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Une frappe israélienne sur l'Iran est un casse-tête militaire

Envoyer plus d'une centaine de chasseurs et de bombardiers à des milliers de kilomètres de leurs bases est une opération risquée, incertaine et très compliquée.

Missile iranien à longue portée Seiji 2 qui pourrait emporter une charge nucléaire Caren Firouz / Reuters
Missile iranien à longue portée Seiji 2 qui pourrait emporter une charge nucléaire Caren Firouz / Reuters

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Le chef adjoint des forces armées iraniennes, le général Mohammad Hejazi, a menacé, devant les rumeurs persistantes d’une attaque israélienne, de prendre le premier l'initiative des hostilités. «Notre stratégie consiste maintenant si nous sentons que nos ennemis veulent mettre en danger les intérêts nationaux de l'Iran, à agir alors sans attendre leurs actions.» Téhéran, qui se sent en position de force, face au conflit ouvert entre Washington et Jérusalem, cherche à exposer auprès des puissances mondiales les risques de cette menace militaire. Il profite par ailleurs du geste conciliant de Barack Obama, qui l’autorise à enrichir de l’uranium jusqu’à 5%, pour tenter une nouvelle négociation.

Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, considère que les menaces d’une frappe préventive contre Israël restent du domaine de la propagande interne à la veille des élections législatives du 2 mars 2012. Les dirigeants de la République islamique rivalisent de nationalisme et de rodomontades. L'arrivée en méditerranée de deux navires de guerre iraniens qui ont mouillé dans le port syrien de Tartous fait partie de cette stratégie visant à montrer les moyens et la détermination de l’Iran à se défendre. Il s'agit aussi de faire comprendre que la présence de navires russes dans ce port montre aux Israéliens que leur capacité d'intervention est limitée.

Rumeurs tenaces

Il faut dire que les rumeurs sur l'imminence et la rationnalité d'une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes sont tenaces. La décision d’Israël de distribuer à la population des nouveaux masques à gaz n'a fait que les renforcer. Pour autant, les responsables militaires ne mésestiment pas les difficultés qu’ils auront à surmonter. Frapper les installations du programme nucléaire iranien se heurte à des obstacles de taille. Le bureau des opérations de Tsahal doit surmonter cinq difficultés majeures. La longue distance pour atteindre l’Iran varie entre 1530 et 2260 kms et, même beaucoup plus, selon le chemin utilisé. Les techniques de ravitaillement en vol exigent l’utilisation d’avions-citernes. L’annihilation ou la neutralisation des défenses aériennes iraniennes passent par l’usage de moyens électroniques sophistiqués. La frappe implique une action simultanée contre plusieurs sites nucléaires. Enfin la logistique doit prévoir la coordination de l’attaque et de la défense à l’aide de plus de 100 avions.

Les experts militaires américains du Pentagone sont formels sur la complexité d’une telle attaque et ont mis en garde leurs homologues israéliens. Selon eux, cette opération n'a rien à voir avec le  bombardement du réacteur irakien Osirak en 1981 ou la destruction du site nucléaire de Syrie en 2007. Le général américain David A. Deptula, qui vient de quitter son haut poste dans les renseignements de l’US Air Force et a planifié la campagne aérienne de 1991 dans la première guerre du golfe et celle de 2001 en Afghanistan, estime que les Israéliens ne sont pas au bout de leur peine.

Pour autant, le gouvernement israélien semble bien décidé à ne pas renoncer à cette option, à voir la pression fébrile de l'administration Obama pour le dissuader comme le démontre encore la visite éclair en Israël du conseiller à la sécurité nationale, Thomas Donilon. Simultanément, le chef d’État-Major américain, lors d’un entretien à la chaine CNN, enfonce le clou, précisant qu’une frappe israélienne serait «déstabilisante» pour la région. Il a même été relayé par le ministre anglais des affaires étrangères William Hague qui s’est exprimé sur la BBC: «l’attaque ne serait pas une sage décision  en ce moment». Mais Israël, par la voix de son porte parole à Washington, maintient que «toutes les options sont sur la table». Les analystes américains tentent de convaincre Israël que le risque de représailles iraniennes, qui mettraient à feu et à sang le Moyen-Orient, pourrait s’avérer plus couteux que la seule détention d’armes nucléaires par l’Iran.

Questions sur la capacité militaire d'Israël

La véritable question tient à la capacité des Israéliens à mener seuls une opération de cette envergure. Les Américains s’inquiètent de devoir finir le travail engagé par Israël en raison de la complexité d’une frappe qui pourrait se poursuivre sur plusieurs semaines. Ils craignent les conséquences d’éventuelles représailles iraniennes qui restent certes floues mais probables. Certains pensent qu’Israël bluffe en menaçant les Américains d’une action solitaire parce qu’ils veulent les impliquer de force. L’ancien directeur de la CIA de 2006 à 2009 Michael Hayden estime que de telles frappes iraient «au-delà des capacités d’Israël».

