France / Politique

On a revu le discours de Sarkozy du 14 janvier 2007

Références, promesses, stratégie, soutiens: retour sur le discours par lequel le président de la République lançait sa campagne il y a cinq ans quasiment jour pour jour.

Nicolas Sarkozy lors de son investiture, le 14 janvier 2007. REUTERS/Philippe Wojazer.
Nicolas Sarkozy lors de son investiture, le 14 janvier 2007. REUTERS/Philippe Wojazer.

Temps de lecture: 6 minutes

Hasards du calendrier: cette année, l'élection présidentielle a lieu aux mêmes dates qu'en 2007, le 22 avril et le 6 mai. Il y a cinq ans, Nicolas Sarkozy et François Bayrou étaient déjà candidats; les deux autres «grands» candidats, François Hollande et Marine Le Pen, étaient l’un premier secrétaire du PS, l’autre directrice stratégique de la campagne de son père...

A partir du samedi 14 janvier et jusqu'au 6 mai, Slate retracera de manière quotidienne les évènements qui ont marqué la campagne cinq ans avant jour pour jour. En prélude, retour sur le discours d’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007.

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Un budget de 3,5 millions d’euros, 70.000 militants, un escalier bleu-blanc-rouge et une mise en scène signée Didier Froehly de la Nouvelle Star: au Palais des congrès de la Porte de Versailles, le 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy fait son entrée en campagne. Quatre-vingt minutes durant, le candidat de l'UMP s'exprime face aux adhérents qui l'ont désigné sans opposition, avec pour objectif, comme il l’expliquait quelques jours auparavant, de «trouver un style, un ton, une musique».

Un pari réussi au vu des retombées médiatiques: à l’époque, même Libération, par la voix de son patron Laurent Joffrin, y voit «une performance impressionnante», tandis que le Monde estimait récemment que le candidat avait «tout mis sur la table». Jean-Pierre Raffarin a d'ailleurs suggéré au chef de l’Etat de présenter sa candidature à la date symbolique du 14 janvier 2012, et son porte-parole, Franck Louvrier, a vu dans ce discours le tournant de la campagne: 

«Les gens parlent de son intervention, celle-ci infuse dans le pays. Ce discours, c'est un moment de rencontre, de fusion, entre une personnalité, toutes les idées qu'il a pu développer depuis la parution de son livre, Libre, en 2001, et un pays.»

De ce discours, on a notamment retenu une formule célèbre où le candidat mêlait son destin politique à ses récents ennuis conjugaux («J'ai changé. […] J'ai changé parce que l'élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. […] J'ai changé parce que les épreuves de la vie m'ont changé») mais on trouve beaucoup d'autres choses le long de ses quatre-vingt minutes: un imaginaire historique, une bande-annonce des réformes à venir, un positionnement politique, une photo de famille. Flash-back.

Jeanne d’Arc et Jaurès toujours présents

Du discours du 14 janvier 2007, des linguistes ont pu écrire qu’il a fait entrer Sarkozy dans une dimension «fictionnelle», peuplée de personnages de l’histoire de France. Sous la plume d’Henri Guaino défile une litanie de héros de la Résistance (De Gaulle, Jean Moulin, Guy Môquet, Georges Mandel, dont Sarkozy est le biographe), de victimes de l’Histoire (les morts de la Shoah du mémorial de Yad Vashem, les moines de Tibhirine), d'écrivains (Camus, Hugo, Voltaire, Zola)… Et surtout des figures socialistes: «Ma France, c'est celle des travailleurs qui ont cru à la gauche de Jaurès et de Blum et qui ne se reconnaissent pas dans la gauche immobile qui ne respecte plus le travail», scande le candidat, vantant la «grande voix» de Jaurès.

Cinq ans après, cet imaginaire historique reste très présent: l’historien Nicolas Offenstadt notait récemment dans La Croix que le président «fait un usage intensif de l’histoire». S’il n’a pas fait référence à Guy Môquet (dont la lecture de la dernière lettre dans les lycées avait fait polémique) depuis le printemps 2008, il a évoqué Jaurès en 2011 dans le discours prononcé à Montboudif (Cantal) pour les cent ans de la naissance de Georges Pompidou, associant les deux hommes dans une même «République des instituteurs».

Henri Guaino y a lui fait allusion de manière plus explicitement politique dans un récent entretien au Parisien, disant ne pas reconnaître dans la gauche actuelle «l'idéal de la gauche de Jaurès, de Blum ou de Mendès France».

Un coup à gauche, un coup à droite. Après Jaurès, Jeanne d’Arc: le 6 janvier dernier, à Vaucouleurs (Meuse), le président a prononcé un discours très politique pour les 600 ans de la naissance de Jeanne d’Arc, dénonçant «ceux qui voudraient s'en servir pour diviser». Et a employé des termes proches de ceux de son discours de la porte de Versailles: en 2007, c’était «La France, elle a 19 ans et le visage lumineux d’une fille de Lorraine», en 2012 «Jeanne fut en vérité le visage de la première résistance française, […] l’un des plus beaux visages de la France».

Que reste-il des ouvertures?

Candidat de la «droite républicaine», Nicolas Sarkozy développe le 14 janvier 2007 deux ouvertures politiques. L’une vers les électeurs des extrêmes, «non parce qu'ils croient à leurs idées mais parce qu'ils désespèrent de se faire entendre», et à qui il veut tendre la main. L’autre vers l’autre camp en général, affirmant sa volonté de passer «par-delà les engagements partisans»:

«Je demande à mes amis qui m'ont accompagné jusqu'ici de me laisser libre, libre d'aller vers les autres, vers celui qui n'a jamais été mon ami, qui n'a jamais appartenu à notre camp, à notre famille politique, qui parfois nous a combattu.»  

