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Le futur président chinois Xi Jinping est un costume vide

Le vice-président, qui devrait succéder à Hu Jintao, n’est qu’un apparatchik de plus, selon le dissident Yu Jie.

Hu Jintao et Xi Jinping, en juillet 2011. REUTERS/Barry Huang.
Hu Jintao et Xi Jinping, en juillet 2011. REUTERS/Barry Huang.

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Il y a dix ans, le «prince héritier» chinois, Hu Jintao, visitait les États-Unis, où il était reçu avec le plus grand respect. À l’époque, le peuple chinois nourrissait de très grands espoirs pour son mandat, sans parler d’une grande partie des élites politiques occidentales et des experts chinois. Le gouvernement américain désirait l’acquérir à sa cause afin de le pousser à engager des réformes politiques dès que possible.

Aujourd’hui que son règne touche à sa fin, le peuple chinois a compris que, depuis Mao Tsé-toung, aucun leader chinois n’a jamais été plus hostile à l’Occident. Au lieu d’engager des réformes politiques, il a essayé de concurrencer le système démocratique occidental avec une sorte de «capitalisme de copinage». Et les droits de l’Homme en Chine ont fait un énorme pas en arrière.

Je parle d’expérience. À l’époque de Jiang Zemin, de 1997 à 2002, j’ai participé à de nombreux mouvements de défense des droits de l’Homme, en dirigeant, par exemple, l’association d’écrivains Independent Chinese Pen Center avec Liu Xiaobo et en envoyant des lettres ouvertes, dont une suggérant la transformation du mausolée de Mao en musée de la Révolution culturelle. La police secrète m’avait alors surveillé et mis sur écoute, mais ils l’avaient fait tranquillement, avec une certaine intégrité.

En 2009, sous la mandature de Hu Jintao, j’ai publié un livre sur le Premier ministre Wen Jiabao, affirmant qu’il n’était pas un vrai réformateur. Cette même année, qui marquait l’anniversaire du massacre de la place Tian'anmen, la police s’est servie d’une table pour bloquer ma porte et m’empêcher de quitter mon appartement. Elle l’a fait effrontément, sans aucun semblant de gêne.

En octobre 2010, après l’attribution du prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo, elle m’a assigné à résidence avant de me kidnapper et de me torturer. L’un des policiers m’a prévenu: «On peut t’enterrer vivant en moins d’une demi-heure.» Je l’ai cru. Durant le mandat de Hu Jintao, la Chine a fait un grand pas vers le fascisme.

Un optimisme surprenant

Nous refaisons tous les mêmes erreurs que par le passé. Alors que le successeur au trône, Xi Jinping, s'est récemment rendu en visite aux États-Unis, les gens reportent sur lui les mêmes espoirs qu’ils avaient avec Hu Jintao. Xi Jinping deviendra-t-il le Mikhaïl Gorbatchev ou le Boris Eltsine de la Chine?

Tout le monde semble vouloir être optimiste. Le plus surprenant est sans doute le point de vue de Lee Kuan Yew, ancien Premier ministre de Singapour, qui a rencontré Xi Jinping en 2007 et a conclu:

«Je le rangerais dans la même catégorie que Nelson Mandela. C’est une personne d’une très grande stabilité émotionnelle, qui ne laisse pas ses mésaventures personnelles ou ses malheurs affecter son jugement.»

Des «mésaventures personnelles»? Cela m’a choqué. Xi Jinping ne ressemble pas plus à Mandela qu’Hitler ne ressemblait à Roosevelt. Mandela a passé 27 années au fond d’un cachot pour défendre la liberté et les droits de l’Homme. Voilà les «mésaventures personnelles» de Mandela. À sa sortie de prison, dans un esprit de pardon et de bienveillance, il a transformé la société sud-africaine en un lieu où toutes les ethnies ont droit de cité. C’est un homme qui a grandement mérité son prix Nobel de la Paix.

Jamais aucun reproche

Enfant d’un haut responsable temporairement déchu du pouvoir, Xi Jinping fut envoyé dans un village pauvre de l’Ouest de la Chine lors de l’une des campagnes politiques de Mao. Il n’a jamais émis aucun reproche ni aucune critique sur cette période. Au contraire, il a affirmé que cette période «d’amertume dévorante» n’avait fait qu’accroître sa loyauté envers le Parti communiste.

