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Finance: le discours socialiste et la réalité

Pourquoi a-t-on été surpris qu'un candidat socialiste à l'élection présidentielle s'en prenne à la finance?

money roll / zzzack
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La charge de François Hollande contre le monde de la finance a surpris par sa virulence. Même Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, étonnés qu'on vienne chasser sur leurs terres ont tenu à minimiser la portée des propos du candidat évoquant l'un et l'autre un «pistolet à bouchon» pour s'en prendre au capitalisme. Mais l'étonnement face à la posture de François Hollande est lui-même étonnant. Pourquoi donc est-on surpris qu’un homme politique socialiste, qui se revendique comme tel, s’en prenne aux financiers ? C’est le contraire qui eût été surprenant, et même carrément bizarre, voire déviant. En d'autres temps, il aurait dénoncé le «mur de l'argent» comme le cartel des gauches en 1924 et «l'argent qui corrompt» comme François Mitterrand en 1976. Or, non seulement les analystes politiques, mais disons-le, au risque d’être grandiloquent, le peuple français, témoin de l’évènement, a été surpris. On n’attendait pas ça du candidat Hollande, réputé mou du genou. Et surtout, on n’y croyait plus, à la possibilité d’une telle charge de cavalerie, sabre au clair, à notre époque, de la part d’un homme se fixant pour objectif de rassembler, d’ici trois mois, un peu plus de la moitié du peuple français.

La haine française des financiers cosmopolites

On mesure le chemin parcouru depuis le milieu du siècle dernier, lorsqu’un  marxisme implicite imprégnait la société française. Une imprégnation douce. Un opium non seulement pour les intellectuels, comme l’avait lancé Raymond Aron à la grande indignation des intéressés, mais aussi pour le peuple tout entier, de gauche évidemment, mais de droite également, d’extrême droite, surtout.

En fustigeant les financiers, François Hollande est  en totale cohérence avec son père, médecin normand réactionnaire. Il  a longtemps existé, en France, une haine générale des financiers, toujours anonymes, toujours cosmopolites, toujours malfaisants. Cette haine, aussi puissante à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, était impossible à distinguer de l’antisémitisme. Elle lui était consubstantielle, en quelque sorte. Elle a disparu, sous cette forme primaire, avec la victoire des Alliés et la révélation de la Shoah. Mais elle est toujours là comme on peut encore le constater tous les jours. Depuis 1945, elle n’est presque plus jamais explicitement antisémite. Mais elle est toujours là. Elle figurait encore, en bonne place, au printemps 1981, dans la rhétorique du candidat François Mitterrand. C’est dans les années quatre-vingt qu’elle a pris un sévère coup de vieux.

Le revirement de Mitterrand

La gauche est arrivée au pouvoir en 1981 encore vaguement marxiste. Elle a découvert, dans la souffrance, la puissance de la finance. François Mitterrand a été obligé, en catastrophe, de dévaluer plusieurs fois le franc. Cet effet douloureux de réel se fait encore sentir. Si François Hollande a un domaine de compétence, c’est bien celui du budget, des comptes publics et de la fiscalité. Il est aussi un partisan résolu de l’euro. Il est donc contraint, même s’il affirme ne pas les aimer, d’accepter les règles du monde de la finance. Elles ne sont pas plus françaises qu’européennes. Elles sont mondiales, ou, comme on dit désormais, parlant anglais sans le savoir,  globales.

Parmi les personnalités qui ont contribué à l’aggiornamento (au dépucelage?) de la gauche en matière financière, il faut citer ici Jean-Charles Naouri, directeur de cabinet de Pïerre Bérégovoy de 1982 à 1986, successivement au ministère des affaires sociales, puis au ministère de l’économie et des finances.  C’est lui qui a pensé, et mené de main de maître, la déréglementation des marchés financiers français entre 1984 et 1986 à l’écoute de ce qu’il s’était fait à New York et à Londres. Ce Big Bang a permis la création d’une sphère financière, dans laquelle les acteurs français, investisseurs institutionnels (zinzins) et particuliers confondus, jouent désormais dans la cour globale.

François Hollande dit ne pas aimer les riches. Il dit aussi qu’il n’aura pas de complaisance pour ceux qui sont chargés à la fois d’enrichir les riches et de s’enrichir eux-mêmes au passage. Bref, les gestionnaires de fortune. Des noms comme celui de Patrice de Maistre ont été exposés au regard du public. Ce regard n’est pas bienveillant. Gérer l’argent de la grand-mère gâteau, en passe de devenir gâteuse, est une tâche  périlleuse dans toutes les familles.

François Hollande est en phase avec l’opinion lorsqu’il dénonce la voracité des financiers. Mais il court le risque, s’il devient président de la République, d’avoir rapidement à demander le secours de ces  mêmes financiers qu’il dénonce aujourd’hui. Ils n’auront pas changé d’ici trois mois. Et lui? En son temps, un autre François, dont il se réclame, avait mis deux ans à comprendre.

Dominique Dhombres

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