France

Prothèses PIP: le grand bazar mondial

Un mois après la spectaculaire décision d’explantation du gouvernement français, le plus grand désordre règne à l’échelon international. Plusieurs centaines de milliers de femmes sont inquiètes et aucune certitude médicale ne peut leur être fournie.

Un chirurgien retire une prothèse mammaire fabriquée par PIP, le 5 janvier, à Nice. REUTERS/Eric Gaillard
Un chirurgien retire une prothèse mammaire fabriquée par PIP, le 5 janvier, à Nice. REUTERS/Eric Gaillard

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On l’attendait. Le 17 janvier, soit un mois après le début des hostilités, l’OMS a parlé. Elle l’a fait via le GAR (Global Alert and Response), un système «d’alerte mondiale intégrée et système de réponse aux épidémies et autres urgences de santé publique».

Que recommande l’OMS aux 300.000 ou 400.000  femmes qui à travers le monde sont directement concernées par l’affaire des prothèses mammaires PIP? De consulter leur médecin ou leur chirurgien en cas de suspicion de rupture de la prothèse, de douleur, d'inflammation ou «de toute autre préoccupation».

Ainsi à la différence notable du gouvernement français, l’institution sanitaire onusienne ne recommande pas de procéder à l’explantation systématique de ces implants. Pour autant l’OMS vient, après d’autres autorités sanitaires, mettre en lumière les failles des systèmes réglementaires nationaux et internationaux concernant la sécurité des dispositifs médicaux implantables. A ce titre, elle vient ajouter à l’inquiétude de toutes les femmes concernées par les prothèses mammaires.

Comment a-t-on bien pu, en moins d’un mois, arriver à une situation à ce point incohérente? Comment s’est constituée une telle crise en dehors de toute démonstration apportée d’un risque cancéreux associé au port de ces implants? L’OMS rappelle que c’est en mars 2010 que les prothèses mammaires en silicone de la marque PIP ont été retirées de l'Union européenne.

Décision de Xavier Bertrand prise contre les avis d'experts

Cette décision avait fait suite à l’observation de l’augmentation des taux de rupture et la découverte par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) que le gel de silicone utilisé n’était pas de la qualité requise dans le cadre des procédures d’homologation.  

Les instances de régulation sanitaire d’un certain nombre de pays extérieurs à l’Union européenne ont pris des décisions équivalentes conduisant à un retrait généralisé du marché international. L’OMS rappelle également un fait qui a été peu médiatisé sauf par l'American Society of Plastic Surgeons (et relayé en France par le site santelog.com) que des implants produits par PIP ont également été commercialisés en Europe (en Allemagne notamment) sous la marque commerciale «M-Implants» par une société néerlandaise.

Ces données n’avaient pas soulevé d’émotion particulière avant la décision du gouvernement français, annoncée le 23 décembre 2011 par Xavier Bertrand, de recommander une explantation systématique aux 30.000 femmes porteuses de prothèses PIP.

Il est établi que cette décision avait été prise contre l’avis du collège multidisciplinaire des experts réunis sous l’égide de l’Institut national du cancer (INCa) qui avaient conclu qu'il n'y avait pas de risque accru de cancer, mais un risque établi s'agissant des ruptures et s'agissant du pouvoir irritant du gel sur les tissus mammaires.

Si la surveillance mise en place depuis 9 mois s’imposait aucun lien de causalité avec des lésions cancéreuses ne justifiait selon eux une telle recommandation présentée comme une forme de prévention. Cette recommandation ne pouvait résulter que d’un usage dévoyé parce qu’excessif du principe de précaution.

Variété de recommandations

La décision du gouvernement français eut l’effet que l’on pouvait imaginer sinon redouter. De nombreuses autorités sanitaires nationales ont émis leurs propres recommandations. Celles-ci ont varié de l’explantation «préventive» des implants mammaires PIP à la simple une surveillance étroite et au suivi des personnes concernées.

