Économie

AA+: Le thermomètre oublié, le malade peut se soigner

La France reste une puissance économique et financière, mais doit remettre en question ses choix économiques pour restaurer ses capacités industrielles. Il n’y a pas de fatalité. Il faut juste, pour l’Etat, faire preuve de volonté.

<a href="http://www.flickr.com/photos/garryknight/2840461111/">Cool Running</a> / Garryknight via Flickr CC License By
Cool Running / Garryknight via Flickr CC License By

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Voilà, c’est fait, la France a perdu son triple A: on va pouvoir s’intéresser à la maladie et oublier le thermomètre. Notons au passage que cette dégradation d’un cran de l’agence Standard & Poor’s est moins sévère que celles, de deux crans, qui l’ont accompagnée pour l’Espagne, l’Italie, le Portugal et Chypre.

Mais même si les marchés avaient déjà anticipé cet état de fait dans la mesure où la France doit déjà consentir des taux de 3,3% pour ses emprunts à 10 ans (contre 1,8% pour l’Allemagne), il y aura des conséquences pour l’économie françaises et le budget des foyers.

Des entreprises comme la SNCF qui s’appuient sur la signature de la France pour emprunter sur les marchés vont aussi se trouver pénalisées. Même au niveau européen, cette situation va compliquer le fonctionnement du FESF (Fonds européen de solidarité financière) qui doit venir en aide aux pays les plus fragilisés.

Pas de surprise, passons à autre chose

Certes, on peut espérer que, comme pour les Etats-Unis en août dernier, la perte du triple A n’engendre pas une tension plus grande des taux d’intérêt. Mais la France n’est pas l’Amérique. Une hausse d’un point alourdirait de l’ordre de 10 milliards d’euros le montant cumulé des intérêts de la dette servis sur cinq ans.

Forcément, lorsqu’on doit faire face à une dette de l’ordre de 1.760 milliards d’euros et que les prévisions d’emprunt pour l’année en cours portent sur 178 milliards d’euros, les effets peuvent devenir très vite très lourds. 

Pourtant, là n’est pas le principal. De toute façon, après la mise sous surveillance pour trois mois de la France par Standard & Poor’s à la mi-octobre 2011, les probabilités d’échapper à la dégradation étaient quasiment nulles. Face à une crise de nature systémique, qui a touché la France mais englobe tout le monde occidental, les remèdes ne peuvent être mis en place et produire leurs effets dans un laps de temps aussi court.

Les plans d’austérité de circonstance à la Prévert des mois d’août et novembre 2011, concoctés par le gouvernement Fillon, ne sont que des expédients. Du même coup, une fois tournée la page de la perte du triple A, le moment est propice pour une réflexion en profondeur sur la situation économique de la France et les causes de son dérapage.

Un électrochoc permet-il d’inverser la vapeur ?

La situation pourrait même créer un électrochoc salutaire. Car la France dispose de ressources. Même avec une dette qui représente de l’ordre de 87% de son PIB, elle n’est pas asphyxiée.

En revanche, il faut bien admettre que les performances de son économie ne cessent de se dégrader, ce qui se traduit, par exemple, par un déficit croissant de son commerce extérieur depuis 2004. C’est la dernière année où la balance commerciale fut excédentaire.

En 2011, le déficit commercial va atteindre 75 milliards d’euros. Et on soulignera seulement que le secteur manufacturier ne représente plus que 16% de la valeur ajoutée en France, la moyenne en Europe étant à 22%, et même à 30% en Allemagne. Nicolas Sarkozy lui-même en a fait le diagnostic.

Les alertes se multiplient. L’économiste Patrick Artus souligne que la France ne réalise plus que 3,5% des exportations mondiales contre 6,5% –près du double– à la naissance de l’euro. Le problème ne tient pas à la monnaie européenne, ni à l’Europe.

Comment expliquer alors que l’Allemagne enregistre, elle, un excédent de 150 milliards d’euros de son commerce extérieur? Les deux pays partagent la même monnaie, mais les exportations françaises ne représentent plus que 35% des exportations allemandes, contre 56% en 2000.

En outre, comme le remarque l’Institut de l’entreprise, «c’est d’abord dans la zone euro que la France décroche –les parts de marché françaises dans le total des exportations intra-européennes sont passées de 13% en 2000 à 9% en 2010». Or, à l’intérieur de la zone euro, les pays partagent la même monnaie. Le problème français est ailleurs.

