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Que nous dit le bleu de la présidentielle 2012?

Des affiches électorales aux meetings, le bleu est omniprésent dans la campagne présidentielle. Décryptage de l’utilisation d’une couleur politique.

La main de François Hollande lors de ses voeux le 7 janvier 2012 à Tulle. Regis Duvignau / Reuters
La main de François Hollande lors de ses voeux le 7 janvier 2012 à Tulle. Regis Duvignau / Reuters

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Le bleu semble être la couleur tendance dans la campagne pour l’élection présidentielle 2012. Présent dans bon nombre des affiches électorales des candidats, il est particulièrement utilisé pour habiller le fond lors des meetings.

Du plus clair au plus foncé, les candidats –et leurs équipes de communication– n’ont pas seulement adopté le bleu pour des raisons esthétiques. Car cette couleur et son utilisation ont une histoire. Ce consensus autour du bleu mérite de s’interroger sur ce choix, alors qu’on sait que rien, dans une campagne de cette ampleur, n’est laissé au hasard.

Le bleu dans la campagne: une nouveauté?

Tout d’abord, on aurait tort de penser que la présence du bleu dans cette campagne est une nouveauté. Il suffit d’observer les affiches des candidats aux différentes présidentielles sous la Ve République pour le constater (consultables ici année par année).

En 1974 déjà, François Mitterrand et Jacques Chaban-Delmas choissent cette couleur pour habiller leur affiche officielle. Auparavant, le bleu n’était apparu que pour évoquer le drapeau français, comme en 1965 pour Charles de Gaulle ou en 1969 pour Georges Pompidou, alors que la majorité des affiches étaient encore en noir et blanc.

François Mitterrand, 1981, premier tour

En 1981, seuls Jacques Chirac et François Mitterrand utilisent le bleu, alors que la couleur dominant cette campagne est plutôt… le jaune!

Si Jacques Chirac fait appel à Helmutt Newton pour sa photographie officielle, la moitié de l’affiche est occupée par le fond bleu portant son slogan. Chez François Mitterrand, «la force tranquille» s’inscrit aussi sur un fond bleu, mais plus timide.

Il sera beaucoup plus intense en 1988 pour sa réélection, alors que Jacques Chirac opta pour le vert. Ce sont surtout Raymond Barre et Jean-Marie Le Pen qui firent du bleu la couleur dominante de leurs affiches.

Jacques Chirac, 1988, premier tour
François Mitterrand, 1988, deuxième tour

En 1995, le bleu se fait plus discret pour Lionel Jospin comme pour Jacques Chirac (mais ils l’utiliseront au second tour). Il continue d’habiller l’affiche de Jean-Marie Le Pen, qui ressemble beaucoup à celle de Philippe de Villiers.

C’est surtout en 2002 que le bleu marque la campagne d’affichage. Il est dominant chez au moins la moitié des seize candidats, mais c’est pour mieux s’estomper en 2007, lorsque les affiches de la campagne présidentielle lui laissent peu de place.

C’est même plutôt le rouge qui domine, particulièrement grâce à Ségolène Royal, Marie-George Buffet ou Olivier Besancenot. Le bleu n’apparaît que timidement chez Nicolas Sarkozy et François Bayrou. On se souvient que c’est plutôt l’orange qui a caractérisé la campagne de ce dernier.

Nicolas Sarkozy, 2012, premier tour

En 2012, le bleu revient donc en force. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on regarde les décors des meetings des candidats. Ceux de François Bayrou, Nicolas Dupont-Aignan, François Hollande, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin ont tous ce fond bleu pour point commun, alors que d’autres, comme Eva Joly ou Jean-Luc Mélenchon, ont adopté des couleurs traditionnellement associées à leur famille politique.

Une couleur aux valeurs positives

Comment expliquer le succès du bleu dans cette campagne? Il faut d’abord évoquer une raison pratique, esthétique, car le bleu est une couleur «qui passe bien». Pour l’artiste peintre Elisabeth Brémond [1], «le bleu est la couleur du fond par excellence: tout se détache sur un fond bleu». Le bleu a donc une fonction de mise en valeur, ce qui explique aussi son utilisation sur les plateaux télévisés.

La couleur bleue contient aussi une forte charge symbolique. Elle évoque la mer, le calme, les vacances. Elle a aussi une longue présence historique, que l’on doit particulièrement à l’Eglise et à l’art depuis le Moyen-Age: couleur mariale par excellence, c’est aussi celle que l’on retrouvait le plus souvent sur les blasons par exemple.

