France

PIP: l’Afssaps encore aux abonnées absentes

Après celle du Médiator, l’affaire des prothèses mammaires fragilise cette puissante agence sanitaire exerçant au nom de l’Etat dans une situation à haut risque. Pourquoi de telles défaillances ?

Les poitrines de patientes porteuses de prothèses mammaires, dans une clinique de Nice, en décembre 2011. REUTERS/Eric Gaillard
Les poitrines de patientes porteuses de prothèses mammaires, dans une clinique de Nice, en décembre 2011. REUTERS/Eric Gaillard

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C’est l’une des clefs de voûte du dispositif français de sécurité sanitaire. Et cette clef de voûte vacille après la recommandation gouvernementale faite aux 30.000 femmes concernées de procéder à l’explantation de leurs prothèses mammaires. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est entrée à son tour dans la tourmente de cette affaire sans précédent.

Agissant au nom de l’Etat, cette agence est dotée de pouvoirs et de moyens substantiels. Au travers de l’affaire du Médiator, elle avait été la cible de critiques ciblées et récurrentes dans sa gestion de la sécurité sanitaire des médicaments. Avec les prothèses mammaires PIP la voici aujourd’hui soupçonnée d’avoir également failli dans le domaine des dispositifs médicaux implantables. 

L’Afssaps est-elle ou non véritablement fiable? Réponse en cinq points.

1. Qu’est-ce que l’Afssaps?

Près de 1.000 professionnels salariés et plus de 2.000 experts réguliers ou occasionnels; des laboratoires à Saint-Denis, Lyon et Montpellier et un budget de fonctionnement de 115,5 millions d’euros pour 2010. L'essentiel des recettes de l’Afssaps provient des taxes et redevances prélevées sur l'activité de l'industrie pharmaceutique.

Du fait de la volonté du pouvoir politique, cette Agence est au fil du temps devenue une composante essentielle du système français de santé publique entièrement refondé à partir de 1993 après les affaires du sang contaminé par le virus du sida.

L’Afssaps a été créée par la loi du 1er juillet 1998 instituant un nouveau dispositif de veille et de sécurité sanitaire. Elle a officiellement pour mission essentielle «d’évaluer les bénéfices et les risques liés à l’utilisation des produits de santé». Pour cela, «son activité d’évaluation, de contrôle et d’inspection est fondée sur une expertise de haut niveau permettant de rendre disponibles des produits de santé aussi sûrs que possible».

«Prenant en compte les besoins thérapeutiques et les impératifs de continuité des soins, elle contribue, par ses diverses formes d’intervention, à ce que les risques inhérents à chaque produit puissent être identifiés, analysés et maîtrisés dans toute la mesure du possible», explique-t-on auprès de cette agence. 

Expertise «de haut niveau», identification, analyse et maîtrise du risque: pour remplir ses différentes missions, la direction générale de l’Afssaps précise qu’elle prend, chaque année, «plusieurs dizaines de milliers» de décisions. Et elle peut aussi être amenée ultérieurement à rendre des comptes concernant des décisions qu’elle a prises, ou pas. Ce fut le cas il y a peu avec le Médiator. C’est le cas aujourd’hui avec les implants mammaires.

2. La genèse de l’affaire des prothèses PIP

L’Afssaps avait deux ans. Début 2000, les autorités sanitaires américaines avaient été alertées par la qualité a priori douteuse de certaines prothèses mammaires d’origine française commercialisées sur le sol des Etats-Unis. Inconnues du grand public ces prothèses étaient fabriquées par la firme Poly Implants Prothèses (PIP) basée à La Seyne Sur-Mer (Var).

La Food and Drug Administration (FDA) dépêche du 11 au 17 mai 2000 un de ses inspecteurs au siège de l'usine varoise pour en savoir plus le processus de production et de certification des prothèses du groupe. Cette inspection révèle assez rapidement un nombre non négligeable de manquements à la conformité.

Un courrier daté du 22 juin de la FDA adressé à son patron Jean-Claude Mas résume alors le constat. Il  mentionne une série de onze anomalies concernant les méthodes utilisées, les locaux et les installations qui n’étaient pas conformes aux pratiques de production de référence. Parmi elles, la FDA cite «l'incapacité à établir et à maintenir des procédures de vérification» de la conformité des prothèses.

