France / Politique

Le vote PS a du mal à passer le périph

De récentes études soulignent la nouvelle fracture spatiale dans la France urbaine: les métropoles votent à gauche tandis que le «sur-vote» Le Pen culmine dans le pavillonnaire éloigné.

Quelque part en banlieue parisienne, le 14 juillet 2011. REUTERS/Charles Platiau
Quelque part en banlieue parisienne, le 14 juillet 2011. REUTERS/Charles Platiau

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Les Français invisibles se réinvitent dans le débat pré-électoral. Le Monde a publié le 28 février une étude de l’Ifop qui conclut à une surreprésentation des intentions de vote Le Pen dans le grand péri-urbain [PDF], zones situées au-delà d’une trentaine de kilomètres des agglomérations de plus de 200.000 habitants.

Les courbes sont assez impressionnantes: François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen sont différemment appréciés en fonction de ce «gradien d’urbanité», c’est-à-dire selon l’éloignement des grandes villes. A mesure qu’on s’éloigne des agglomérations de plus de 200.000 habitants, le candidat PS descend. Sarkozy et Le Pen montent, avec pour la candidate FN un pic atteint à une distance de 30 km-40 km des villes, où elle passe en tête.

Nicolas Sarkozy profite de la même tendance géographique, mais en décalé. C’est à 20 km-30 km que le Président candidat entame une remontée qui culmine à 40 km-50 km, degré d’éloignement où il passe devant Le Pen et est au même niveau que son adversaire PS. Au-delà, les courbes repartent en sens inverse et dans le rural éloigné, on retrouve un rapport de force très favorable au PS, et où le niveau de Marine le Pen est supérieur à celui de Sarkozy. 

La France périphérique et le mythe de la classe moyenne

Les spécificités du grand périurbain qu’éclaire l’étude Ifop ne sont pas réellement un scoop. En particulier, les analyses publiées par le géographe Christophe Guilluy insistent depuis plusieurs années sur la recomposition sociospatiale de la France. Son analyse part d’un constat: la question sociale dépasse le cadre de la crise des quartiers sensibles, surmédiatisés, surexposés aussi aux risques sociaux… mais qui ne regroupent que 7% de la population française. 

Dans son essai Fractures françaises (les citations qui suivent sont extraites de cet ouvrage), le géographe distingue les métropoles, zones en prise avec la mondialisation des échanges, des personnes, du marché de l’emploi qualifié, de l’offre culturelle de pointe, de la communication, et les zones périphériques.

Alors que les métropoles se sont désindustrialisées et tertiarisées, attirant les emplois les plus qualifiés des services publics et privés, une autre France périphérique faite de petites villes industrielles, de lotissements pavillonnaires péri-urbains et de zones rurales a recomposé le paysage éloigné des grandes agglomérations. «Une France des plans sociaux», pour le géographe qui écrit:

«Loin des villes mondialisées, ce sont les habitants des lieux péri-urbains et ruraux, dont les emplois sont surreprésentés dans la sphère productive, qui subissent le plus les délocalisations.»

Face à l’augmentation du coût du logement en ville, cette population a dû s’éloigner progressivement des centres économiques du pays. Avec aussi en tête l’idée de fuir un type d’espace qu’elle assimile à un repoussoir absolu, les quartiers sensibles:

«L’étalement urbain et l’accession à la maison individuelle symbolisaient hier l’ascension de la classe moyenne et illustraient une moyennisation de la société française sur laquelle reposait la cohésion nationale. Aujourd’hui, la poursuite de ce développement urbain révèle au contraire une société divisée où le séparatisme aiguillonne le projet de vie des ménages, y compris modestes.»

Pour Guilluy, cet éloignement géographique s’est doublé d’une disparition médiatique des classes populaires résidant dans ces zones périphériques. Le géographe attribue cet «oubli» à la persistance d’un mythe, celui de l’accession à la propriété en zone pavillonnaire qui équivaudrait à une appartenance aux classes moyennes.

Or les taux de ménages pauvres, le chômage, la précarité indiquent plutôt que la France périurbaine, majoritairement composée d’employés et d’ouvriers, se range dans la catégorie populaire, celle qui gagne autour du smic. Une réalité que masque l’image associée au pavillonnaire:

«La maison apparaît aussi comme la garantie symbolique de continuer à faire partie d’une classe moyenne mythique qui se construit en opposition aux banlieues.»

D’où le succès du Front national qu’observe l’Ifop. L’institut a d’ailleurs interrogé ces grands péri-urbains sur quelques «marqueurs» clé du positionnement politique:

«C’est dans le rayon de 40 km à 50 km, où le sur-vote FN est maximum, que l’adhésion au rétablissement de la peine de mort ou à l’idée qu’il y a trop d’immigrés en France est la plus répandue.»

