France / Politique

Des chambres débordées aux chambres introuvables

La France va devoir se passer d'Assemblée nationale et de Sénat de mars à juillet... après que Nicolas Sarkozy a joué son va-tout en bousculant les traditions républicaines pré-électorales avec des textes importants de dernière minute.

L'Assemblée nationale vide, en 1997. REUTERS.
L'Assemblée nationale vide, en 1997. REUTERS.

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Si la Belgique a réussi à se passer de gouvernement, la France va elle devoir se passer de Parlement, élections obligent, de la suspension des travaux parlementaires le 9 mars à la plus que probable convocation de la nouvelle Assemblée et du Sénat en session extraordinaire fin juin (après les élections législatives), par le président de la République fraîchement (ré)élu. Soit près de 110 jours à la louche.

«C’est révélateur de la primauté de l’institution présidentielle. Un régime qui peut se passer de délibération parlementaire pendant quatre mois ne tend pas vers un régime parlementaire», explique Jean Garrigues, historien et président du Comité d’histoire parlementaire et politique. Conséquence directe du déroulement des scrutins présidentiel et législatif à quelques semaines d’intervalle, cet arrêt momentané des travaux parlementaires atteint depuis 2002 des longueurs inégalées sous la Ve République.

«La décision de suspension ne reflète pas la mainmise de l'exécutif sur le législatif, mais elle entraîne, pendant cette période, un effacement du Parlement préjudiciable à la démocratie et aux intérêts du pays», complète Céline Vintzel, docteur en droit public à l’Université Paris 1.

«On touche le fond» 

Rares sont les démocraties à connaître une si longue parenthèse législative. Une parenthèse issue de la tradition républicaine qui veut que chaque assemblée suspende ses travaux afin que ses membres puissent participer aux campagnes électorales. «Les quatre mois de suspension n'empêchent pas que le Parlement soit toujours régi par les règles de la session ordinaire. Il s'agit simplement d'une pratique, d'un usage», précise Céline Vintzel.

Mais cela n’est pas sans poser problème. «Avec le passage des sociétés immobiles à des sociétés évolutives, nous sommes dans une époque de l’urgence, et en conséquence, il paraît peu opportun, pour le bon fonctionnement de la démocratie, que les assemblées, chargées d’adopter les lois et de contrôler l’action du gouvernement, voient leurs travaux suspendus pendant quatre mois», ajoute la juriste.

D’ordinaire, la législature prend fin le 24 février, validant dans sa dernière ligne droite les affaires courantes et les derniers textes inscrits à un ordre du jour souvent considéré comme surchargé. «Il est du ressort du président de l'Assemblée de rappeler que le calendrier est très serré et que cela peut comporter des obstacles si les assemblées, ou l'une des assemblées, n'examinent pas le texte dans les délais suffisants», avait rappelé Bernard Accoyer à la veille du sommet social tenu à l’Elysée par Nicolas Sarkozy. 

Exceptionnellement donc, cette année, l’Assemblée va devoir prolonger quelque peu ses travaux jusqu’au 9 mars. Voire les densifier. «On touche le fond dans la dégradation des conditions de travail», déplore Samuel Le Goff, assistant parlementaire du député UMP Lionel Tardy, face à cette fin de session où les textes de lois s’enchaînent à la va-vite. Avec un minimum de débats à cause de l’utilisation quasi-systématique de la procédure accélérée depuis le basculement à gauche du Sénat.

Atmosphère tendue

«Dans la période tourmentée que nous traversons au plan mondial, le président de la République a voulu éviter qu’une suspension des activités de l’exécutif et du législatif entraîne une paralysie», a tenté de justifier Bernard Accoyer, qui concède qu’une «solution aurait été de prolonger le travail parlementaire au-delà du 9 mars».

Une solution refusée net par les différents groupes politiques du Palais Bourbon, prêts à s’engager dans la bataille présidentielle comme le montre l’atmosphère tendue ces dernières semaines dans l’Hémicycle lors des questions au gouvernement.

Pour certains, cette neutralisation de l’Assemblée est pourtant nécessaire afin d’éviter une trop grande instrumentalisation électoraliste des débats législatifs. «Cette dérive est déjà à l’œuvre aujourd’hui. L’Assemblée nationale devient un instrument au service de la majorité», peste Alain Vidalies, député PS chargé du pôle travail et emploi dans l'équipe de campagne de François Hollande, visant Nicolas Sarkozy et ses annonces post-sommet social, dont l'instauration d'une TVA sociale qui n’entrerait pas en vigueur avant… octobre 2012.

Coup politique et «réformes de début de mandat»

La tradition républicaine veut que le gouvernement ne lance pas de projets nouveaux d’ampleur si peu de temps avant la fin de la mandature. Ce qui se justifie, selon Olivier Rozenberg, chercheur au Centre d’études européennes à Sciences Po Paris, car «les grandes élections sont un moment de réflexion sur l’avenir du pays» et qu’il est «gênant de faire voter des lois qui engagent substantiellement l’avenir du pays post-mandat».  

Le calendrier a de quoi surprendre et heurter les habitudes parlementaires. Un coup politique de la part de Nicolas Sarkozy qui ne plaît pas forcément non plus au sein de son propre camp, pour diverses raisons. 

Député UMP et membre de la Droite populaire, Christian Vanneste, «partisan de longue date de la TVA dite sociale», explique avoir interrogé le président sur le sujet lorsque les parlementaires ont été réunis à l’Elysée, le 31 janvier:

«Pourquoi l’avoir fait si tard et pourquoi si peu? Si le président avait lancé cette idée plus tôt, il aurait eu un débat difficile au sein de la majorité. La crise inouïe que nous connaissons lui offre le consensus. Son argument est tactique. Je reste persuadé que la France manque ses rendez-vous avec les réformes structurelles nécessaires, des réformes de début de mandat...»

D'autres élus de la majorité craignent eux de revivre l’épisode de 2007 autour de la TVA sociale et qui leur avait fait perdre une dizaine de sièges.

Sébastien Tronche  

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