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France-Allemagne de Séville, mythe cruel et éternel

Pour une génération de supporters, le match de mercredi entre les deux nations ravive toujours la blessure du Mondial 1982.

BLIFE REUTERS/Catherine Benson
BLIFE REUTERS/Catherine Benson

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Un France-Allemagne de football n’est jamais banal, même lorsqu’il est amical comme ce nouvel affrontement qui aura lieu, mercredi 29 février, à Brême. Trente ans après Séville, et malgré un bilan favorable aux Bleus de 5 victoires pour 2 défaites et 1 nul en 8 confrontations depuis 1982, la blessure existe encore.

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Une défaite peut-elle être plus grande qu’une victoire dans le souvenir d’un amateur de sport? Tout dépend peut-être à quel âge l’une ou l’autre survient et vous touche.

Pleurer parce que l’équipe de France vient de s’incliner en demi-finale d’une coupe du monde est somme toute admissible à l’âge de 14 ans. Ne pas verser la moindre larme de joie alors que la même équipe de France vient de remporter ladite coupe du monde 16 ans plus tard est aussi compréhensible à l’heure où vous êtes censé être devenu un homme au début de vos 30 ans.

C’est ce qui m’est arrivé en 1982 et 1998 et il est probable que, parmi les lecteurs de plus de 40 ans qui liront ces lignes, beaucoup auront vécu, et vivent encore, ce paradoxe de chérir au cœur de leur mémoire un souvenir plutôt qu’un autre même s’il est empli de tristesse.

Trente ans après le funeste, mais sublime France-Allemagne (ou plutôt République Fédérale d’Allemagne) de Séville lors de la coupe du monde de 1982, le parfum doux amer de l’échec surpasse l’explosion libératrice du triomphe du Stade de France en 1998.

Séville, c’est une émotion que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Ceux qui ont vu en direct la demi-finale de coupe du monde entre la France et l’Allemagne au stade Ramon Sanchez-Pizjuan Séville le 8 juillet 1982 ont gardé cette rencontre comme une cicatrice plaquée sur leur cerveau et se rappellent tous où ils étaient à ce moment-là et comment ils ont essayé de (sur)vivre avec cette désillusion dans les heures et les jours qui ont suivi.

Faut-il rappeler les conditions et les rebondissements de cette tragédie andalouse?

Ce jeudi-là, dans une chaleur étouffante, la France de Michel Hidalgo veut croire en ses chances face à l’Allemagne de Jüpp Derwall. Les deux pays ont raté leur entrée dans ce championnat du monde. Au premier tour, la France s’est inclinée face à l’Angleterre et l’Allemagne a plié face à l’Algérie.

Malgré tout, Français et Allemands ont rallié les demi-finales. Une habitude pour les joueurs d’outre-Rhin, une première depuis 1958 pour les Bleus de plus en plus enchantés au fil de la compétition par un milieu de terrain déjà magique composé de Michel Platini, Alain Giresse et Jean Tigana.

A la mi-temps, les deux camps sont à égalité: 1-1. A un but de Pierre Littbarski, inscrit dès la 18e minute a succédé, neuf minutes plus tard, l’égalisation de Michel Platini sur pénalty. La deuxième mi-temps nous fait entrer dans une autre dimension en raison du drame qui se noue à la 60e minute.

Lancé vers le but grâce une transversale de Michel Platini, Patrick Battiston est littéralement agressé par Harald Schumacher, le portier allemand. Battiston ne s’en relèvera pas. La mâchoire en vrac, il quitte le terrain sur une civière alors que Platini lui tient la main. Direction l’hôpital à un moment où son état de santé inquiète vraiment tant son k.o. semble sévère.

Mais l’arbitre, le Néerlandais Charles Cover, reste muet et Schumacher en rajoute en se désintéressant de la victime inconsciente.

Et Thierry devient Rolland

Emotionnellement déstabilisée, l’équipe de France termine la rencontre à un score de parité. C’est l’heure des prolongations pendant lesquelles les Français, déchaînés, marquent deux fois grâce à Marius Trésor, d’une somptueuse reprise de volée, et à Alain Giresse, auteur d’un tir imparable des 18 mètres. A la 102e minute, la France mène 3-1 et est à 18 minutes de la première finale de coupe du monde de son histoire.