L’OMS fournit sur le site de GAR les liens donnant accès aux recommandations spécifiques formulées par les autorités sanitaires nationales de vingt-huit pays. Il apparaît ainsi que dans ce domaine la France n’a pas imposé son modèle sanitaire.  

«Les événements indésirables des implants mammaires comprennent la rupture de l'implant et les fuites, rappelle l’OMS. Le taux de rupture des prothèses PIP a été plus élevé que prévu en France mais les taux rapportés par d'autres autorités nationales varient.»

Et l’OMS d’estimer aujourd’hui que des informations complémentaires sont nécessaires pour cerner au mieux la réalité des risques associés à ces prothèses et pour pouvoir les comparer à celles commercialisées par d’autres firmes qui, depuis un an, n’ont plus PIP comme concurrent.  

A ce stade, plusieurs éléments originaux caractérisent cette affaire. Réunis, ils font que celle-ci se distingue radicalement des (nombreuses) crises sanitaires de ce dernier quart de siècle. L’élément central concerne l’absence de donnée permettant de faire un lien de causalité entre le fait, pour une femme, de porter des prothèses mammaires fabriquées par la société PIP et celui d’être victime d’une affection cancéreuse.

Aucun des critères habituellement utilisés pour conclure à une relation de causalité n’est ici retrouvé. Seul a été pris en compte le fait que l’on a diagnostiqué un cancer (le plus souvent un adénocarcinome du sein) chez une vingtaine de femmes porteuses de ces prothèses; ce qui ne fournit nullement une démonstration de relation causale.

Ce que la décision gouvernementale nous a apprus sur les dispositifs de contrôle

La recommandation gouvernementale française a conduit à s’interroger sur les conditions qui ont permis à une société de fabriquer et de commercialiser –durant dix ans et à l’échelon international— des prothèses à partir d’un gel de silicone qui n’était pas autorisé à cette fin. L’enquête en cours cherche à déterminer qui et quand savait quoi. Il apparaît que les petits secrets de fabrication étaient largement partagés au sein de l’entreprise.

Il apparaît aussi que les chirurgiens utilisateurs ne se sont guère précipités pour tenir le rôle de lanceur d’alerte auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Assaps). Et quand ils se sont tardivement inquiétés (comme ceux de l’importante clinique esthétique Phénicia de Marseille), l’Afssaps n’a pas réagi dans l’urgence.

On a ainsi rapidement mis en lumière les failles majeures du dispositif, qu’il s’agisse de l’instance nationale en charge de la sécurité sanitaire (l’Afssaps) ou du  groupe allemand en charge de la certification (TUV Rheinland). C’est ainsi que les chirurgiens devant aujourd’hui procéder aux très nombreuses explantations et réimplantations s’alarment de ne pas disposer de critères précis et fiables quant à l’innocuité des différentes marques de prothèses sur le marché français.

On a aussi à cette occasion découvert que les dispositifs médicaux implantables dans le corps humain n’étaient soumis à aucune contrainte de traçabilité. Cette situation rend en pratique impossible une surveillance exhaustive de leurs possibles effets secondaires indésirables. Pourtant, l’évaluation scientifique du risque sanitaire et (plus encore) sa gestion politique sont soumises à tous les aléas.

Dans le sillage de la recommandation française, diverses polémiques sont apparues dans les pays les plus concernés, en Europe et en Amérique du sud. Elles portent le plus souvent sur la prise en charge par la collectivité des frais de suivi et d’explantation chirurgicale de prothèses que la puissance publique avait autorisées à la commercialisation. Plusieurs actions en justice internationales se développent qui visent les principaux acteurs de l’affaire.

En France, l’idée (un moment avancée) d’une enquête parlementaire sur ce thème ne semble plus d’actualité; période pré-électorale oblige. Le président de la République a récemment assuré (comme il l’avait fait dans l’affaire du Médiator) qu’il voulait que soit faite «la transparence la plus totale». Saisie, la justice y parviendra-t-elle?

Jean-Yves Nau

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