Depuis la répression des manifestations de la place Tian'anmen, en 1989, les Chinois ne croient plus en la légitimité du Parti. Sa faculté à développer l’économie est devenue son seul atout gagnant. Mais même là, la croissance que nous avons connue n’a pas entraîné la «prospérité commune» prônée par le communisme, mais plutôt l’enrichissement d’un groupe de bureaucrates hautement corrompus, qui monopolisent les richesses et les ressources du pays.

La fille de l’ancien premier Ministre Li Peng est à la tête de China Power et son fils est vice-gouverneur du Shanxi, l’une des principales provinces productrices de charbon en Chine. Les autres exemples ne manquent pas. Nombre de familles de hauts dirigeants sont dans le secteur immobilier: la sœur de Xi Jinping, Xi Qiaoqiao, possède avec son mari Deng Jiagui une grande entreprise immobilière dénommée «Société populaire de gestion et de développement immobilier du centre de Pékin». Les affaires sont faciles pour eux: nombre d’autorités locales leur accordent les meilleurs terrains afin de faciliter leurs relations avec Xi Jinping.

Représentants de quelques centaines de familles

Les gens disent que Hu Jintao et Xi Jinping viennent de factions politiques différentes. Selon eux, Hu Jintao, issu de la Ligue des jeunesses communistes, serait plus populiste, tandis que Xi Jinping, qui représente les «princes héritiers» (fils et filles de hauts dirigeants), serait plus au service des provinces côtières, plus aisées. Je pense pour ma part qu’ils ne sont pas vraiment différents.

L’un comme l’autre ne sont rien d’autre que les représentants des quelques centaines de familles qui composent l’aristocratie chinoise. Ils ne sont pas en place suite à une élection à l’occidentale, mais grâce à des manigances faites en coulisses. Ils ne sont pas au pouvoir parce qu’ils sont doués et intelligents, mais précisément parce qu’ils sont médiocres. Ils sont ce qu’ils sont aujourd’hui parce qu’ils ne représentent aucun danger pour les groupes d’intérêts spéciaux qui dirigent la Chine.

Tout comme Hu Jintao avant lui, si Xi Jinping a bien un talent, c’est celui de jouer les équilibristes. Il a travaillé, entre autres, dans le Hubei, le Fujian, le Zhejiang et à Shanghai. Nulle-part il n’a accompli de réalisation politique méritant d’être saluée, ni même de faute méritant d’être condamnée. Personne ne sait ce qu’il pense vraiment: il le cache encore mieux que Hu Jintao ne le fit avant de devenir président. À l’inverse de Bo Xilai, un autre «prince héritier», qui mène une politique à la Mao à Chongqing, la ville qu’il dirige, Xi est parfaitement lisse.

Le milieu familial de Xi Jinping rassure les anciens du système: il est «leur» homme. Xi était dans l’armée, les militaires et tous les autres secteurs importants le soutiennent. Son père était un progressiste, si bien que les groupes ayant des aspirations réformistes gardent cet espoir ancré au fond d’eux-mêmes.

«Responsable de l'entretien»

Dans la Chine d’aujourd’hui, où les intérêts particuliers font la loi, Xi Jinping est au mieux «responsable de l’entretien». La crise de pouvoir au sein du Parti communiste étant chaque jour plus sérieuse, la Chine a besoin d’un leader charismatique et visionnaire. Xi Jinping n’est ni l’un ni l’autre. Le mécanisme de sélection de talents du Parti est grippé depuis longtemps –il n’est plus capable de produire des personnalités comme Zhao Ziyang ou Hu Yaobang, caractéristiques des excellents leaders que connut la Chine dans les années 1980 (tous deux furent destitués par l’ancien leader Deng Xiaoping parce qu’ils souhaitaient réformer le système).

Certains disent que Xi Jinping est parti pour rester au pouvoir une dizaine d’années. Mais ce régime à la fois si fort extérieurement et si faible intérieurement peut-il vraiment perdurer encore dix ans? Le développement économique ne peut plus se poursuivre à cette vitesse. Lorsque Hu Jintao passera le pouvoir à Xi Jinping, il pourra pousser un gros soupir de soulagement parce qu’il ne sera pas le dernier souverain de la dynastie. Xi Jinping pourra-t-il en dire de même?

Yu Jie

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