Des deux côtés, le bluff est de mise. Les Américains surestiment sans doute la difficulté de l'opération et les Israéliens la minimise. Une certitude en tout cas, l'arsenal militaire israélien réserve des surprises et notamment des armes électroniques secrètes, même pour leurs alliés. A ce jour, les moyens électroniques mis en jeu pour rendre muets et aveugles les systèmes de détection et les radars syriens à l’occasion de la frappe de 2007 restent un mystère qui n’a jamais été percé puisque certains généraux israéliens sont incapables d’expliquer la technologie utilisée. Anthony Cordesman, analyste au centre pour les Études stratégiques et internationales à Washington  estime que «il y a beaucoup d’inconnues, il y a beaucoup de risques potentiels mais il est probable qu’Israël doit savoir que ces risques ne sont pas sérieux».

Routes stratégiques

L’attaque israélienne ne peut pas se borner à détruire une seule usine iranienne. Pour porter un vrai coup d’arrêt au programme d'armement nucléaire, les experts estimentt qu’Israël doit impérativement frapper les quatre principaux sites du programme: les usines d’enrichissement de Natanz et de Fordo, le réacteur à eau lourde d’Arak et l’usine de conversion de Yellowcake d’Ispahan.

Les Israéliens ont trois routes aériennes pour parvenir en Iran: le nord de la Turquie compromis en raison des relations turco-israéliennes, le sud de l’Arabie saoudite déjà utilisé pour l’opération Osirak et la route centrale et directe consistant à survoler la Jordanie puis l’Irak. Cette dernière voie semble la plus aisée, donc la plus probable, car l’Irak n’a aucune défense anti-aérienne digne de ce nom. Elle est confiée aux Américains mais a été affaiblie depuis le départ des troupes américaines en décembre 2010. Nul n’envisage une éventuelle interception des avions israéliens par les américains. Quand aux jordaniens, ils n’ont pas les moyens militaires, ni la volonté, de s’opposer à la violation de leur espace aérien.

Les israéliens disposent de chasseurs à réaction F-15I et F-16I mais les bombes qu’ils doivent transporter limitent, en fonction de l’altitude et de la vitesse, la distance à couvrir de l’ordre de 3.000 kms. Ils pourraient voir leur temps de vol s’allonger avec la nécessité d’éviter ou de contrer des missiles ou des chasseurs iraniens. Le ravitaillement en vol reste donc la seule solution viable, qui se double d’une nécessaire protection des avions-citernes. Les israéliens ne semblent pas disposer des huit avions américains KC-707 nécessaires à l’opération. Mais des indiscrétions des services de renseignements font état de changement apportés localement à des avions israéliens pour les transformer en avions citernes.

La centaine d’avions nécessaires à la frappe s’explique par les différentes missions qui leur seront confiées. Le problème de la protection aérienne des avions-citernes a été planifié et semble résolu. Mais pour les rendre invulnérables à la défense aérienne, ils doivent voler à 15 .000 mètres d’altitude et descendre en altitude normale pour le ravitaillement en vol, encadrés d’avions de chasse dont le rôle durant toute la mission est de les protéger. Par ailleurs, cette attaque doit être précédée par des escadrilles équipées de matériel électronique pour brouiller la défense aérienne iranienne et les radars de détection afin d’ouvrir un corridor aérien pour les bombardiers. Pour les Israéliens, le refus des Russes de livrer en 2010 des missiles air-sol S-300 leur facilite la tâche.

Quelle efficacité des frappes?

Israël mesure aussi l’inconnue des performances des bombes en théorie capables de pénétrer à l’intérieur des sites bétonnés, à neuf mètres sous terre à Natanz, ou construits  à même la montagne à Fordo. Il vient de se faire livrer recevoir des bombes GBU-28 de 2267 Kg capables de percer les bunkers mais la profondeur réelle de pénétration reste une inconnue.

Le lobby juif, conduit par l’ancien sénateur démocrate  de Virginie, Charles S. Robb, et l’ancien général de l’US Air Force Charles F. Wald, républicain, a insisté auprès de Barack Obama pour qu’il livre d’urgence à Israël des bombes GBU-31 plus performantes ainsi que trois avions-citernes de dernière génération afin de garantir la bonne fin d’une frappe israélienne.

Les difficultés techniques d'une attaque menée par Israël seul contre les installations nucléaires iraniennes militent aux yeux des spécialistes militaires pour une action conjointe avec les Américains. Eux seuls disposent de gros bombardiers à long rayon d’action, d’avions furtifs F-22 et de missiles de croisière embarqués dans des sous-marins, sans compter les drones, avions sans pilote, basés à proximité. Les États-Unis disposent de bases au Qatar,  Al-Udeid, ou dans l’Océan Indien à Diego Garcia. Les menaces israéliennes grandissantes visent peut-être à convaincre l'administration américaine de promettre une solution militaire si les négociations et les sanctions contre Téhéran ne s'avèrent pas plus efficaces dans les prochains mois.

Jacques Benillouche

 

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