Porteuse de valeurs positives, on remarque d’ailleurs que c’est la couleur choisie par plusieurs organismes internationaux symbolisant la paix et l’union, comme l’ONU, l’Unesco ou l’UE.          

Le bleu, une couleur politique

Mais le bleu est également une «couleur politique», comme l’a montré l’historien Michel Pastoureau [2]. Si le phénomène est commun à toute l’Europe, c’est en France qu’il est né à la fin du XVIIIe siècle. «Le bleu, écrit d’ailleurs l’historien, est devenu au fil des siècles la couleur de la France».

Aujourd’hui, l’identification du bleu à la nation française est particulièrement repérable dans le nom que l’on donne aux équipes sportives nationales, lorsqu’on encourage «les Bleus».

On pense aussi, bien sûr, au bleu du drapeau tricolore. C’était déjà la couleur du roi; la Révolution en fera la couleur de la Nation. Pendant un temps, le bleu a habillé les soldats républicains (s’opposant au blanc des royalistes) jusqu’à ce que le rouge devienne la couleur révolutionnaire.

Après la Première Guerre mondiale, le bleu a été associé, en France, aux partis politiques de droite. Cette association remonte à 1919 lorsque la chambre des députés fut surnommée la «Chambre bleu horizon» en raison de la couleur des uniformes des nombreux «poilus» élus dans la majorité conservatrice. Depuis, à chaque victoire de la droite, on parle ainsi de «vague bleue».

Ce n’est pas la seule couleur associée à une famille politique, puisque le rouge et le rose le sont à la gauche ou le vert aux écologistes. Le blanc, quant à lui, est une couleur associée aux monarchistes et qui, en conséquence, est délaissée par les candidats.

Le bleu national

Mais désormais, la droite n’a plus l’apanage du bleu. Si, en 2002 et 2007, Lionel Jospin et Ségolène Royal avaient plutôt choisi des tons évoquant le rouge pour habiller leur campagne, il est maintenant minoritaire chez François Hollande.

François Hollande, 2012, premier tour

Pour Delphine Batho, l’une de ses porte-parole contactée par téléphone, «le rouge n’est pas absent, puisque c’est la couleur des lettres du slogan de la campagne». Mais le bleu ne doit plus être laissé à la droite, puisqu’il symbolise la France. Delphine Batho voit d’ailleurs, dans son utilisation, une évocation du drapeau français. Elle ironise en précisant que lorsqu’elle pense au drapeau, elle n’oublie pas pour autant le rouge!

François Bayrou, 2012, premier tour

Même chose chez François Bayrou, qui a relégué l’orange, couleur symbolique de sa campagne il y a cinq ans, au second plan. Dans l’entourage du candidat, on explique que l’utilisation du bleu a pour objectif de marquer une différence avec 2007 pour ne pas créer une impression de déjà-vu.

Reste que la majorité des candidats a adopté le bleu pour habiller leur campagne, indépendamment de leur famille politique. Le fait que ce soit la couleur préférée des Français –hommes et femmes– n’y est sûrement pas pour rien. En France comme ailleurs en Occident, le bleu devance le vert, le blanc et… le rouge.

Un François Hollande tout bleu - campagne des Jeunes avec Hollande

La seule différence tient peut-être des tons de bleu utilisés. Plus clair chez François Bayrou, il est particulièrement foncé chez les autres candidats. Ce bleu royal (sans mauvais jeu de mot…) rappelle celui utilisé par les institutions de l’Administration française dans leurs logotypes.

Une façon d’évoquer aussi le bleu du drapeau tricolore, ce qui est autorisé, alors que la loi interdit formellement la combinaison des trois couleurs du drapeau sur un document de propagande électorale: l’affiche utilisée actuellement par Marine Le Pen devrait donc, logiquement, être invalidée par la Commission nationale de contrôle de la campagne présidentielle.

Marine Le Pen, 2012, premier tour?

Fonction esthétique, valeurs positives, évocation nationale: voilà les trois raisons qui expliquent le succès du bleu dans la campagne présidentielle en cours.

Bruno Tur

[1] L’intelligence de la couleur, Albin Michel, 2002. Retourner à l'article.

[2] Le bleu, histoire d’une couleur, Seuil, 2000. Retourner à l'article.

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