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Bioéthique à la française, beaucoup de bruit pour rien

Le Conseil d'Etat vient de trancher. La loi de 2004 ne mérite qu'un léger toilettage.

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En matière de bioéthique, cette «morale en marche», sommes-nous  en France dans un espace véritablement démocratique ? Avant même que le gouvernement de François Fillon parvienne à mettre véritablement en chantier les ambitieux «Etats généraux de la bioéthique» tout semble déjà écrit : la loi «révisée» de bioéthique en 2010 ne sera qu'un clone de celle de 2004, qui était déjà une proche cousine de celle de 1994.

Les jeux semblent bel et bien faits avec la publication du rapport du Conseil d'Etat concernant cette révision législative. A la demande du Premier ministre un groupe de travail multidisciplinaire présidé par Philippe Bas - Conseiller d'État et ancien ministre de la santé - a auditionné soixante personnalités durant plus d'un an. Et le travail est aujourd'hui achevé.

Qu'en retenir pour l'essentiel ? Deux points: la haute juridiction administrative s'oppose à la dépénalisation de la pratique des mères porteuses et elle se prononce en faveur d'un régime permanent d'autorisation de la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires qui le constituent. En d'autres termes on ne change rien à ce qui était déjà de facto accepté (la recherche sur l'embryon) et on maintient l'interdit des «grossesses pour autrui».

Dans son rapport le Conseil d'Etat prend bien soin de rappeler que la recherche sur l'embryon humain «soulève des oppositions éthiques car elle porte atteinte non à une chose mais (...) à une personne humaine potentielle, qui ne saurait donner lieu à l'instrumentalisation». La haute juridiction prend ainsi étrangement position dans la controverse fondamentale qui depuis trente ans opposent radicalement ceux qui, au sein du Comité national d'éthique notamment, considèrent que l'embryon humain est une «personne potentielle» et ceux pour qui ce même embryon n'est qu'une «potentialité de personne».

Pour autant, non seulement le Conseil d'Etat se prononce en faveur des cette recherche mais il recommande même  de substituer au régime en vigueur depuis 2004 (une interdiction de principe assortie d'une dérogation pour une période de cinq ans) un régime permanent d'autorisation «enserré dans des conditions strictes».

Ces recherches devraient, comme aujourd'hui, toujours être «susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs» et acceptées dès lors qu'il y a «impossibilité, en l'état des connaissances scientifiques, de mener une recherche identique à l'aide d'autres cellules que des cellules souches embryonnaires humaines».

Autant de dispositions qui à dire vrai font quelque peu sourire dans les milieux scientifiques : comment  en effet juger à priori que la recherche envisagée est, ou n'est pas, « susceptible de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » ?  Ces recherches ne pourront d'autre part être menées, après autorisation donnée par l'Agence de la biomédecine, que sur des embryons humains conçus par fécondation in vitro et qualifiés de « surnuméraires » c'est à dire ne s'inscrivant plus dans le cadre d'un projet parental.

Aucun embryon humain ne pourra d'autre part être conçu pour la recherche. Une disposition que certains jugent quelque peu hypocrite.  Ils observent que dès lors que l'on accepte le principe de la légalisation de la recherche à quel titre s'opposer à la création d'embryons destinés d'emblée à cette recherche ? Quant à ceux qui pour des raisons philosophiques ou religieuses s'opposent à la destruction d'embryons humains à des fins médicales et scientifiques, ils redoutent que l'acceptation de la recherche sur des embryons « surnuméraires ne soit que la phase précédant l'acceptation de la création de « personnes humaines potentielles » destinées aux laboratoires scientifiques.

En ce qui concerne les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP), le Conseil d'Etat propose de ne pas modifier l'actuel statu quo: hors de question, donc, d'ouvrir l'accès aux techniques de l'AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes comme c'est le cas dans d'autres pays. Seuls les couples stables et composés d'un homme et d'une femme en âge de procréer et souffrant d'infertilité pourront continuer à bénéficier de ces techniques dont le coût est intégralement pris en charge par la collectivité.

