autre. Puis, s’envoler et se percher sur un plan renversé -en position d’attente.

Ballet coordonné et terrifiant

Dans une série de vidéos postées par Mellinger au cours de l’été 2010, on voit le robot apprendre des techniques encore plus terrifiantes. Il fait des pirouettes dans une ellipse. Il se voit doter d’une pince en forme de serres qui lui permet de prendre des objets, puis il apprend à «coopérer» avec d’autres drones pour ramasser des objets ensemble. Il apprend à atterrir sur un plan horizontal et à se rétablir de lui-même lorsque sa tentative d’atterrissage échoue. Ceci, et l’ajout d’une caméra embarquée, lui donne la possibilité de mener des opérations de «surveillance autonome». Il se débrouille pour trouver le moyen de franchir en volant plusieurs obstacles de suite puis, c’est saisissant, de franchir des obstacles volants ­ -on les voit se glisser au travers d'un hula-hoop que Mellinger lance en l’air. Voici environ un an, Mellinger a posté une vidéo montrant une équipe de trois drones assemblant une structure à partir de poutres métalliques. Les machines, volant en un ballet aussi coordonné que terrifiant, ramassent chacune une poutre, détermine la position exacte où la déposer, et avec précaution, la mettent en place.

Observez la scène suffisamment longtemps: on croirait voir des petits oiseaux faire leur nid. Mais si vous avez vraiment passé un certain temps à les regarder, vous êtes probablement désormais occupé à autre chose: vous avez ouvert un nouvel onglet dans votre navigateur et vous cherchez un revendeur d’abris antiaériens et de nourriture lyophilisée.

Ces dernières années, les vidéos comme celles postées depuis UPenn sont devenues des classiques des blogs consacrés aux sciences et techniques. À intervalles réguliers, il en sort une nouvelle qui nous montre des drones volant en essaim, en formation, qui surveillent, qui construisent, et plus généralement, qui nous bluffent avec des capacités toujours plus vastes. Bien de ces objets volants sont construits par des diplômés travaillant dans des labos de robotique, bien souvent en train de se préparer pour l'International Aerial Robotics Competition (ce tournoi se tient cet été dans le Dakota du Nord). La mission assignée aux concurrents de l’année: construire un drone capable d’entrer silencieusement dans un complexe bien gardé -du genre de la villa Ben Laden- et de s’emparer d’une clé USB posée sur le bureau d’un officier.

Parallèlement, une communauté très enthousiaste de bricoleurs s’est constituée autour des drones. DIYDrones -fondé par Chris Anderson, rédacteur en chef de Wired et fabricant accompli de drones- rassemble photos, vidéos et guides pratiques envoyés par des centaines d’amateurs des quatre coins de la planète. Le site suggère que la fabrication de drones est aujourd’hui le passe-temps numéro un pour les papas/fistons un peu geek, l’équivalent moderne des modèles réduits d’avion ou des lancements de fusée dans le jardin.

Triomphe sur YouTube

S’il s’agissait d’un concours de popularité, les robots de l’équipe d’UPenn se seraient depuis longtemps adjugé la première place. Ensemble, les clips de la chaîne YouTube de Mellinger ont été vus 10 millions de fois. Cette semaine, c’est un public encore plus vaste et geek qui les a découvert: ils étaient présentés dans le cadre d’une irresistible conférence de l'association TED (Technology, Entertainment, Design) par le professeur Vijay Kumar, qui dirige le laboratoire d’UPenn. Vers la fin de la conférence, l’équipe présente une expérience qui, je le soupçonne, cherchait à rassurer, mais qui au final, n’en est que plus terrifiante. Les robots jouent tous ensemble le thème de James Bond avec des instruments de musique modifiés.

Qu’est-ce qui rend les drones autonomes aussi irrésistibles qu’affolants? Selon moi, c’est qu’on assiste à l’évolution de ce qui pourrait être le mode de déplacement parfait. Les robots les plus récents du labo d’UPenn -créés par Mellinger et un autre diplômé, Alex Kushleyev- sont appelés «nano quadrotors», car ils ne font que 20 cm de diamètre. Comme l’expliquait Kumar lors de sa conférence au TED, les équations physiques gouvernant l’inertie angulaire favorisent les petits objets -plus petit on crée un oiseau, plus vite il peut changer de direction en vol. Ceci se traduit chez les nano drones par une incroyable agilité.

