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Faut-il faire voter tout le monde jusqu'à 20 heures?

Le 22 avril, des sondages sortie des urnes ou des estimations sur les premiers bulletins dépouillés fuiteront avant la fermeture des derniers bureaux. Un problème qui avait été noté en 2007 mais n'a pas été traité depuis.

Deux secondes avant 20 heures, le 22 avril 2007, sur France 2.
Deux secondes avant 20 heures, le 22 avril 2007, sur France 2.

Temps de lecture: 6 minutes

A l’heure de Twitter, à peine né au moment de la dernière présidentielle, comment respecter la règle qui exige qu’aucun résultat ne soit dévoilé publiquement avant 20 heures les 22 avril et 6 mai prochains?

Comme d’habitude, sauf décret de dernière minute que Bernard Maligner, ingénieur au CNRS et grand spécialiste du code électoral, juge «désormais hautement improbable», la question va ressurgir les jours précédant l’élection, avec cette «discrimination» bien connue entre les électeurs qui devront s’acquitter de leur devoir électoral avant 18 heures dernier délai, et ceux des zones urbaines qui pourront glisser leur bulletin dans l'urne jusqu’à 20 heures après avoir peut-être pris connaissance des estimations, vraies ou fausses, circulant sur Internet.

En 2007, une injustice majeure avait été corrigée en permettant à un million d’électeurs français vivant loin (Antilles, Français de l’étranger, Polynésie, Nouvelle-Calédonie…) de pouvoir voter 24 heures avant la métropole, alors que, en raison du décalage horaire, ils votaient auparavant en connaissant le résultat final.

Cela sera encore le cas en 2012, mais reste ce point noir de la divulgation et de la diffusion possible des résultats avant l’heure H. «Comme la question des 500 parrainages, le législateur avait promis de s’occuper de ce problème dans le sillage de l’élection de 2007, mais il ne l’a pas fait, souligne Bernard Maligner. C’est bien dommage et il est probable qu’il promettra la même chose après celle de 2012, mais une fois encore pour quelle concrétisation?» Retour sur les questions que pose ce sujet sensible.

Combien d’électeurs votent en fin de journée?

Le 22 avril 2007, 70% des communes avaient ouvert leurs bureaux de 8 heures à 18 heures. Elles avaient été 5% à accueillir des électeurs jusqu'à 19 heures soit 106 communes, dont plusieurs grandes villes comme Dijon, Rennes, Tours, Nantes, Toulon…. Un quart des bureaux, enfin, avait fermé à 20 heures: à Paris, dans six des sept départements d'Ile-de-France, ainsi qu'à Nice, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Grenoble, Saint-Etienne, Strasbourg, Lyon et dans une soixantaine de communes de moindre importance.

Le taux de participation au 1er tour avait été de 85,3% en métropole (35,9 millions de votants). A 17 heures, dernière heure de pointage intermédiaire sur le territoire national, il était de 73,9%. Entre 17 et 20 heures, environ 4,8 millions d’électeurs avaient donc opéré un vote tardif. Au second tour, ils étaient un peu moins nombreux, 4,3 millions.

A quelle heure les résultats sont-ils connus?

Il y a deux méthodes pour déterminer des tendances précises. La première consiste à anticiper les résultats nationaux à partir des dépouillements effectués dans certains bureaux qui ferment à 18 ou 19 heures. Ces bureaux sont choisis en fonction des résultats des scrutins passés pour former un échantillon représentatif du corps électoral.

Les grands médias font, eux, appel, depuis une trentaine d’années, à une seconde méthode: les sondages sortis des urnes (SSU). Ces SSU sont des sondages réalisés le jour même de l’élection auprès d’un échantillon d’électeurs venant de voter, interrogés à la sortie des bureaux de vote sur leur choix et les raisons l'ayant motivé. Selon Cécile Daché de l’institut CSA, les premiers résultats fiables de SSU peuvent être désormais connus dès 18 heures et être ainsi communiqués aux staffs de campagne.

A partir de là, l’information, si elle fuite, peut théoriquement commencer à circuler au sein des partis et des rédactions puis sur la Toile. On se souvient qu’en 2007, le podium sur la place de la Concorde avait commencé à être installé vers 18 heures pour accueillir les supporters de Nicolas Sarkozy.

Des fuites peuvent-elles inverser le résultat?

Oui, mais il faudrait que l'écart entre les candidats concernés soit très serré, sans doute encore plus que le 21 avril 2002 entre Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen. Ce jour-là, le taux de participation en métropole était de 58,6% à 17 heures et 72,8% à 20 heures, soit 5,6 millions de votants sur les trois dernières heures, un peu moins de 1,9 million en moyenne par heure. L'écart final entre les deux candidats, lui, était de 372.000 voix en métropole et 195.000 voix au total (donné à 1 point à 20 heures par les instituts de sondage, il s'était légèrement resserré en cours de soirée pour finir à 0,68 point).

