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Finance: Sarkozy et Hollande, le mensonge partagé

Pour tacler François Hollande, Nicolas Sarkozy a fixé un angle d’attaque: le décalage entre ses déclarations du Bourget et celles à la presse britannique. Mais le président sortant a suivi le même chemin depuis son discours de Toulon en 2008.

Nicolas Sarkozy lors de son meeting de Marseille, le 19 février 2012. REUTERS/Philippe Wojazer.
Nicolas Sarkozy lors de son meeting de Marseille, le 19 février 2012. REUTERS/Philippe Wojazer.

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Depuis le début de sa campagne, Nicolas Sarkozy attaque François Hollande sur le thème du mensonge, l’accusant de vouloir «être Thatcher à Londres et Mitterrand à Paris». Déjà à Annecy, lors de son premier meeting de candidat, il avait montré du doigt le candidat socialiste, dénonçant la main tendue à la City dans plusieurs quotidiens britanniques alors que, quelques jours plus tôt au Bourget, il avait désigné le monde de la finance comme son principal adversaire. «Quand on dit à la presse anglaise qu'on est libéral et quand on vient expliquer aux Français que l'ennemi, c'est la finance, on ment, on ment matin et soir», avait déclaré le président-candidat, un rictus mauvais aux lèvres.

A Marseille dimanche, lors du meeting qui marquait sa véritable entrée en campagne, Nicolas Sarkozy est revenu à la charge sur le même thème avec sa boutade sur Thatcher et Mitterrand, mais aussi sur d’autres dossiers, comme le nucléaire et le marchandage électoral avec les Verts: «Où est la vérité?»

Président des riches, candidat antisystème

Il est vrai que Jean-Luc Mélenchon a lui-même apporté de l’eau au moulin de Nicolas Sarkozy, en prenant les déclarations de François Hollande au pied de la lettre et en s’emportant contre le candidat socialiste pour ses déclarations dans le Guardian selon lesquelles il «n’y a pas de communistes en France. Ou plus beaucoup».

Pour le président sortant, l’aubaine est réelle. Pour apparaître plus près du peuple, il veut se présenter comme le candidat antisystème. Pas facile lorsqu’on termine un quinquennat au cours duquel on n’a eu de cesse de venir au secours d’un système financier qui a failli conduire «à la catastrophe». Pas facile non plus lorsqu’on a l’image du «président des riches». Pas facile enfin, lorsqu’on a permis aux grands groupes de profiter de mesures fiscales favorables à leurs filiales à l’étranger alors que, dans le même temps, ils ont réduit l’emploi en France.

Antisystème: c’est néanmoins l’angle choisi par Nicolas Sarkozy. Dans ces conditions, les propos de Hollande étaient du pain béni: pouvoir accuser le leader des sondages de prêter allégeance aux acteurs des marchés massivement implantés à Londres après les avoir fustigés à Paris, voilà une forme de duplicité qui semblerait démontrer qu’il en reste l’obligé.

Mais si elle s’engage sur ce ton, la campagne risque de très vite basculer dans le manichéisme le plus réducteur. Or, si les propos des candidats en meeting sont la plupart du temps binaires, la politique est forcément plus complexe.

Grand écart et réalisme en politique

Nicolas Sarkozy n’a pas pu oublier son premier discours de Toulon, en septembre 2008, qui l’avait montré partant en guerre contre «le capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à le pervertir», affirmant que «l’idée que les marchés ont toujours raison était une idée folle […]; le marché qui a toujours raison, c’est fini». Trois ans et demi plus tard, le président ne parle plus d’idée folle, n’a jamais prêché une autre logique et a au contraire montré l’attention qu’il portait aux agences de notation si influentes sur les marchés.

On ne met pas le système financier à genou avec quelques formules choisies. Composer est incontournable pour ne pas asphyxier l’économie.

La chancelière Angela Merkel a aussi été confrontée à ce grand écart. Dès le début 2007, elle avait pointé du doigt un «risque systémique» et réclamé que des dispositions soient prises pour introduire de la régulation dans les flux financiers à l’échelon mondial. En avril, elle avait même réuni les ministres des Finances des pays du G7 pour analyser les risques que faisaient courir les pratiques de certaines banques d’affaires et d’opérateurs financiers.

Il n’était pas question, avait-elle affirmé, que le contribuable allemand paie pour le spéculateur. Les banquiers étaient venus plaider leur cause au Fonds monétaire international (FMI) et présenter des gages.

Mais le pourrissement du système était plus profond qu’on l’avait supposé. Les marchés financiers allaient contraindre les Etats à venir à leur chevet pour éviter l’effondrement, le risque systémique ayant été sous-estimé. Angela Merkel, comme les autres chefs d’Etat ou de gouvernement, dut manger son chapeau, obligée de venir à la rescousse du système financier en injectant des fonds publics. Le contribuable venant à l’aide du banquier, en Allemagne comme en France.

Confiance des électeurs, poids des banquiers

On peut comprendre qu’un président ou chef de gouvernement élu par des citoyens soit l’adversaire de ce système. Pour autant, ce ne sont pas les banques qui doivent être clouées au pilori: elles sont nécessaires au fonctionnement de l’économie et utilisent les marges de manœuvre qu’on veut bien leur laisser.

Encore moins les salariés: ils n’ont pas de prise sur le fonctionnement du système et en sont eux-mêmes les victimes. Un parti de gouvernement et son candidat ne peuvent imaginer gérer un pays sans système bancaire pour irriguer l’économie.

En revanche, les véritables adversaires, ce sont les marges de manœuvre laissées à la spéculation et le fonctionnement des marchés. La dérégulation confère aux pyromanes de la finance des pouvoirs usurpés. «La moitié des opérations de produits structurés (produits financiers complexes) sur les marchés financiers est réalisée dans des conditions opaques», explique Jean-Pierre Jouyet, ancien ministre de Nicolas Sarkozy et proche de François Hollande, aujourd'hui à la tête de l’Autorité des marchés financiers.

L’objectif consiste donc à introduire de la transparence là où elle n’existe pas, pas à détruire le système financier. C’est un message de régulation à porter jusqu’à Londres.

Des mesures, certes insuffisantes, ont été prises pour introduire de la régulation sur les marchés financiers. On peut citer l’interdiction des ventes à découvert dans certains compartiments boursiers, à l’initiative d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. Plus globalement, l’Europe, avec le commissaire aux Affaires intérieures Michel Barnier, veut introduire plus de transparence et encadrer la spéculation.

A ce stade, le vrai défi qui doit manifester la détermination du politique, c’est d’aller plus vite dans l’introduction de nouvelles régulations. Et de le faire savoir aux banquiers.

Le voyage de Londres de François Hollande, qui s’inscrit dans cette démarche, tient du réalisme politique et économique. Nicolas Sarkozy, qui connaît ce passage obligé, a malgré tout choisi la polémique pour rallier son camp. La campagne sera brutale.

Gilles Bridier

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