Économie

L’auto-entreprise impuissante contre le chômage de masse

Les demandeurs d’emploi ont été plus nombreux de 5,6% en 2011. Le nombre d’auto-entrepreneurs a progressé, mais moins vite qu’en 2010. Ce nouveau statut profite surtout aux personnes qui ont déjà une activité.

A Londres. REUTERS/Olivia Harris
A Londres. REUTERS/Olivia Harris

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En 2010, année qui devait marquer le reflux du chômage, le nombre demandeurs d’emploi sans aucune activité avait augmenté de 3%. En 2011, le chômage a continué de se creuser, avec 5,6% demandeurs d’emploi supplémentaires et 2,87 millions de personnes pointant à Pôle emploi.

Si on ajoute les travailleurs précaires en activité réduite, on approche les 4,3 millions de personnes en quête d’emploi en France métropolitaine, et plus de 4,5 millions avec les DOM. En plus, la récession qui guette la France en ce début d’année laisse augurer un alourdissement du chômage pour les prochains mois.

Le chômage des jeunes, en 2011, aura progressé deux fois moins que l’ensemble des demandeurs d’emplois. C’est la tranche d’âge heureusement la moins pénalisée. En revanche, et sans surprise, les seniors de plus de 50 ans sont plus nombreux, de 16% sur un an. On note surtout l’explosion du chômage de longue durée, en hausse de 22% sur un an pour les inscrits depuis 3 ans et plus sur les listes de Pôle emploi. Des entreprises ont fermé, les PME n’ont pas embauché, le résultat se lit dans les statistiques.

La création d’entreprise a fléchi, les auto-entrepreneurs aussi

On aurait pu espérer qu’une partie des demandeurs d’emploi se porte vers la création d’entreprise, pour créer eux-mêmes une activité introuvable sur le marché travail. Il y a trois ans, le statut d’auto-entrepreneur a été lancé pour servir de corde de rappel dans ce genre de situation.

En outre, huit français sur dix aspiraient à devenir leur propre patron, affirmait alors le gouvernement pour justifier les espoirs placés dans ce nouveau régime. Les seniors en quête d’emploi, qui disposent d’une expérience professionnelle pour entamer une nouvelle carrière, étaient particulièrement visés.

Mais l’an dernier, la création d’entreprise a lourdement marqué le pas à en croire l’Insee, qui évalue à 11,6% le recul du nombre de créations par rapport à 2010. Et à y regarder de plus près, ce sont les auto-entreprises qui ont subi le plus revers le plus violent l’an dernier: avec près de 292.000 nouveaux auto-entrepreneurs, le recul sur l’année aura été de 18,9% par rapport au nombre d’auto-entreprises créées en 2010.

Certes, ce statut introduit au 1er janvier 2009 dans l’esprit du «travailler plus pour gagner plus» de Nicolas Sarkozy, continue de faire des émules, mais moins qu’il n’y paraît. Porté par Hervé Novelli, alors ministre des PME et de l’artisanat, pour permettre un complément d’activité et déréglementer le marché du travail, il avait pour ambition de simplifier les formalités administratives et offrir une grande souplesse à condition de ne pas dépasser certains seuils de chiffre d’affaires (en 2011, pour un exercice complet, 81.500 euros pour une activité de vente de marchandises, 32.600 euros dans le cas de prestations de services).

Mais ce statut ne fit pas l’unanimité. Des artisans, dans le bâtiment notamment, y ont vu une forme de concurrence déloyale dans la mesure où la fiscalité des auto-entrepreneurs était allégée bien qu’ils paient aussi des cotisations sociales. D’autres ont dénoncé une précarisation du monde du travail puisque des entreprises pouvaient y recourir  pour remplacer des effectifs salariés afin de réduire leurs charges et s’affranchir de la législation sur le travail.

Un régime devenu un peu moins attractif

A l’usage, des auto-entrepreneurs ont été confrontés aux limites de ce statut, non seulement à cause de l’existence de ces seuils mais aussi pour la validation des trimestres de retraite. En outre, la mariée vantée par Hervé Novelli était trop belle.

Car une fois passée les périodes d’exemption de certaines taxes comme pour toute entreprise qui se crée, des auto-entrepreneurs se sont vu réclamer le paiement de la cotisation foncière des entreprises (qui remplace pour partie la taxe professionnelle).

En outre, depuis le 1er janvier 2011, l’auto-entrepreneur doit déclarer son chiffre d’affaires à chaque échéance même si le montant est nul; une contrainte supplémentaire par rapport aux modalités de création du régime. Il est aussi redevable depuis cette date de la contribution à la formation professionnelle.

Le fameux slogan pour lancer le nouveau statut («pas de chiffre d’affaires, pas de taxes») tombait. Au point que, aujourd’hui, ce sont les fédérations d’auto-entrepreneurs qui interpellent les pouvoirs publics pour relancer le concept.

Frédéric Lefebvre, successeur d’Hervé Novelli, est lui-même plus discret sur ce statut. Car même si le million d’inscriptions à ce régime depuis sa création devrait être enregistré à la mi-février, on ne compte plus que 740.000 comptes «administrativement actifs», d’après les statistiques officielles de l’Acoss, la caisse nationale des Urssaf.

Ce qui laisse supposer que quelque 260.000 auto-entrepreneurs, soit environ un sur quatre, sont sortis du jeu. Certains n’ont pas donné suite à leur projet d’activité, d’autres ont opté pour un autre régime (comme celui de l’EIRL qui offre une protection du patrimoine personnel).

Le Mouvement des auto-entrepreneures de France n’en disconvient pas, précisant que la moitié des auto-entrepreneurs toujours inscrits – soit environ 370.000 comptes – enregistrent effectivement un chiffre d’affaires, dont le moyenne annuelle est évaluée 8.300 euros. Pour l’Acoss, la «part des auto-entrepreneurs actifs économiquement» au troisième trimestre 2011 était plutôt de 40%, soit environ 300.000 personnes. 

Une activité principale pour seulement 160.000 auto-entrepreneurs

Les auto-entrepreneurs ayant une première source de revenus (retraités, mais aussi fonctionnaires, salariés…) représentent 47% de ce total. Reste donc ceux qui en vivent parce qu’ils n’ont aucune autre activité: ils sont 43%. Et on compte en plus 10% de demandeurs d’emplois qui créent leur propre activité tout en continuant de toucher leurs indemnités le temps du lancement de leur affaire, précise le Mouvement des auto-entrepreneurs.

Soit environ, pour les deux dernières catégories, 160.000 personnes. Qui, peut-être, changeront de statut un jour ou l’autre, afin de se libérer des seuils et troquer la simplicité d’un mode de gestion pour en adopter un autre plus complet (intégrant par exemple l’amortissement des amortissements ou la déduction des frais professionnels). 

Au final, le statut d’auto-entrepreneurs joue son rôle originel consistant à permettre la constitution d’un complément de revenu. Dans la lutte contre le chômage, il n’est pas inutile puisqu’il a forcément contribué à réduire le nombre de demandeurs d’emplois qui a touché 152.000 personnes de plus l’an dernier, sans que l’on puisse toutefois comparer les chiffres. Mais il n’aura servi que d’amortisseur.

Gilles Bridier

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