France

La France de la solitude: une personne sur sept vit seule

Vous êtes «résident seul»? Pas très original: en France la proportion de vos semblables a doublé en un demi-siècle. Pourquoi?

A Nice en 2009. Eric Gaillard / Reuters
A Nice en 2009. Eric Gaillard / Reuters

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Gilbert Léopold Silly est né le 24 octobre 1927 à Toulon. Il est mort 74 ans plus tard à Paris des suites d’un cancer du fumeur sous le nom de Gilbert Bécaud. Après la Seconde guerre mondiale, Gilbert a planétarisé quelques chansons françaises.

En marge de son genre foldingue, ce survolté des Trente glorieuses a fréquemment laissé percer ses désespérances. Il y eut Et maintenant (1961 avec Pierre Delanoë). Et puis cette paradoxale conséquence de la séparation amoureuse clamant l’inexistence de la solitude (1970 avec –toujours— Pierre Delanoë).

Quand Bécaud commence à émouvoir dans les chaumières avec «Et maintenant», les démographes recensent en France 6% de personnes résidant seules. Elles sont aujourd’hui plus du double. C’est l’un des enseignements de l’étude que vient de publier l’Institut national d’études démographiques (Ined)  sous la signature de Laurent Toulemon et Sophie Pennec, dans la dernière livraison de la revue Population & Sociétés. Les chiffres publiés sont issus des analyses du dernier recensement daté de 2007. 

Parmi les 61,8 millions d’habitants de la France métropolitaine figurant dans ce recensement, 8,764 millions étaient recensés comme «vivant seuls»; soit  5,2 millions de femmes et 3,6 millions d’hommes. Depuis cinquante ans, cette proportion n’a cessé d’augmenter de manière régulière passant de 6% à 14%. Ce phénomène a triplé chez les hommes (de 4 à 12) et doublé chez les femmes (de 8 à 16).  

Multiples changements d'époques

Ces données sont un symptôme assez éclairant des mutations socioculturelles vécues par la population française en un demi-siècle. Ainsi les raisons conduisant à résider seul aux différents âges de la vie a nettement évolué. En 1962, il s’agissait pour l’essentiel des personnes (et surtout des femmes) âgées. Chez les jeunes qui entraient dans la phase d’une sexualité active la mise en couple correspondait le plus souvent au départ du domicile parental; ou en était peu éloignée dans le temps.

Entre 1962 et 1982, la résidence seule augmente entre 20 et 30 ans, du fait de la diffusion des études supérieures et de l’autonomisation accrue des jeunes, femmes et hommes. Puis entre 1982 et 2007, le retard progressif du début de la vie en couple chez les jeunes conduit à un doublement de la proportion de ceux résidant seuls dans leur logement.

C’est aussi à cette époque que les ruptures d’union sont devenues plus fréquentes. D’où une diminution de la vie en couple et une augmentation de la proportion des personnes résidant seules. Par ailleurs, entre 60 et 80 ans, la baisse de la mortalité (et donc du veuvage) et l’augmentation des ruptures d’unions se compensent. Puis dans la zone des «grands âges» (soit au-delà de 80 ans ou 90 ans) la proportion de personnes habitant seules continue à progresser.

C’est que, contrairement à une opinion assez répandue, l’entrée en institution est plus tardive d’une génération à l’autre, tandis que les cohabitations avec les enfants diminuent fortement: le meilleur état de santé des personnes âgées et l’amélioration de leur niveau de vie permettent davantage d’autonomie.

Ecarts homme femme du pic de «vie seule»

Les «transitions familiales» (périodes qui conduisent à résider seul) varient considérablement selon le sexe et surtout avec l’âge. Les jeunes femmes quittent en moyenne le foyer parental plus tôt que les jeunes hommes. Cause ou conséquences: elles se «mettent en couple» également plus tôt même si  elles sont légèrement plus nombreuses à résider seules vers 20 ans.

Après 22 ans, la «vie seule» diminue pour les femmes et ce jusqu’à un minimum de moins de 8% à 40 ans, avant de repartir fortement à la hausse avec l’avancée en âge (55 % à 80 ans). Chez les hommes, le pic «vie seule» est, avec 20%,  atteint vers 26 ans, puis diminue et reste stable (à 15%) jusqu’à 70 ans.