Il ne tient pas non plus dans le nombre d’heures travaillées par les Français, soit-disant insuffisant pour mieux clouer les 35 heures au  pilori, alors que la défiscalisation des heures supplémentaires depuis 2007 n’a pas eu les effets escomptés -ce qui montre bien que le problème du «travailler plus» ne réside pas dans la réglementation sur le temps de travail, mais dans le plan de charge des entreprises.

Revenir sur la priorité donnée au court terme et à la finance

En revanche, le modèle économique choisi par la France dans les années 80 pose un vrai problème. Les réflexions convergentes sont de plus en plus nombreuses. C’est celle par exemple de Lasaire, le Laboratoire social d'action, d'innovation, de réflexion et d'échanges présidé par Jean-Cyril Spinetta, patron d’Air France-KLM. Ce cercle de réflexion relève que, «depuis un quart de siècle, tout se passe comme si, après l’agriculture, l’industrie avait été frappée d’un désamour».

Dans un contexte de dérégulation libérale, les entreprises ont connu un changement managérial avec la primauté donnée aux actionnaires sur les partenaires internes à l’entreprise, et donc aux objectifs financiers à court terme sur les objectifs industriels à long terme. Résultat, 725.000 emplois supprimés de 2000 à 2010 dans l’industrie, soit une diminution de près de 18% en dix ans.  Tout le monde le reconnaît.

Quand Beffa et Mer misent sur les syndicats

Un autre patron fait clairement la critique du modèle libéral financier dans lequel la France s’est engouffrée dans les années 80: Jean-Louis Beffa, qui dirigea Saint-Gobain, estime qu’une cause profonde des problèmes «vient du sentiment hélas légitime que nombre d’entreprises ne cherchent plus aujourd’hui qu’à maximiser des rendements financiers à court terme, et non l’intérêt de toutes les parties prenantes».

Ce qui s’est traduit sur le long terme par une désindustrialisation à l’origine de la dégradation de la balance commerciale française et des problèmes sur le marché de l’emploi.

Dans son livre La France doit choisir, il critique la place accordée aujourd’hui aux actionnaires qui «participe d’une déconnexion entre économie financière et économie réelle», et vante le modèle de  l’intérêt partagé sur base de cogestion à l’allemande.

Comme Francis Mer, ex-patron d’Usinor et ancien ministre de l’Economie de droite, qui insiste sur le rôle positif joué aujourd’hui par les syndicats dans les entreprises, Jean-Louis Beffa estime qu’on pourrait compter sur eux pour adhérer à une politique prônant une action industrielle forte.

Sortir l’Etat de son inertie dans l’économie

En fait, les constats vont dans le même sens: les problèmes de compétitivité relèvent de facteurs structurels, qui ne sauraient être résolus par la déflation salariale ou une dévaluation compétitive, insiste l’Institut de l’entreprise: «Il faut s’attaquer au déclin de la productivité et à l’inadéquation relative de l’offre française vis-à-vis de la demande, plus qu’au coût du travail». Venant d’entrepreneurs, l’analyse est intéressante.

Jean-Louis Beffa, dans le même registre, appelle l’Etat qui a abandonné les rênes au marché financier, à reprendre son rôle d’antan en jouant notamment sur la fiscalité. Objectif: «mettre fin à la primauté absolue de l’actionnaire».

Un mouvement qui doit permettre de restaurer des visions industrielles de long terme, et une hiérarchisation dans les objectifs. Or, c’est cette absence de hiérarchisation des objectifs de long terme qui entraîne  l’augmentation des déficits pour résoudre les problèmes budgétaires de court terme.

Plus qu’un A de plus ou de moins pour qualifier sa dette, c’est de cette remise en question dont la France a aujourd’hui besoin.

Avec un Etat redevenu actif non pas pour jouer le rôle qui incombe aux entreprises, mais pour favoriser l’émergence des programmes industriels ambitieux, comme en Chine et en Allemagne, mais aussi en Corée ou au Japon. Il s’agit là d’un choix de politique économique. On ne saurait imaginer meilleur moment qu’une période pré-électorale pour ouvrir le débat.

Gilles Bridier

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