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Le gouvernement a décidé, le 16 mars 2012, d'instaurer un nouveau moratoire sur la culture du maïs OGM MON810 commercialisé par Monsanto. Le débat sur les plantes génétiquement modifiées, pourtant éminemment important aussi bien pour l’avenir de l’agriculture que pour l’image de la science, ne parvient pas à sortir des ornières idéologiques et des calculs politiques. «Vous baissez d’un ton sur le nucléaire et nous interdisons la culture des OGM», serait le deal passé entre le gouvernement de Nicolas Sarkozy et les mouvements écologistes.
Les derniers événements semblent le confirmer. Belle tractation qui évacue un vrai débat sur l’avenir du nucléaire et plombe celui sur les plantes OGM. Une parfaite illustration de l’immobilisme qui saisit la France dès lors qu’un sujet scientifique se retrouve piégé dans le double effet pervers du principe de précaution.
1. La recherche paralysée
Alors que ce principe, lorsqu’il est bien compris et bien appliqué, ce qui arrive très rarement, devrait pousser la France à multiplier les recherches sur les OGM, nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation exactement inverse.
A force d’arrachages, la recherche française en biotechnologies végétales se retrouve confinée dans les travaux fondamentaux. Alors que nous occupons une place de choix en matière de production agricole (environ 20% de la production européenne, quatrième exportateur mondial), nous avons réussi à fortement réduire nos chances de rester dans la course et d’innover dans un domaine, l’alimentation humaine, qui fait partie des grands défis du XXIe siècle.
Faute de brevets sur les OGM, le principal semencier français, Limagrain, est contraint d’acheter à prix d’or les licences de Monsanto pour vendre ses produits à l’exportation…
2. Le diagnostic impossible
L’abstention s’étant substituée à la prévention, les essais en plein champs d’OGM sont devenus impraticables en France. Le dernier exemple, celui de Colmar en 2010, concernait l’étude par l’Inra de la résistance de la vigne à la maladie du court-noué, un virus transmis par des nématodes qui piquent les racines des ceps.
Quel rapport avec les semences de Monsanto? Aucun. Quel risque de dissémination de la résistance au court-noué aux plantes avoisinantes? Impossible de le savoir puisque la vigne a été arrachée le 15 août 2010. Existait-il un risque particulier d’altération d’autres espèces végétales ou animales? On ne le saura pas. Ce que l’on sait, c’est que des centaines de milliers d’euros, le coût de cette expérience, sont partis à la poubelle.
Comment en est-on arrivé là? Pour le comprendre, il suffit d’examiner les arguments des anti-OGM. Au sujet de l’arrachage de Colmar, ils écrivent:
«Nous affirmons que cet essai délibérément réalisé en milieu non confiné était en réalité un test sociologique visant à faire accepter les OGM par les Français, un vrai simulacre de démocratie avec la constitution d’un comité local de suivi et la caution des autorités gouvernementales obsédées par la compétitivité en matière de biotechnologies.»
Ainsi, au-delà de la contestation scientifique de ces essais, c’est bien d’un procès politique, avec sa dose de procès d’intention, dont il s’agit. Ce constat est confirmé par une autre critique des OGM provenant de scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle:
«Sur les biotechnologies végétales, on met des millions d’euros, de vastes laboratoires et des centaines de chercheurs. La recherche agroécologique en appui de l’agriculture biologique, elle, rationnée à quelques milliers d’euros et de quelques post-doctorants, reste sous-développée.»
On comprend ainsi que le débat ne porte pas uniquement sur les dangers éventuels des OGM mais bien sur un choix idéologique: OGM contre agriculture biologique. Un affrontement qui remonte à l’origine de la fronde puisque les OGM sont soupçonnés de polluer les espèces naturelles cultivées par l’agriculture bio et de réduire ainsi la biodiversité naturelle. Là encore, le débat est essentiellement politique: faut-il favoriser les recherches agroécologiques ou biotechnologiques? C’est-à-dire: le bio ou les OGM?
