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Nucléaire iranien: il faut en finir avec l'irrationnel

En dépit de la tendance actuelle, le fait que le programme nucléaire iranien viole le droit international reste à démontrer. Il est temps de se calmer, de réfléchir et, avant tout, d’arrêter la course vers la guerre.

Défilé militaire iranien en commémoration de la guerre Iran-Irak, septembre 2001. 	REUTERS/Stringer Iran
Défilé militaire iranien en commémoration de la guerre Iran-Irak, septembre 2001. REUTERS/Stringer Iran

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L'ancien dirigeant de l'AIEA Olli Heinonen s’inquiète (dans un récent article de Foreign Policy, NDT) de ce que l’Iran ait commencé à produire de l’uranium enrichi de 20% sur un nouveau site enterré profondément, et calcule que les scientifiques iraniens pourraient encore purifier ce matériau jusqu’au taux d’enrichissement de 90% requis pour fabriquer une bombe en six mois environ.

Cette prédiction, cependant, est basée sur un présupposé sans fondement en ce qui concerne les intentions de l’Iran et ne sert qu’à fournir les «faucons» de Washington en arguments pour précipiter les États-Unis vers une nouvelle guerre destructrice au Moyen-Orient.

Le scénario du pire

Si Téhéran enrichissait de l’uranium à 90%, l’Iran serait forcé de briser une adhésion au Traité de non-prolifération nucléaire vieille de quatre décennies —une étape capitale qui précipiterait sûrement  une action militaire de la part des États-Unis ou d’Israël.

De plus, Heinonen ne parvient pas à mentionner que, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), «tous les matériaux nucléaires dans les locaux restent sous la surveillance et le contrôle de l’Agence». L’AIEA considère que 20% de l’uranium enrichi est de l’uranium faiblement enrichi et qu’il existe une «barrière isotopique adéquate» à un développement d’un nucléaire militaire.

Ce n’est pas la première fois que les faucons tirent l’alarme au sujet du programme nucléaire iranien en prétendant que c’est la fin du monde. Des compte à rebours hypothétiques et haletants sur l’existence d’une bombe atomique iranienne se sont succédés sans relâche depuis l’époque du shah. En 1992 par exemple, le ministre des affaires étrangères israélien Shimon Peres disait que l’Iran aurait des têtes nucléaires en 1999.

En évoquant le scénario du pire comme une possibilité réaliste, ces comptes à rebours appellent des politiques très dures, qui pourraient, à leur tour, provoquer une réponse iranienne tout aussi dure, créant un cycle perpétuel d’escalade.

Rien d'illégal dans le programme nucléaire iranien

En réalité, cependant, l’Iran ne fait rien qui viole son droit légal de développer la technologie nucléaire. Dans le cadre du TNP, il n’est pas illégal pour un État-membre de développer un secteur nucléaire civil –ce que le TNP encourage. Il a déjà, par défaut, une base plutôt solide pour développer des armes nucléaires.

Par exemple, comme l’Iran, l’Argentine, le Brésil et le Japon maintiennent également une «option nucléaire». Eux aussi pourraient rompre le TNP et fabriquer une arme nucléaire en quelques mois, voire moins. Et comme l’Iran, l’Argentine et le Brésil n’autorisent pas des visites d’inspection de l’AIEA conformes «au protocole additionnel».

La vraie ligne rouge légale, spécifiée dans les «accords de garanties généralisées» de l’AIEA, c’est l’utilisation de matériaux nucléaires dans le cadre d’un programme d’armement. Cependant, de nombreux experts et rapports officiels ont affirmé depuis des années qu’ils n’avaient pas de preuves qu’un tel programme existât.

Manque de preuves

Mohamed El Baradei, le prix Nobel qui a passé plus d’une décennie à la tête de l’AIEA, a déclaré par exemple qu’il n’avait pas «vu le moindre indice» indiquant que l’Iran cherchait à acquérir la bombe. Le dernier rapport de l’AIEA sur le programme nucléaire iranien souscrit également à cette estimation, soutenant que le programme iranien de recherche d’armes nucléaires «a été stoppé brutalement à la suite d’un ordre d’y mettre fin publié fin 2003».