Mais la France, trop «gentille», laisse son destin lui échapper. Dix minutes avant la fin de la prolongation, Karl-Heinz Rummenigge et Klaus Fischer ont remis les deux pays à égalité. S’ensuit la pénible séance de tirs au but. Didier Six et Maxime Bossis manquent leur pénalty et l’immense (par la taille) Horst Hrubesch parachève la qualification allemande. «Horst Hrubesch, ce n’est pas paaaaaaaaaaaaas Alain Delon», dit finement Thierry Rolland devant son micro.

Ce soir-là, le sentiment d’injustice se diffuse à travers toute la France. Cette blessure ne guérira jamais vraiment en dépit de la consécration du groupe emmené par Zinedine Zidane en 1998. Peut-être parce que demeurera, et demeure toujours, le sentiment que cette équipe de France qui, à quelques notables exceptions près, sera celle qui échouera à nouveau contre l’Allemagne quatre ans plus tard, toujours en demi-finales au Mexique, était peut-être la plus belle et la plus forte de l’histoire du foot français.

Si 1998 a cassé le mythe de la «France qui perd», ce succès n’a pas complètement consolé tous les amateurs orphelins de ces Bleus de 1982, plus artistes que ceux de 1998…

Cette mythologie de Séville 1982 paraît d’ailleurs inépuisable. Livres, émissions télés ou radios continuent de fleurir sur le sujet. En juillet 2010, le musicien Red avait eu ainsi l’idée d’un concert rendant hommage à ce grand moment de télévision. En compagnie de deux autres musiciens, il y mélangeait bouts musicaux et vidéos extraites de ce France-RFA.

Du gazon aux planches

En 2008, un spectacle de danse contemporaine avait été mis en scène en France et en Allemagne par Pierre Rigal qui avait vu le match à l’âge de neuf ans.

En 2010 et 2011, toujours, c’est une troupe de théâtre qui a monté la pièce France-Allemagne écrite par Marc Wels, un auteur franco-allemand qui parlait des rapports franco-allemands par le prisme de ce légendaire match de football et grâce à deux comédiens, l’un Français (Jocelyn Lagarrigue), l’autre Allemand (Rainer Sievert), qui avaient été les témoins de cette rencontre devant leur poste de télévision.

Dans la pièce, le personnage français prie la Vierge Marie pour qu'elle fasse rejouer cette demi-finale tandis que l’Allemand entend son père lancer au sujet de Patrick Battiston: «Er simuliert, der Franzose» (il simule, le Français).

Jocelyn, âgé de 13 ans en 1982, avoue aujourd’hui en souriant:

«A l’époque, j’ai effectivement prié la Sainte Vierge pour que cette demi-finale soit rejouée

Jocelyn Lagarrigue et Rainer Sievert ont joué cette pièce au Théâtre de l’Atalante à Paris, en Province et envisagent de reprendre le spectacle en 2013.

«Le public a bien répondu, souligne Jocelyn Lagarrigue. Au fond, 1982, c’était encore très près de la deuxième Guerre mondiale. En 1981, au collège, à 12 ans, quand j’ai pris allemand en première langue, j’ai été traité de sale boche pour ça. Donc, le climat était propice à cette dramaturgie grâce au déroulement vertigineux de la rencontre. Mais si les Français ont gardé ce match en mémoire, les Allemands l’ont, eux, complètement oublié. Leur défaite contre les Italiens en finale les a davantage marqués.»  

France-Allemagne de 1982, c’est un vrai chagrin que les Allemands, par la voix de Helmut Schmidt, chancelier de l’époque, ont tenté d’adoucir par le biais d’un télégramme envoyé à François Mitterrand dans lequel il écrivait :

«Le jugement de Dieu qui, selon la mythologie classique, entre en jeu dans chaque combat entre deux peuples a voulu que cette chance échoie au camp allemand dans ce match. Nous sommes de tout cœur avec les Français qui méritaient d’aller de l’avant tout autant que nous.»

A l’image de Jean Cau, qui dans un papier vengeur de Paris-Match, évoquera la troisième guerre entre «la force et la puissance de divisions blondes et rousses» et «la France et ses héroïques petits», il fallait, il est vrai, tenter de calmer le jeu.

Heureusement, tous ces relents rances échappaient aux plus jeunes. Onze mois plus tard, Yannick Noah remportera Roland-Garros, 37 ans après Marcel Bernard, dernier Français à s’être imposé sur la terre battue de la Porte d’Auteuil, et donnera le sentiment d’avoir réussi à tordre le cou à cette «France qui perd».

Fan inconditionnel de Noah, j’ai, pourtant, en partie oublié les détails de ce 5 juin 1983, contrairement à ce 8 juillet 1982.

Yannick Cochennec

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