On aimerait que cette question passionnante soit posée et débattue car elle le mérite largement. L’est-elle? Fait-elle partie des clivages politiques entre les candidats à l’élection présidentielle? Pas le moins du monde. Au contraire, la situation ne saurait être plus confuse, puisque c’est le gouvernement de Nicolas Sarkozy qui a demandé, le 20 février 2012, à la Commission européenne de suspendre d'urgence la culture du maïs OGM MON810 sur le territoire de l'Union européenne. Ce même gouvernement a décidé, le 16 mars 2012, d'instaurer un nouveau moratoire sur la culture de ce maïs. Cette décision intervient alors qu'en novembre 2011 le Conseil d'Etat avait suspendu une interdiction datant de 2008 de cultiver et de commercialiser ce maïs transgénique en France, estimant qu'elle n'était pas suffisamment fondée. Le communiqué du ministère est limpide:
«Le ministre de l'Agriculture a décidé ce jour de prendre une mesure conservatoire visant à interdire temporairement la culture du maïs MON810 sur le territoire national afin de protéger l'environnement.»
Cette opposition aux OGM recueille un certain consensus. La candidate d’Europe Ecologie Les Verts, Eva Joly, a appelé, le 5 janvier 2012, à un désistement au second tour en faveur du candidat de gauche, c'est-à-dire, selon toutes probabilités, François Hollande. Et ce dernier s’est engagé, le 28 janvier 2012, à «promouvoir la production biologique, réduire l’usage des pesticides, interdire l’utilisation des OGM en plein champ, mettre en place un étiquetage “sans OGM”».
Si les deux principaux candidats affichent leur opposition aux OGM, on voit mal comment ils pourraient débattre du sujet.
Pourtant, on ne peut s’empêcher d’imaginer un autre scénario que celui de ce blocage par incapacité à organiser un dialogue véritable. Se ranger dans le camp, devenu consensuel en France, du refus tout net des OGM pose plusieurs questions de fond:
1. Pourquoi la technologie OGM apparaît-elle comme mauvaise en soi lorsqu’on l’applique aux plantes alors qu’elle est parfaitement acceptée quand elle sert à modifier des bactéries afin qu’elles produisent de l’insuline?
2. Faire obstacle à la recherche dans un quelconque domaine n’ouvre-t-il pas la voie à la mise au ban de la recherche dans d’autres domaines, pour d’autres raisons?
3. Le rejet des OGM en raison de leur utilisation actuelle peu convaincante n’est-il pas le meilleur moyen de se priver de découvertes futures capables de réels apports à l’humanité?
4. La victoire sur les organismes génétiquement modifiés en France ne masque-t-elle pas la défaite de la contestation de l’agriculture industrielle?
5. Quelles seront les conséquences économiques à moyen et long terme de la mise en sommeil contrainte de la recherche française sur les biotechnologies?
Autant d’interrogations qui ne peuvent se résoudre au sein d’une confrontation limitée à la lutte entre les minorités d’activistes pro ou anti OGM. Il faut reconnaître aux écologistes le mérite d’avoir soulevé de véritables questions. Faute d’avoir été entendus et d’avoir reçu une réponse, leur discours s’est transformé en opérations d’arrachage.
Dans l’autre camp, les pro-OGM ne peuvent produire que des promesses d’OGM capables de nourrir la planète. Pour l’instant, ils nourrissent essentiellement les actionnaires de Monsanto, l’une des firmes les plus détestables de la planète, comme l’a amplement démontré le documentaire de Marie-Monique Robin, Le monde selon Monsanto, diffusé sur Arte le 5 janvier 2010 et disponible en DVD.
Lorsque l’on interroge l’Inra sur les raisons d’une telle incapacité de la recherche à concevoir des OGM «utiles» pour la population, l’organisme répond que les manipulations génétiques permettant, par exemple, d’obtenir des semences résistant à la sécheresse ou à l’eau saumâtre se révèlent très complexes car elles portent sur plusieurs gènes.
Et quand les anti-OGM font valoir que les effets sur l’homme des aliments OGM n’ont pas été sérieusement évalués sur le long terme, on leur répond que les Américains en consomment depuis plus de 15 ans sans problème. Ce qui peine à convaincre au moment où l’espérance de vie diminue outre-Atlantique.
Pour sortir de l’impasse, sans doute faudrait-il appliquer… le principe de précaution. Le vrai. Pas celui qui transforme peu à peu la France en un pays frileux et passéiste. Celui qui stimule la recherche pour répondre aux questions des citoyens. Pour avancer.
Michel Alberganti
Article mis à jour le 16 mars 2012 avec la décision du gouvernement d'instaurer un nouveau moratoire sur la culture du maïs MON810.
» A (ré)écouter, l’émission Science Publique que j'anime sur France Culture qui a traité ce sujet le 24 février 2012: La France peut-elle se passer de la recherche sur les OGM?