L’un comme l’autre vœu avaient semblé se réaliser avec le spectaculaire chute du FN (1 million de voix en moins à la présidentielle) puis l’entrée au gouvernement de plusieurs personnalités rattachés à la gauche, comme Bernard Kouchner, Eric Besson, Martin Hirsch, Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Jouyet.

Depuis, après avoir poursuivi sa baisse à toutes les élections intermédiaires (municipales, européennes, régionales) entre 2008 et 2010, le FN a connu un rebond aux cantonales de 2001 —15% des voix, deux élus— et est donné entre 17% et 21,5% au premier tour par les sondages publiés depuis le 1er janvier. Et des cinq ministres d'ouverture du gouvernement, il ne reste plus qu'Eric Besson.

Les promesses: appliquées, oubliées, rognées, ressuscitées

Dans le discours de janvier 2007 se côtoient grandes formules (la «démocratie irréprochable», «l’Etat impartial», la «République réelle» opposée à la «République virtuelle», la laïcité non comme «combat contre la religion» mais comme «respect de toutes les religions») et promesses très précises. Centrées, dans leur grande majorité, sur l’économie et le social (l’éducation et la sécurité, par exemple, sont très peu abordées) et dont il est possible d’évaluer la mise en œuvre.

Il y a celles qui ont été mises en œuvre: le service minimum dans les transports (dont l’application était jugée «globalement satisfaisante» par un rapport bipartisan de 2009), la ratification des nominations par une commission parlementaire (qui n’a pas mis fin aux polémiques, la plus récente étant l’affaire Xavier Musca) ou l’adoption rapide d’un traité simplifié européen.

Celles qui ont été votées mais détricotées: le «paquet fiscal» de l’été 2007 a vu la plupart de ses mesures (déductibilité des intérêts des emprunts immobiliers, allègement des droits de succession, bouclier fiscal à 50%...) rabotées voire supprimées; le crédit impôt recherche, que Nicolas Sarkozy voulait fortement muscler et qui avait été déplafonné la première année du candidat, a été diminué pour réaliser des économies.

Celles qui ont été partiellement instituées: un service civique a bien été créé en mars 2010, mais sur la base du volontariat, alors que Sarkozy le voulait obligatoire; l’introduction des jurés populaires en correctionnelle n’a pour l’instant lieu qu’à titre expérimental dans quelques départements.

Celles qui sont revenues in extremis: la conditionnalité des minimas sociaux au travail ou la TVA sociale («taxer les importations qui ne respectent pas les normes internationales plutôt que le travail, […] la consommation plutôt que l’emploi»).

Et celles, enfin, qui ont été laissées de côté pour l’instant: la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’investissement et des créations d’emplois, la création du contrat de travail unique ou la taxe carbone («taxer le pollueur plutôt que le travailleur»).

Les disparus de la photo de famille

Le 14 janvier 2007 était aussi une journée de photos de famille, avec ses nouveaux convives (Rama Yade, que Nicolas Sarkozy interpelle dans son discours à propos de Félix Eboué, ou Rachida Dati, qui sera nommée dans la foulée porte-parole du candidat) et ses invités relégués en bout de table (Dominique de Villepin, passé une demi-heure rencontrer Sarkozy sans participer au vote des militants).

Cinq ans plus tard, certains ont disparu du cliché. Des trois lieutenants chiraquiens, l’une, Michèle Alliot-Marie, a dû démissionner après neuf ans passés au gouvernement à cause de la polémique sur ses vacances en Tunisie; l’autre, Jean-Louis Debré, devenu président du Conseil constitutionnel, a régulièrement agacé l’Elysée; le troisième, Dominique de Villepin, est cette fois candidat. Des sarkozystes, Patrick Devedjian a pris ses distances du fait des rivalités dans les Hauts-de-Seine et Eric Woerth a dû quitter le gouvernement après l’affaire Bettencourt.

Des nouvelles figures promues par Nicolas Sarkozy, Rama Yade a quitté l’UMP pour le parti radical tandis que Rachida Dati est entrée en dissidence interne à Paris. Et parmi les autres dirigeants présents ce jour-là, Philippe Douste-Blazy s'est rallié à François Bayrou et Christine Boutin menace de suivre le même chemin…

Et si on ne sait pas encore quelles nouvelles têtes figureront sur la photo de famille de Sarkozy 2012, on sait déjà qu’elles ont changé en face: ce 14 janvier 2007, c’était Ségolène Royal, en déplacement de campagne dans son Poitou, la candidate socialiste, et Dominique Strauss-Kahn le préposé du jour à la riposte contre «l’agitation» et la possible «dangerosité» du candidat de l’UMP.

Et le JT de 20 heures de France 2, dont un quart était consacré à l’investiture de Sarkozy, se terminait par une rencontre avec une chanteuse qui sortait son second album, No Promises: Carla Bruni.

Jean-Marie Pottier

Photo de Nicolas Sarkozy lors de son déplacement dans la Meuse, le 6 janvier 2012: Présidence de la République/L. Blevennec. Photo de Jean-Louis Debré, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin le 14 janvier 2007: images France 2/Ina.

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