De plus, ils sont conçus pour collaborer en vol, automatiquement et instantanément. Ce comportement est calqué sur celui des insectes, et notamment des fourmis -il n’y a pas de coordinateur centralisé, tout repose sur la faculté des drones à détecter en vol la distance qui les sépare. Dans une des vidéos postées par Mellinger en janvier -la plus appréciée à ce jour- on peut voir seize nano quadrotors enchaîner les formations, toutes plus incroyables. Comme de la natation synchronisée, avec encore plus d’agilité.

Vie privée menacée?

Au cours des derniers mois, les drones devenant toujours plus faciles à fabriquer et acheter, on s’est ému des menaces sur la vie privée. Les gens s’en servent pour surveiller le trafic routier, espionner les célébrités, prendre des photos aériennes dans le domaine de l’immobilier et -grâce à une nouvelle législation fédérale qui en autorise le vol- on peut penser qu’ils sont chargés de diverses missions de maintien de l’ordre. Dans ce domaine, les deux caractéristiques clé des nano drones -leur extrême agilité et leur capacité de se regrouper instantanément en essaim- pourraient faire monter les enjeux.

Voici quelques semaines, apprenant que Francis Fukuyama, le professeur de sciences politiques de Stanford, avait construit son drone, je l’ai appelé pour discuter de leurs implications dans le domaine de la sécurité nationale. Fukuyama, qui se définit lui-même comme un amateur plutôt versé dans la technique, m’a confié qu’il trouvait les drones incroyablement excitants. Selon lui:

«L’idée selon laquelle l’homme de la rue peut disposer, utiliser et fabriquer un tel degré de technologie est vraiment chouette.»

Puis il a passé en revue les diverses façons par lesquelles les drones pourraient changer la façon dont on mène une guerre. Les drones sans pilote ont permis à l’armée américaine de réduire le nombre des forces engagées au sol. Mais les drones militaires d’aujourd’hui souffrent de nombreuses lacunes -ils ne peuvent opérer qu’à très haute altitude, ne peuvent qu’espionner ou tuer au choix, et bien souvent tuent des civils. On peut imaginer les bien meilleures performances qu’offrirait un essaim de nano drones: ils pourraient remplacer les forces spéciales au sol, et même les agents infiltrés. Dans un article du Financial Times -sous le titre «Why we all need a drone of our own»- pourquoi chacun à besoin d’un drone bien à lui, Fukuyama écrit:

«Le progrès technique ne s’arrête jamais. À l’horizon se profilent des drones de la taille d’un insecte que l’on peut confondre avec une mouche ou une araignée, qui pourra se glisser sous une porte pour enregistrer une conversation, prendre des photos, ou même injecter une toxine mortelle dans une victime qui ne se doute de rien. Les systèmes du genre de ceux que développe le programme militaire Micro Autonomous Systems and Technology (MAST), en partenariat avec diverses entreprises et laboratoires universitaires. Dans un futur plus lointain viendront les nanobots, des robots de la taille d’une particule à même de pénétrer dans les poumons ou la circulation sanguine.»

Rire et pleurer

Il est évident qu’on ne peut compter sur le fait que nous serons les seuls à détenir cette technologie, souligne Fukuyama. Pour l’heure, les Etats-Unis bénéficient d’un accès asymétrique aux drones, mais au fur et à mesure que la technologie est accessible aux amateurs, n’importe quel pays ou horde de combattants non gouvernementale -criminels, cartels de la drogue- sera à même d’utiliser des drones à des fins effrayantes. «Ils présentent un potentiel d’anonymat que les autres technologies n’offrent pas pour l’instant», indique Fukuyama. Ce qui pourrait en faire l’arme idéale des terroristes. «Quelqu’un va bien finir par relier les points».

Les implications de ces drones -pour le bien ou pour le mal- n’ont pas encore été élucidées. C’est pourquoi il m’est difficile de ne pas être envahi par l’émerveillement et l’inquiétude quand je vois ces machines apprendre à faire des choses toujours plus incroyables. Il ne fait aucun doute que les drones sont notre futur. Nous devrions commencer à discuter de la façon de gérer le problème. Heureusement, ils ne sont pas encore parfaits. Consolez-vous en regardant ce bêtisier des drones d’UPenn. Riez, avant de pleurer.

Farhad Manjoo

Traduit par David Korn

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