Au Cameroun, après la censure... la censure

Un témoignage.

Temps de lecture: 2 minutes

La presse camerounaise a franchi bien des étapes. De cinq médias en 1990, le Cameroun est passé à aujourd'hui plus de 300 titres, près d'une cinquantaine de radios et environ sept chaînes de télévision. Une augmentation exponentielle qui ne saurait cacher le malaise que connaît la profession.

En 1987, lorsque je franchis les portes du Messager, où je venais d'être recruté comme reporter, j'étais encore nourri d'illusions et d'idéaux. J'avais hâte de mettre en pratique mes leçons de journalisme. Mon premier «papier» portait sur le football. Il s'agissait de commenter la défaite des Lions Indomptables du Cameroun face au Gabon, un pays dont le football était encore à ses balbutiements.

Pius Njawé, mon directeur, m'avait demandé d'y mettre tout mon talent. Et dès mon premier article, la censure fut implacable. «Contre le Gabon, avais-je écrit, le Cameroun avait gagné dans les vestiaires la bataille de l'illusion... pour se retrouver sur le terrain comme des zombies sortant fraîchement de leur tombe». Le fonctionnaire chargé de la censure au ministère de l'administration territoriale ne laissa rien passer. De mon côté, je refusai de modifier le texte. Le secrétaire de rédaction me tira à l'écart et me dit gentiment : «Jeune homme, on m'a dit que tu as appris ce métier en Belgique. Eh bien le Cameroun, ce n'est pas la Belgique...»

Pendant mon séjour au Messager, plusieurs de mes articles connurent le même sort. En créant le bimensuel Le Jeune Observateur, en 1991, j'appris à contourner la censure, notamment en maniant la périphrase. L'astuce consistait à tout dire sans nommer personne. Le lecteur devait comprendre lui-même qui était le personnage visé par un article sur la corruption, par exemple. En 1992, après de nombreuses grèves, manifestations et autres sit-in, la censure fût levée. En tout cas, le croyions nous à l'époque. Très vite, la désillusion s'empara de nous. Si la censure administrative avait bien disparu, le contrôle économique et politique pesait toujours sur les salles de rédaction.

La presse indépendante souffrait du manque de financement. Tous les investisseurs potentiels étaient des proches de Paul Biya, le président, et soutenaient les journaux favorables au pouvoir. Comme on dit dans le métier au Cameroun, j'avais choisi «la branche morte», au lieu de passer à la caisse du pouvoir ou de l'opposition. L'indépendance a un prix.

Depuis, la situation n'a guère changé. Il suffirait que je choisisse un camp pour que mes revenus augmentent immédiatement. La publicité abonderait. Conserver une ligne éditoriale indépendante me prive de tous les soutiens autres que les lecteurs. Heureusement, jusque-là, ils ne m'ont pas fait défaut.

Jules Koum Koum

Directeur de publication du bimensuel indépendant Le Jeune Observateur
Correspondant de Reporters sans frontières au Cameroun

Photo: le président camerounais Paul Biya Reuters

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