Si des fuites généralisées avaient eu lieu vers 19 heures, il aurait donc fallu, pour que Jospin rattrape Le Pen en métropole, qu'il lui reprenne 372.000 voix grâce aux votes en sa faveur des électeurs «informés» (ceux qui avaient initialement prévu de s'abstenir ou de voter pour un autre candidat) et malgré l'éventuel vote tout aussi «informé» de soutiens de Chirac ou Le Pen. Sur 1,9 million de votants, ces 372.000 voix de différence représentent un écart de vingt points entre les deux candidats, 35% contre 15% par exemple...

Que dit la loi sur ces fuites?

L’article L 52-2 du code électoral est très clair: il interdit la publication d’un résultat «partiel ou définitif», que ce soit «par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique», avant «la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain».

Le 21 avril 2007, le Conseil d’Etat, saisi sur la question par Antilles Télévision qui voulait donner les résultats électoraux des Antilles dès le 21 avril au soir avant le vote de la métropole le 22, avait estimé que ces dispositions se justifiaient par «le souci du législateur d'éviter que le choix des citoyens ne soit influencé dans des conditions de nature à porter atteinte à leur droit fondamental à l'expression libre de leur suffrage et à la sincérité du scrutin».

Quelles sont les sanctions possibles?

En cas d’infraction, l’article L. 89 du code électoral prévoit une amende de 3.750 euros. Il existe une confusion née d’une autre loi, celle du 19 juillet 1977 sur les sondages, qui proscrit «par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage» la veille et le jour du scrutin, amende de 75.000 euros à la clé. Mais les sondages sortis des urnes ou ceux faits à partir des bureaux tests à compter de 18 heures ne sont pas des «vrais» sondages d'intention de vote. Pour remédier à ce flou, une proposition de loi bipartisane proposait d’harmoniser les deux amendes à 75.000 euros: votée à l’Assemblée, elle a été enterrée au Sénat.

Que s’était-il passé sur Internet en 2007?

Des blogueurs ou des responsables de sites, comme Guy Birenbaum et Jean-Marc Morandini, avaient menacé de divulguer les premières tendances là où ils «officiaient» sur le Net, que ce soit au premier ou au deuxième tour. A l’époque, ces «provocateurs», prônant une sorte de désobéissance civile, arguaient déjà que la loi était obsolète et qu’en 2002, lors de la précédente élection, les premières tendances avaient été mises en ligne sur des sites belges ou suisses non contraints par la loi française.

Ces intentions affichées avaient conduit la Commission de contrôle de la campagne présidentielle (celle de 2012 a été installée le 25 février) à avertir qu'elle surveillerait de près les sites internet et n'hésiterait pas à saisir la justice en cas de violation de la loi. Dans les faits, Guy Birenbaum et Jean-Marc Morandini s’étaient tenus à carreau, laissant les médias étrangers divulguer les premiers chiffres sur leurs sites.

Qu’avait préconisé le Conseil constitutionnel?

Dans leurs bilans de l'élection présidentielle, le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle et le CSA avaient pointé la persistance du décalage sur l’heure de fermeture des bureaux et émis une proposition commune: l'uniformiser en métropole, ce qui «limiterait significativement les risques de divulgation ». Vœu pieux, rien n’a été fait dans ce sens.

Est-il encore possible de régler le problème?

L'amplitude minimale d'ouverture (8 heures-18 heures) est définie par l'article R41 du code électoral, et peut donc être modifiée par décret, sans loi. Bernard Maligner émet cependant un doute sur le fait que cela puisse arriver car une série de dispositions électorales a déjà été rendue publique le 16 février et ce problème n’a pas été pris en compte. Fin janvier, le ministère de l'Intérieur affirmait déjà à Europe1.fr qu'il ne bougerait pas sur la question.

Autre solution possible: les préfectures, qui peuvent avancer les horaires d'ouvertures ou retarder les horaires de fermeture par le biais d’arrêtés, peuvent se voir demander de procéder via une circulaire à une uniformisation. La porte n’est donc pas fermée, mais la marge reste étroite. «Dans ce cas, je conseillerais la fermeture pour tous à 20 heures, juge Bernard Maligner. Après tout, la présidentielle reste une élection exceptionnelle dans sa dimension et c’est un effort qui peut être demandé aux zones rurales qui ferment à 18 heures. Ou alors on coupe la poire en deux, en donnant l’heure butoir de 19 heures.»

Si rien n’est fait d’ici là, avec des bureaux de vote qui fermeraient à 18, 19 et 20 heures, il y aura donc encore cette zone grise que Twitter et d’autres réseaux sociaux éclaireront d’un jour nouveau et brutal. Sans compter que l'horaire de fermeture des bureaux de vote n'influe que sur la réalisation des estimations sur les bulletins dépouillés et pas sur celle de sondages sortie des urnes, dont les résultats (un peu moins fiables) peuvent fuiter avant même le début du dépouillement. Dans la pratique, les autorités oseront-elles sanctionner une personne qui retweeterait un sondage sorti des urnes venant d’un site d’informations étranger et qui annoncerait, dès 17 heures, l'élection d'un candidat?

Yannick Cochennec

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