Une seule, discrète, modification est envisagée. Elle  concerne la question, régulièrement soulevée depuis quelques années, de la levée de l'anonymat des donneurs de sperme et d'ovocytes de manière à permettre aux personnes concernées de connaître si elles le souhaitent leurs origines biologiques.  Le Conseil d'État préconise de tenir compte des demandes fondées sur la « souffrance des origines », ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; mais ceci tout en évitant «les risques de déstabilisation des situations familiales nées de l'AMP». Il propose de permettre à l'avenir à la personne née d'une AMP (à partir d'un don de spermatozoïdes ou d'ovocytes) d'avoir accès dès sa majorité  à une série de données «non identifiantes» sur le donneur qui a permis sa conception : l'âge, certaines caractéristiques physiques, la profession ou  l' «intention ayant présidé au don». L'accès à l'identité du donneur ne sera possible que si ce dernier  a donné son accord.

Point essentiel, compte-tenu de la controverse grandissante en France sur le sujet, le Conseil d'État ne propose pas de revenir sur l'interdiction de la « gestation pour autrui ». Il se fonde en cela sur  l'incompatibilité de cette pratique avec le principe de non-patrimonialité du corps humain. En d'autres termes, et pour le dire plus simplement, notre corps ne nous appartenant pas, une femme ne peut «louer» pour neuf mois son utérus. Voilà qui est clair. Mais qui ne répond nullement à une autre question : que faire lorsqu'un couple français a recours à cette pratique à l'étranger et rentre en France avec un enfant né d'une mère porteuse qui l'a abandonné après l'accouchement pour qu'il soit adopté par le couple ?

La haute juridiction préconise que la situation juridique de ces  enfants soit aménagée «de façon que ceux-ci ne soient pas pénalisés par le fait que leurs parents d'intention ont eu recours à une pratique interdite en France». Comment faire ? La transcription en France des jugements d'adoption prononcés à l'étranger ne peut être envisagée.  Il semble en revanche «possible de reconnaître la filiation paternelle de l'enfant à l'égard de son père biologique, et d'accepter une délégation d'autorité parentale du père à la mère d'intention.» Une solution d'ores et déjà dénoncée par ceux qui y perçoivent une discrimination vis à vis des femmes.

Pour le reste ?  Rien ou presque. On ne modifiera pas les conditions qui gouvernent aujourd'hui le don d'organes même s'il importe d'encadrer cette pratique parfois mal comprise qui, compte tenu de la pénurie de greffons disponibles, consiste depuis peu en France à prélever des organes chez des personnes victimes d'un arrêt cardiaque et qui n'ont pas pu être réanimées. Enfin, on ne bouge pas non plus en ce qui concerne  le nouveau droit vivement réclamé par certains d'un « suicide médicalement assisté ». Seule précision le Conseil d'État indique quelle interprétation doit être donnée des dispositions de la loi Leonetti du 22 avril 2005 «relative aux droits des malades et à la fin de vie» ; et ce sur trois thèmes : les conditions de «l'arrêt de traitement», la question des «suppléances vitales», et celle de « la mise sous sédation ».

La haute juridiction propose ainsi des modifications limitées en vue d'assurer le recours à la procédure collégiale en cas d'arrêt des traitements à l'égard d'un patient inconscient. Elle recommande surtout de rendre effectif le droit aux soins palliatifs reconnu par le code de la santé publique, en créant une procédure administrative spécifique. Celle-ci devrait permettre aux malades ou à leur famille d'obtenir l'accès à de tels soins tout en prévoyant leur mise en oeuvre précoce. «Si le droit aux soins palliatifs est rendu plus effectif, les demandes de légalisation de l'euthanasie perdront leur objet, estime le Conseil d'Etat. Les situations dans lesquelles le médecin, dans un souci d'humanité, décide de transgresser l'interdit de mettre fin à la vie deviendront quasiment inexistantes.»

Un diagnostic régulièrement formulé depuis une trentaine d'années par de nombreux spécialistes et qui n'a toujours pas, en France, été suivi des conclusions pratiques et éthiques qui s'imposent.

Jean-Yves Nau

Photo: vue microscopique de cellules musculaires créées à partir de cellules souches embryonnaires Ho New/Reuters

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