Même les responsables américains ont concédé n’avoir aucune preuve que l’Iran cherche activement à fabriquer une bombe nucléaire. À la suite de la publication du bilan du renseignement national en 2011, le directeur du renseignement national James Clapper a confirmé au cours d’une audition au Sénat qu’il a «une grande certitude que l’Iran n’a pour le moment pas pris la décision de relancer son programme d’armes nucléaires».

Et plus tôt ce mois-ci, le secrétaire à la Défense Leon Panetta a noté: «Est-ce qu’ils (les Iraniens) sont en train d’essayer de développer des armes nucléaires? Non. Mais nous savons qu’ils sont en train d‘essayer de développer leur capacité nucléaire. Et c’est ce qui nous préoccupe.»

Un traité peu contraignant

Il y a d’autres explications au programme d’enrichissement d’uranium de l’Iran que celle selon laquelle le pays mène une folle campagne d’acquisition d’armes nucléaires. L’analyse la plus objective de l’intention de l’Iran de stocker plus d’uranium enrichi à 20% que ce dont le pays a besoin pour son réacteur de recherche, c’est qu’il puisse préserver une option de développer des technologies militaires plus tard s’il s’estimait menacé.

Mais le point important, c’est que dans le cadre du TNP, il n’y a rien d’illégal dans le fait de stocker de l’uranium faiblement enrichi. Et les options et les ambitions que gardent en tête les dirigeants iraniens, quoiqu’inquiétantes, ne peuvent être considérées comme illégales.

Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas une situation idéale. Cela serait certainement préférable si le TNP était mieux à même de prévenir la recherche en matière d’armement nucléaire chez ses États-membres, ou rendait illégale la possession de quantités excessives d’uranium faiblement enrichi.

Mais le traité qui existe aujourd’hui reflète des compromis faits pour obtenir un large soutien international. Autrement dit, le TNP —tel que l’AIEA le fait respecter avec les différents accords de garantie— n’est pas un traité très contraignant. Même Pierre Goldschmidt, un ancien directeur-adjoint du département des garanties de l’AIEA, reconnait que l’organisation «n’a pas l’autorité légale dont elle a besoin pour remplir sa mission».

Le nucléaire militaire, protection du nucléaire civil

Mais si l’Iran a construit un bunker fortifié profondément enterré près de la ville sainte de Qom pour héberger certains de ses processus d’enrichissement, cela ne signifie-t-il pas que le pays y est engagé dans un programme d’armement secret? Pas forcément: le point de vue de l’Iran sur l’environnement de sa sécurité nationale différe certainement beaucoup de celui de Washington ou de Jérusalem.

Les Iraniens voient peut-être cet endroit comme une mesure pour protéger leur programme nucléaire légitime. Ils ont sûrement tiré des leçons du bombardement par Israël du réacteur civil d’Osirak en 1981: il n’y a pas de garantie de sécurité au Moyen-Orient lorsqu’il s’agit de bâtiments nucléaires, même civils. C’est une région difficile, et ce qui est vu avec suspicion en Occident peut être vu comme une solution défensive évidente à Téhéran.

Cet état d’esprit pourrait aussi être une autre raison pour laquelle les planificateurs iraniens préfèrent stocker plus d’uranium enrichi à 20% que ce dont ils ont besoin aujourd’hui pour leur réacteur de recherche. Si leur approvisionnement en carburant est interrompu par une grève militaire, il y aura au moins un stock disponible. Fereydoun Abbasi, le chef du programme nucléaire iranien, a aussi été cité affirmant que l’Iran a l’intention de construire quatre ou cinq autres réacteurs de recherche à l’avenir, et que le stock de carburant d’uranium est nécessaire pour ceux-ci.