La FDA reprochait alors aussi à PIP de ne pas avoir signalé à l'agence américaine, comme le veut la loi, l'existence d'une centaine de plaintes déposées en France à propos de ces prothèses de janvier 1997 à juillet 2000 ainsi qu'au moins vingt autres plaintes en provenance d'autres pays durant la même période. Etonnant courrier dont on semble ne retrouver la trace qu’aujourd’hui.

La FDA avait-elle alors communiqué les résultats de son inspection aux autorités sanitaires françaises et plus précisément à l’Afssaps? Interrogée le 27 décembre par l’Agence France Presse une porte-parole de la FDA  a précisé:

«Notre lettre de mise en garde a été rendue publique en 2000 et, étant donné le temps écoulé depuis, je n'ai pas pu avoir la confirmation que ces informations ont été transmises à la France. Mais généralement, quand la FDA mène des inspections dans des pays étrangers, les autorités de ces pays sont informées de notre présence sur leur territoire. »

Il faut ici préciser que les produits visés par l’inspection de la FDA étaient des implants mammaires constitués de solution saline différents des prothèses de PIP à base de gels de silicone pour lesquelles le gouvernement français vient de recommander l’explantation «à titre préventif et sans caractère d'urgence» chez les 30 000 femmes qui en portent. L’inspection de la FDA portait en outre sur la défectuosité et non sur la dangerosité des prothèses.

Si la FDA était au courant de ces anomalies, l’Afssaps pouvait-elle ne pas savoir? Si oui pourquoi ? Il semble bien difficile de croire que l’agence française n’a pas été amenée à surveiller, directement ou non, avec la plus grande attention une société qui occupait une place centrale, en France et à l’export, dans cette activité industrielle. A fortiori s’il existait déjà plus d’une centaine de plaintes visant ces prothèses.  Et pourtant rien ne semble s’être passé.

3. Les derniers développements en date de l’affaire

Le non respect de la réglementation par la société PIP est aujourd’hui avéré. Me Yves Haddad, l’avocat de PIP, reconnaît publiquement que la majorité des implants siliconés de la société étaient fabriqués avec du gel non conforme depuis sa création 1991.

S’il entend élargir le spectre des responsabilités et pointe du doigt celle des chirurgiens («Ce sont quand même les chirurgiens qui ont implanté ces prothèses mammaires dans le corps des femmes, ils devraient intervenir un peu plus pour dire quel est leur sentiment et quelle est leur position», a-t-il déclaré à Reuters), Me Haddad a d’autre part amorcé une contre-attaque en s'interrogeant sur l'intervention, tardive selon lui, des autorités de contrôle sanitaire de la société. Il souligne ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) n'est ainsi intervenue qu'à la suite d'une dénonciation anonyme datant de 2010. 

De fait, le début de l’affaire ne date que de mars 2010 quand l’Afssaps a demandé le retrait du marché des implants mammaires en gel de silicone de Poly Implant Prothèses. L’Agence avait alors été directement alertée par des chirurgiens plasticiens confrontés à des ruptures de l'enveloppe prothétique, ruptures semble-t-il plus fréquentes chez les implants PIP.

Et c’est cette alerte qui a mobilisé  pour la première fois l’Afssaps. Lors de leur inspection du site de production, les inspecteurs de cette agence devaient découvrir que le gel de silicone utilisé était différent de celui qui avait été déclaré lors de la mise sur le marché. Question : l'Afssaps aurait-elle agi sans cette dénonciation anonyme? Si des produits étaient fabriqués avec du gel non conforme, l'Afssaps «n'avait pas le droit de l'ignorer. Si elle l'ignorait, c'est qu'elle est négligente», estime l'avocat de la firme.

L'Afssaps explique quant à elle ne pas avoir retrouvé la trace, datée de 2000, d'un avertissement de la FDA américaine. Elle précise qu'elle n'avait pas à être obligatoirement mise au courant pour un problème qui n'était pas de type sanitaire à l'époque.

Mais l’affaire se complique avec le fait que les missions de contrôle avaient été déléguées à un organisme allemand de certification CE (le groupe TÜV Rheinland) contre lequel des femmes porteuses de prothèses PIP viennent d’ailleurs d’annoncer leur intention d’engager des poursuites. TÜV Rheinland, qui devait effectuer chaque année un audit de la société varoise, a pour sa part déjà porté plainte contre PIP estimant que ses experts «ont été trompés manifestement en totalité et constamment par l'entreprise PIP, au détriment des femmes concernées». 