Des métropolitains qui survotent à gauche

Récemment, une note de Fabien Escalona et Mathieu Vieira, deux chercheurs en sciences politiques, publiée par la fondation Jean-Jaurès, analysait le sur-vote PS des grandes villes. Une étude qui illustre parfaitement en miroir les conclusions de l’Ifop sur les tendances du périurbain:

«Notre objectif est d’illustrer de façon originale la recomposition de l’électorat socialiste et sa dissociation de l’électorat populaire, au prisme des évolutions du vote PS dans les idéopôles français sur ces quinze dernières années. Par “idéopôles”, nous désignons des métropoles concentrant les activités et les groupes sociaux typiques de l’économie post-industrielle et de la mondialisation.»

Inspirées des travaux de Richard Florida sur la creative class, les idéopôles, zones où «l’ethos tend à être libertaire et bohême», regroupent l’essentiel des travailleurs diplômés de l’économie de la connaissance. Où trouve-t-on ces réservoirs à bobos?

Les chercheurs isolent neuf villes grâce à un indice d’idéopôle: Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Nantes, Lille et Aix-en-Provence ont les meilleurs scores. Viennent ensuite Bordeaux et Rennes, considérées comme des idéopôles secondaires.

L’hypothèse testée par les chercheurs «consiste en l’affirmation d’un déplacement géographique de la dynamique électorale du PS» vers ces idéopôles. Or le PS administre huit de ces neufs idéopoles. Les scrutins présidentiels montrent quant à eux une progression forte du PS en 2007 avec un survote de 6 points au premier tour, soit deux points de plus que la différence entre la France entière et les grandes villes. Au second tour, la candidate Royal obtenait un score de 52,41% dans les idéopôles, soit 5,5 points de plus que sa moyenne nationale.

Deux «communautés de destin»

Les auteurs, qui font d'ailleurs référence aux travaux de Christophe Guilluy, concluent leur note de la sorte:

«Idéopôles et “France périphérique” se situent de part et d’autre d’une ligne de démarcation sociale et culturelle, mettant aux prises deux “communautés de destin” antagonistes, autrement dit deux sortes d’identités collectives fondées sur des intérêts matériels et des orientations idéologiques différents, auxquelles il n’est guère aisé d’apporter une satisfaction identique au sein d’un même récit politique national.»

Le constat de Christophe Guilluy est similaire, en particulier sur deux aspects de cette identité collective: le rapport à la mobilité et au multiculturalisme. Deux valeurs auxquelles les métropolitains se réfèrent volontiers quand elles sont source d’inquiétude voire de rejet de l’autre côté des périphériques… 

Fréquemment promues comme des valeurs positives dans les discours médiatiques, ces odes à la modernité masqueraient un goût prononcé pour le séparatisme social. La chose semble évidente quand on aborde la question du péri-urbain. Le penchant vers le FN en atteste. Moins consensuelle, l’analyse que fait le géographe du séparatisme urbain est plus subtile.

Ses recherches insistent sur le fait que les populations aisées des métropoles valorisent un vivre ensemble social et culturel, tout en s’en préservant par diverses stratégies: logement, scolarité des enfants, niveau de diplôme permettent de garder un œil bienveillant sur la société multicuturelle tout en préservant de fortes barrières sociales dans des quartiers à la population en apparence mixte.

Deux mobilités

L’autre différence notable entre le monde métropolitain et la périphérie réside dans le rapport à la mobilité. Mobiles par obligation car éloignés des centres économiques, les périurbains paient le coût de leur volonté de séparation.

Un modèle sédentaire éloigné du bougisme métropolitain s’impose ainsi dans le péri-urbain, modèle qui «apparaît même comme une antithèse du paradigme métropolitain. Il passe non seulement par la maison individuelle, mais aussi par un rapport différent à la mobilité. Le dogme de la mobilité, de la “ville en mouvement”, du nomadisme, qui structure le modèle métropolitain s’écrase ici sur la réalité sociale de la France périphérique», écrit Christophe Guilluy.

Difficile donc pour un PS de faire la synthèse d’aspirations si antagonistes. Comme le concluent les auteurs de la note de la fondation Jean-Jaurès, «si la pénétration réussie dans les idéopôles français s’accompagne d’un phénomène inverse dans la “France périphérique”, alors les socialistes français risquent une véritable déconvenue en cas de forte participation électorale au prochain scrutin national».

Ces études donnent avant tout une idée des aspirations majoritaires par types d'électorat en fonction de zones géographiques. Et tout dépend évidemment des populations qu'on associe aux notions fluctuantes d'urbains et de périurbains...

Pour l'Ifop, le grand périurbain représenterait un peu moins de 30% de la population, environ le même poids que les urbains des agglomérations de plus de 200.000 habitants. Christophe Guilluy estime que la France périphérique est majoritaire. Ce dernier agrège cependant dans cette catégorie périurbains, ruraux et habitants des petites villes industrielles.

Jean-Laurent Cassely

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