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Palestine: l'étrange réconciliation entre le Hamas et le Fatah

Sous la pression du Qatar, les deux factions palestiniennes ont finalement accepté de gouverner ensemble. Pour combien de temps?

Un drapeau palestinien, sur le mur de la frontière contestée dans le village de Nilin, en Cisjordanie, près de Ramallah, en décembre 2009. REUTERS/Yannis Behrakis
Un drapeau palestinien, sur le mur de la frontière contestée dans le village de Nilin, en Cisjordanie, près de Ramallah, en décembre 2009. REUTERS/Yannis Behrakis

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Le Hamas a finalement donné son accord pour participer à un gouvernement de transition dirigé par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.  Cet accord, parrainé par le Qatar, pourrait permettre la tenue d'élections législatives et présidentielle dans les prochains mois. Il a été obtenu après des réunions à Doha entre Mahmoud Abbas et le chef politique du Hamas, Khaled Mechaal, qui a déplacé son bureau depuis la Syrie où sa sécurité n’était plus assurée.

La réconciliation entre les deux mouvements palestiniens rivaux semble en cours, mais elle reste précaire. L’accord, signé en présence de l’émir du Qatar, Sheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, prévoit la formation d'un gouvernement d'union nationale constitué uniquement de technocrates indépendants chargés de «préparer la tenue d'élections et de superviser la reconstruction de Gaza». La composition du gouvernement Abbas, qui inclura le Hamas et le Djihad islamique, sera annoncée le 18 février au Caire à l’occasion d'une réunion de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine), à laquelle participeront tous les mouvements palestiniens, y compris le Hamas et le Djihad islamique selon les informations fournies par le vice-Premier ministre Azzam Al-Ahmad.

Le rôle clé du Qatar

Ainsi, après avoir éliminé de la scène politique son responsable des services de  sécurité, Mohammed Dahlan, ancien homme fort de Gaza, le président de l’Autorité a décidé de sacrifier cette fois sur l’autel de la réconciliation l’économiste et Premier ministre Salem Fayyed qui avait obtenu des résultats exceptionnels en Cisjordanie et qui avait les faveurs des occidentaux.

Sheikh Al-Thani a aussi obtenu des concessions du Hamas. Il avait déjà forcé la main du mouvement islamiste lors de la négociation sur la libération du soldat Gilad Shalit. Preuve du poids du Qatar aujourd'hui et de sa crédibilité, il avait obtenu d’Israël, en échange de sa médiation, le droit d’investir à Gaza et de participer à sa reconstruction. Le Qatar a trouvé ainsi l’occasion de s’introduire dans la région et de damer le pion à l’Arabie saoudite et plus encore à l’Égypte. Dernière illustration du rôle clé du Qatar, quinze prisonniers palestiniens, libérés mais bannis par Israël en vertu de l'échange, ont été autorisés à s’installer à Doha.

Réconciliation de façade

Ceci dit, la réconciliation arrachée sous la pression est purement théorique. Dans les faits, les partisans du Hamas et du Fatah continuent à s’opposer et parfois à se combattre violemment. La police de Ramallah vient de réprimer avec force des manifestants du Hamas tandis que les officiels du Fatah ont reçu l’interdiction d’entrer à Gaza. Sakhr Bassiso, membre du Comité central du Fatah, qui a été éconduit, s’est plaint publiquement:

«Ce qui s’est passé prouve que les dirigeants du Hamas ne sont pas intéressés par la réconciliation.»

Les tensions restent vives entre les deux factions, ce que confirme Jamal Mohaysen, autre membre du comité central du Fatah:

«Nous nous sommes engagés à travailler à surmonter tous les obstacles et nous cherchons sincèrement à coopérer avec toutes les organisations palestiniennes à Gaza et en Cisjordanie pour mettre en œuvre l’accord de réconciliation. Il ne faut pas chercher des obstacles qui entravent la réconciliation et entretiennent les divisions entre la Cisjordanie et Gaza.»

La lutte pour le pouvoir continue

Mahmoud Abbas, de son côté, a un comportement qui sème le doute à Gaza. Il a tenté d’isoler le Premier ministre Ismaël Haniyeh en décourageant les dirigeants de l’Égypte, du Soudan, de Turquie et de Tunisie de le rencontrer quand le leader du Hamas était en tournée dans ces pays. Ce dernier avait d’ailleurs manifesté sa mauvaise humeur devant certains membres de son parlement:

«J’ai été informé par la présidence tunisienne que M. Abbas avait adressé un message pour qu’on évite de me rencontrer, mais le président tunisien a répondu que la Tunisie est un État de droit et qu’il me reçoit en tant que Premier ministre légitime, conformément à la loi palestinienne, jusqu’à ce qu’un nouveau Premier ministre soit désigné.»

Les dirigeants palestiniens de Cisjordanie n’avaient pas apprécié que ces différends soient étalés dans la presse occidentale.

Un autre contentieux entre le Fatah et le Hamas assombrit les relations. Il est d’origine financière car l’Autorité palestinienne a saisi les 32 millions de dollars de dons de la Ligue arabe, destinés à des travaux de reconstruction à Gaza. La délivrance par Ramallah de passeports pour les habitants de Gaza est un autre point de discorde. Salem Fayyed a donné des instructions pour ne pas les délivrer aux membres du Hamas. Pourtant les islamistes palestiniens ont fait preuve de bonne volonté en restituant au président la demeure qu’il possède à Gaza et en y autorisant la réouverture du siège du comité central du Fatah.

Que va faire Israël?

Ismaël Haniyeh est victime du double jeu mené par Mahmoud Abbas qui, parallèlement à la réconciliation, mène des négociations avec Israël à Amman avec comme intermédiaire le roi Abdallah de Jordanie. Le Hamas a déclaré à plusieurs reprises qu’il est totalement opposé à ses négociations. Les chances de pouvoir tenir des élections législatives et présidentielles dans les délais prévus par l’accord semblent minces.

Et Israël ne va pas faciliter les choses. Jérusalem ne voit pas d’un bon œil la constitution d’une union palestinienne qui notamment améliorerait l'image des dirigeants palestiniens auprès des occidentaux et des instances internationales. Cela pourrait relancer le projet de reconnaissance de l’État palestinien qui n'avait de fait pas beaucoup de sens tant qu'une lutte fratricide oppose les factions qui contrôlent chacun des deux morceaux du territoire du futur Etat.

Mahmoud Abbas craint l'influence du «printemps arabe» et l'islamisation des Palestiniens. Pour ne pas subir le même sort que les dictateurs arabes, le président de l'Autorité palestinienne pourrait durcir sa position et s’opposer définitivement aux négociations. D'un autre côté, la réconciliation, si elle tient dans les faits plus que quelques semaines, pourrait contraindre Israël à sortir de son immobilisme qui est la seule stratégie de Benjamin Netanyahou. Reste à savoir si la dynamique enclenchée par le Hamas et le Fatah sous l'égide du Qatar peut être autre chose qu'un habillage. La réponse est pour bientôt.

Jacques Benillouche

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