«L’augmentation très importante avec l’âge de la proportion de femmes seules résulte des ruptures d’union par décès du conjoint, souvent à partir de 52 ans. Ces ruptures sont plus importantes pour les femmes que les hommes. Elles résultent aussi  du départ des enfants dans les familles monoparentales, précisent les chercheurs de l’Ined. A l’inverse, les hommes habitent plus souvent seuls que les femmes avant 50 ans, notamment après une rupture d’union ; à ces âges les mères séparées de leur conjoint vivent plus souvent avec leurs enfants.»

Sans doute le fait d’être statistiquement recensé dans la catégorie «vit seul dans son logement» ne correspond-il pas toujours ipso facto à la dimension philosophique et existentielle de la solitude. On sait, ou on imagine, que cet état peut être intensément vécu au sein d’un groupe, familial ou pas. Et le solitaire peut ne pas souffrir de l’être. Il n’en reste pas moins que la vie seule est moins souvent un choix assumé qu’une fatalité subie, source de pathologies diverses et variées.

Vivre seule en permanence

Que nous disent l’Ined et les agents de la méthodologie du recensement? Que la catégorie «vit seul dans son logement» s’appuie avant tout sur des conventions visant à cerner autant que faire se peut la réalité du logement de nos contemporains, tous âges confondus.

En pratique, les personnes vivant en ménage collectif (foyer de travailleurs, cité universitaire ou foyer d’étudiants, maison de retraite, hôpital de long séjour, communauté religieuse, centre d’hébergement, établissement pénitentiaire, caserne) sont recensées à part. il en est de même pour celles vivant dans des habitations mobiles, les mariniers et les sans-abris.

La catégorie la plus simple des 14% d’habitants qui vivent seuls regroupe les personnes qui vivent en permanence seules dans un seul logement. Elles représentent 12,5 % des habitants; on peut y ajouter les rares personnes qui disposent de deux logements où elles vivent seules (0,2%): au total 12,7% des habitants vivent toujours seuls.

1,5 % des habitants résident parfois seuls. Certains ont deux logements et vivent seuls dans l’un d’entre eux (0,6%); d’autres vivent dans un unique logement et sont seuls une partie du temps seulement, parce qu’ils résident avec des personnes qui sont parfois dans le logement, parfois ailleurs (0,9%). C’est donc une personne seule sur dix qui ne réside «pas tout à fait» seule.

Multirésidence

Disposer de deux logements implique le plus souvent de résider avec d’autres dans au moins un de ces logements: à tous les âges les personnes concernées sont moins souvent «toujours seules» que celles qui résident dans un seul logement.

Question: les personnes recensées «seules» dans leur logement vivent-elles toujours seules? Recenser c’est compter des logements et, dans ces logements, des habitants. Les données qui en sont issues postulent que chaque personne est affectée à un logement et un seul.

On sait cependant qu’en France une fraction non négligeable des habitants partage son temps entre plusieurs résidences habituelles. Les enquêtes réalisées par l’Insee font que l’on estime à 3,3% le pourcentage de la population qui est dans cette situation dite de «multirésidence».

Chez les enfants, la multirésidence augmente avec l’âge, au fur et à mesure des ruptures parentales, puis atteint un maximum à 20 ans, âge où 1 jeune sur 9 partage son temps entre plusieurs résidences habituelles. Très rare vers 35 ans (moins de 1 %), la multirésidence devient plus à nouveau fréquente avec l’âge, jusqu’à atteindre 4% vers 65 ans. Avant de diminuer à nouveau aux âges plus élevés où les sphères d’autonomie vont en se restreignant de manière irréversible.

En 1970, Bécaud démontre l’inexistence de la solitude et la même année Léo Charles Albert Antoine Ferré (1916 – 1993) prolonge le propos. Peinard.  Un peu moins de cinq minutes.

Jean-Yves Nau

Note : Les données des recensements français  sont téléchargeables sur Internet  de même que des  données individuelles de très nombreux pays du monde, dont la France, grâce au travail de mise à disposition par, dans le cadre du projet Integrated Public Use Microdata de l’université américaine du Minnesota.

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