Life

Sociologie potagère

Le bobo voltairien cultivait son jardin pour construire le meilleur des mondes. Il suffit à son descendant de s'inscrire à une Amap. C'est moins fatigant. C'est le progrès.

<a href="http://www.flickr.com/photos/galant/808075387/">Légumes</a> / thebittenworld.com via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Légumes / thebittenworld.com via FlickrCC License by

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Les avis divergent sur la définition du «bobo». Et la chanson de Renaud censée le mettre en fiche ajouterait plutôt à la confusion: rouler en 4x4 et faire du vélo en même temps, c'est peut-être tendance mais ça n'est pas très pratique.

J'ai récemment pris conscience, pour autant, d'être moi-même assez avancé dans le processus de métamorphose d’un urbain standard en bobo de compétition. Voyons voir: j’habite à un jet de pierre de la rue Oberkampf, Champs-Elysées du boboland parisien; je n’ai plus de voiture; je travaille dans les médias; je circule à vélo; je milite pour la légalisation du cannabis; je fais de la course à pied; j’empêche mes enfants de s’abrutir devant la télé; j’ai voté pour Delanoë à la mairie de Paris (deux fois); j’écoute de la musique ethnique à l’occasion; je sépare mes déchets avec circonspection dans mes trois poubelles; je remplace progressivement mes ampoules à filament par des ampoules à basse consommation; je me suis acheté des sandales pour l’été (je n’ose pas les porter, mais tout de même) et j’aime le Centre-Bretagne...

Mais l’énumération de ces états de service suffirait-elle à l’établissement d’une carte de membre, si les bobos se piquaient de former un club? Pas si sûr. A Bordeaux, Juppé s’est également mis au vélo; faubourg Saint-Honoré, Sarkozy fait son jogging. Si ces deux-là sont des bobos, où va-t-on?

Non, le bobo, le vrai, le tatoué, ne saurait se définir de façon aussi générique. Les différentes pratiques évoquées plus haut sont peut-être la marque d’une tendance au boboïsme, mais elles manquent de ce caractère intimement impliquant qui fonde les engagements authentiques.

Le légume superbobo

D’où ma fierté de ne plus me nourrir que de produits écologiquement et socialement corrects. Attention, pas pour moi, ces machins hâtivement labélisés «bio» ou «équitables» au prétexte qu’ils n’ont pas été saturés de Round-Up et qu’aucun péon n’a été cruellement exploité au cours de leur élaboration! Les aliments dont je parle doivent, pour me permettre de prétendre au titre de superbobo, avoir été cultivés à moins de 150 kilomètres de mon domicile, être «de saison» et n’avoir subi aucun traitement artificiel. Ils doivent encore, même si ce n’est écrit nulle part, m’être livrés par une bénévole en bonnet péruvien dans un local associatif tapissé d’affiches progressistes.

Une fois par semaine, je me rends donc, avec mon petit chariot de grand-mère, dans ce bâtiment lépreux du 11e arrondissement où, en compagnie d’autres électeurs socialistes travaillant dans la communication, je remplis mes paniers de fruits et de légumes encore maculés de terre seine-et-marnaise. C’est qu’à défaut d’être membre du club des bobos, je suis officiellement inscrit à une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) et je me suis engagé à acheter (à plusieurs) l’intégralité de la production d’un petit fermier du Provinois.

Ça revient plus cher que les boutiques bio les plus ridiculement dispendieuses, c’est certain, mais les avantages sont nombreux. D’abord, mes fruits et légumes sont incontestablement meilleurs que les vôtres. Ensuite, je n’ai plus aucun mal à m’empiffrer quotidiennement des cinq variétés potagères sans lesquelles l’homme moderne risque de se transformer en un Américain du Midwest.

Mais surtout, j’ai le sentiment, en sortant mon chéquier de la Kerviel Bank Ltd, de transformer une séance de shopping en acte militant. Enfin, disons que mes co-bobos ont ce sentiment, entassant pensivement leurs carottes sous un poster de RESF. En ce qui me concerne, j’ai surtout l’impression d’acheter des fruits et des légumes de bonne qualité, certes, mais un poil surévalués pour de la vente directe. Bah, j’imagine que j’y trouve moi aussi mon compte (philosophique), l’injonction voltairienne de cultiver son jardin étant avantageusement remplacée par cette corvée hebdomadaire.

Cela dit, s'ils se mettaient à prendre les commandes sur Internet et à livrer à domicile, je ne m'en plaindrais guère...

Hugues Serraf

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