L'Iran méfiant envers les espions

Une autre plainte courante de l’AIEA concerne le fait que l’Iran a bloqué l’accès à plusieurs scientifiques majeurs iraniens qui travaillent sur le programme nucléaire. Mais plutôt que la preuve de mauvaises intentions, l’attitude peu chaleureuse de l’iran à l’égard des inspecteurs de l’AIEA pourrait être liée à l’historique des relations entre les inspecteurs et les services de renseignement occidentaux.

David Kay, l’inspecteur principal des Nations Unies pour les armes nucléaires en charge de l’observation du programme nucléaire de Saddam Hussein en 1991, a ainsi déclaré à PBS que des agences  d’espionnage étrangères étaient liées à la mission en Irak. «Les services de renseignement avaient la seule expertise que l’on pouvait utiliser pour identifier un programme clandestin», a t-il déclaré. «Je comprends maintenant que c’était toujours un pacte avec le diable, des espions qui espionnaient...»

Des sanctions disproportionnées

Olli Heinonen propose un échange de carburant pour résoudre le conflit sur le nucléaire: l’Iran cesserait son processus d’enrichissement en échange d’approvisionnement en carburant d’uranium pour son réacteur de recherche. En fait, en 2010, un tel accord a été proposé par la Turquie et le Brésil mais les États-Unis n’ont pas considéré que «oui» puisse être une réponse. Même si l’Iran a accepté une proposition de nouvelles discussions de la part de la Turquie, de nouvelles sanctions votées par le Congrès et promulguées par le président Barack Obama ont encore plus mis à mal la possibilité de parvenir à un accord.

Toutes les séries de sanctions mises en place contre l’Iran au cours des années vont bien au-delà des proportions de son programme nucléaire. Pour satisfaire les conditions permettant à ces sanctions d’être levées, l’Iran ne devrait pas seulement abandonner son programme nucléaire mais également à peu près démettre le régime actuel.

La législation sur les sanctions mise en place l’an dernier implique que l’Iran libère tous les prisonniers politiques, cesse la répression violente contre les manifestants pacifiques iraniens, conduise une enquête transparente sur les assassinats de manifestants iraniens et progresse vers l’établissement d’une justice indépendante.

Au cas où ces conditions s’avéreraient insuffisamment irréalistes, le président américain doit également certifier que le gouvernement iranien «a cessé de soutenir des actes de terrorisme international». Même si l’Iran faisait miraculeusement cela,  il y a peu de chances pour que le président américain puisse le certifier.

L'alternative à la guerre

Ce sont donc des objectifs très nobles, mais ils vont bien au-delà de l’objectif consistant à s’assurer que l’Iran ne développe pas de bombe atomique. Considérant ces dispositions qui vont très loin, Téhéran a sans doute le sentiment que les sanctions resteront quoiqu’il advienne du programme nucléaire. Si les sanctions resteront de toute façon, pourquoi coopérer avec l’AIEA sur la question du nucléaire?

Si les États-Unis et l’Iran espèrent ne pas se diriger vers des épisodes tristement familiers de développement des tensions et de course à la guerre, ils doivent parvenir à un grand accord qui mettrait fin aux conditions impossibles des sanctions. Peut-être que le plus simple pour y parvenir est de proposer à l’Iran une alternative simple: si l’Iran accepte des inspections plus intrusives dans le cadre du protocole aditionnel de l’AIEA, alors les sanctions unilatérales américaines et celles du conseil de sécurité de l’Onu seront abandonnées.

Un tel accord aurait une chance de convaincre ceux qui en doutent que l’Iran n’est pas sur le chemin dangereux de la conception d’une bombe atomique. Le seul moyen pour le monde d’empêcher une nouvelle course meurtrière à la guerre est de changer l’objet du débat, en remplaçant par la préoccupation de mieux surveiller le nucléaire iranien l’objectif irréaliste de l’annihiler.

Yusaf Butt

Traduit par Felix de Montety

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