France / Politique

Les «vieux», absents de la campagne, décisifs dans l'urne

Les personnes âgées forment un tiers du corps électoral français mais leurs problèmes ou attentes sont peu évoqués dans la campagne. Parce qu'on sait déjà pour qui ils voteront? Ils pourraient créer la surprise.

Elderly People. Photo <a href="http://www.flickr.com/photos/ell-r-brown/4737849899/">eff brown</a> via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Elderly People. Photo eff brown via Flickr CC License by

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Les jeunes. Les travailleurs. Les chômeurs: la Sainte Trinité de la campagne. Et les personnes âgées dans tout ça? L’INSEE parle de «seniors» pour les 50/64 ans. Nous nous en tiendrons aux plus de 60 ans, ceux qui sont à la retraite ou en passe de l’être… Ils représentent environ un tiers des 43 millions d’électeurs en France. Toutes les études sociologiques le montrent: ils sont à la fois les plus inscrits sur les listes électorales et ceux qui mettent le plus leur bulletin dans l’urne. 

Ce poids lourd électoral penche traditionnellement à droite. Pour la dernière présidentielle, en 2007, l’enquête postélectorale menée par l’Ifop et le Cevipof a montré que deux tiers des électeurs de plus de 65 ans avaient voté pour Nicolas Sarkozy au second tour. Plus parlant encore, selon Frédéric Dabi, le directeur général adjoint de l’IFOP, «ils étaient dès le premier tour 45% à choisir Nicolas Sarkozy, contre 23% Ségolène Royal, 13% François Bayrou et 8% Jean-Marie Le Pen».

A droite toujours, mais un peu moins

2012, de ce point de vue là, devrait s’inscrire dans la continuité et le candidat de la droite obtenir une majorité des suffrages des plus anciens au premier tour. Si l’on en croit le dernier baromètre de l’Ifop, Nicolas Sarkozy arriverait en tête chez les personnes âgées le 22 avril, avec 34% d'entre elles qui lui donneraient leur voix. Commentaire de Frédéric Dabi:

«Il sauve les meubles pour l’instant, mais on est loin des 45% de voix exprimées en sa faveur au premier tour en 2007.»

Le président sortant peut compter sur son cœur de cible mais cet électorat s’est contracté. Pour Stéphane Rozès, ancien directeur général de l’institut de sondages CSA et actuel président de la société de conseil Cap, «il y a une nette désaffection des plus âgés pour l’incarnation de la fonction présidentielle par Nicolas Sarkozy».

Pas faux, admet Guillaume Peltier, secrétaire national de l’UMP chargé des études d'opinion et des sondages:

«Au printemps 2010, au moment des élections régionales, nous avons constaté que les plus de 60 ans n’avaient donné en moyenne que 49% de leurs suffrages à la droite et 44% à la gauche, alors que d’habitude on était plutôt dans un rapport de 60% à 40%.»

Des déçus du sarkozysme qui ont aussi manifesté leur humeur en s’abstenant. Mais, toujours selon Guillaume Peltier, «il y a eu un grand tournant dès l’automne 2010. Cet électorat a semblé à nouveau conquis par les thématiques du "vivre ensemble" comme la lutte contre la récidive et l’encadrement du port de la burqa, mais aussi l’auto-entreprise avec laquelle beaucoup améliorent leur retraite ». Autant de signaux envoyés aux plus de 60 ans?

Certainement, répondent les politologues. Désaffection ou pas, difficile de concevoir que pour la première fois en 2012, les plus de 60 ans, fidèles dans leurs votes, boudent le candidat de la droite.

Une percée de François Hollande?

Malgré tout, il y a bien quelques inconnues: la montée de François Bayrou, et surtout, la bonne tenue de François Hollande. Le dernier baromètre IFOP Fiducial, publié mi-janvier, montre qu’il reçoit un bon score y compris chez les populations qui ne votent pas traditionnellement à gauche.

Ainsi, le candidat socialiste remporterait 29% des suffrages exprimés au premier tour chez les plus de 65 ans. Et l’emporterait de peu au second tour dans cette même catégorie et selon ce même baromètre. Les raisons de ce succès potentiel? Sa position de centre-gauche, son ancrage en province ou encore sa présence dans le champ politique depuis quinze ans.

Charlotte W., une ancienne restauratrice de 87 ans qui habite en Haute-Saône, ne sait pas encore pour qui elle votera. Elle dit s’être «trompée en 2007 en ayant choisi Sarkozy». Une «erreur» qu’elle s’apprêterait pourtant bien à reproduire:

«Finalement, pourquoi je changerais? Je ne comprends plus autant la vie qu’avant, et je ne m’en sors pas trop mal, j’ai ma pension et des aides pour mon chauffage.»

Simone B., 77 ans, une habitante d’un village de Côte-d’Or, n’a pas non plus arrêté son choix. «Sarkozy, je n’ai jamais voté pour lui et il n’est pas question que je le fasse», s’empresse toutefois de préciser cette femme de gauche. Et les gens de son village, marqué à droite? «Les personnes âgées, jamais tu sais pour qui elles votent, on ne parle jamais de politique entre nous, c’est secret», précise-t-elle.

Un «vieux» n’est pas égal à un autre «vieux»!

Pour Luc Rouban, chercheur au Cevipof et auteur d’une note sur le vote des seniors en septembre dernier, «il y a une vraie différence entre les 60/65 ans et les 80/85 ans: dans le détail, plus on va vers les 60 ans, plus on descend d’un cran en direction de la gauche». Surtout, selon lui, les facteurs les plus déterminants dans le vote, «avant l’âge», sont «le fait d’avoir travaillé dans le secteur public ou privé et la religion».

Alors, définitivement enterrée, la formule systématique «vote vieux=vote à droite» qui agace terriblement Jérôme Pellissier, psychogériatre et membre de l’Observatoire de l’âgisme, un collectif rassemblant chercheurs et associatifs?

«Quel rapport entre un ancien soixante-huitard, âgé aujourd’hui d’une soixantaine d’années, et une personne de 90 ans, plutôt dans le camp des gaullistes?», s’insurge-t-il. Il rappelle aussi ce phénomène: «La plupart des plus de 60 ans ne pensent pas à leurs problèmes mais s’inquiètent d’abord de l’avenir de leurs enfants et encore plus de celui de leurs petits-enfants. C’est la catégorie qui voit le plus loin vers l’avenir.» A la fois conservatrice et réformatrice, en somme.

Des signes forts à attendre à l'UMP

Une catégorie terriblement muette aussi, faute de représentants médiatisés et faute d’intérêt de la part du reste de l’opinion publique et du monde politique. Pour preuve, les questions de leur pouvoir d’achat, de la dépendance et de la santé, n’ont été pour l’instant qu’effleurées dans la campagne présidentielle.

Peut-on s’attendre à des signes forts dans la direction des plus de 60 ans? Oui, à en croire Guillaume Peltier de l’UMP, puisque la droite compte sur cet électorat. Pour Jean-François Martins, directeur de la communication du Modem, au contraire, «pas question de stigmatiser. On ne veut pas faire dans la segmentation, le clientélisme. Le projet de François Bayrou, le redressement, concerne tout le monde». Et la gauche? Le programme complet de François Hollande ne sera connu que jeudi. Lors de son premier grand meeting au Bourget, dimanche, c’est la jeunesse qui a eu toute son attention.

Lucie Romano

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