«L'entreprise PIP pratiquait des fabrications en désaccord total avec leur dossier de mise sur le marché, alors que leur documentation sur les lots fabriqués était conforme. Donc il y avait falsification de la documentation, ce qui rend évidemment les audits très difficiles», s’est défendu sur TF1/LCI Jean-Claude Ghislain, directeur de l'évaluation des dispositifs médicaux à l'Afssaps. 

Les audits semblent se faire sur un «référentiel documentaire» sur document papier  - des papiers ! -  associés à une visite sur site pour interroger l'industriel, prévenu,  sur son processus de fabrication. Et l'Afssaps d’indiquer qu’elle ne dispose, en termes d'inspecteurs des dispositifs médicaux, que de seulement «six équivalents temps plein».

En somme personne, n’a rien vu jusqu’au moment où la firme a été dénoncée. On pourrait rêver d’un système sanitaire un peu plus performant.

4. L’affaire du Médiator

L’image de l’Afssaps avait déjà récemment singulièrement pâti de la découverte a posteriori des conséquences sanitaires de ce médicament coupe-faim des Laboratoires Servier. Le Médiator avait été autorisé à la commercialisation en 1976 et laissé sur le marché français, sans aucune raison pharmacologique, jusqu’en 2009.

Des enquêtes statistiques rétrospectives (menées à la demande de l’Afssaps) avaient permis d’établir que cette molécule avait été à l’origine de 500 à 2000 décès prématurés. Les différentes inspections et enquêtes menées à la suite de la publication de ce résultat devaient établir les responsabilités des structures sanitaires en charge du médicament soit le ministère de la santé, puis l’Agence du médicament créée en 1993, l’Afssaps ensuite.

L’affaire du Médiator avait permis de mettre en lumière différentes failles de taille concernant notamment (mais pas seulement) les relations de consanguinité entre experts et firmes pharmaceutiques. Une situation particulièrement délicate puisque l’Agence a aussi pour mission de contrôler la communication publicitaire ou non faite autour des produits de santé. Sa mission de «Contrôle de la publicité» l'amène à examiner le contenu des messages promotionnels des firmes pharmaceutiques destinés aux professionnels ou au grand public.

La mise en lumière des failles et des insuffisances structurelles avait poussé le gouvernement Fillon à élaborer un projet de loi censé pallier toutes les insuffisances et l’opacité du système de sécurité sanitaire des produits de santé.  L’Afssaps va ainsi bientôt disparaître pour devenir l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm).

Dans l’attente, le nouveau directeur général de l’agence Dominique Maraninchi avait promis de rompre avec l'opacité passée, en rendant par exemple accessibles en ligne les débats des experts de l'agence, en diffusant à l'avenir les vidéos de ces débats, ainsi qu’en procédant à des réévaluations  plus fréquentes de l'efficacité des traitements médicamenteux.

5. Un «avant» et un «après PIP»?

Ministre en charge de la Santé, Xavier Bertrand a annoncé à de multiples reprises ces derniers mois que la réforme de l’Afssaps ferait qu’il y aurait un «avant» et un «après Médiator». Le passage de l’opacité coupable à la transparence absolue en quelque sorte. Sera-ce également le cas avec ces dispositifs médicaux implantables que sont les prothèses mammaires? Rien n’est impossible.

Mais il faudrait pour cela que les autorités sanitaires aient le courage d’imposer aux professionnels de la chirurgie esthétique travaillant à but lucratif (ou dans le secteur privé des hôpitaux publics) une véritable traçabilité. Une traçabilité qui passerait immanquablement par une transparence des pratiques tarifaires à laquelle ces professionnels ont souvent montré par le passé qu’ils pouvaient être allergiques.

Sur le fond l’impression qui, avec le temps, prédomine est  bien celle d’une course- poursuite à la sécurité sanitaire très largement inégale. Tout se passe comme si la puissance publique se refusait à se doter des moyens suffisants pour s’opposer efficacement aux possibles dérives nées de la somme des intérêts en présence dans les secteurs de la santé en général, du médicament en particulier.  

Dans ce domaine tout particulièrement, la volonté affichée de transparence (au moyen d’images vidéos…) ou de déclaration de conflits d’intérêt ne saurait faire durablement illusion. A fortiori quand la fixation des prix des spécialités pharmaceutiques (prises en charge par la collectivité nationale et les adhérents des mutuelles) demeure dans le noir absolu.

La puissance planétaire de «Big Pharma» réclame d’autres moyens publics et une toute autre volonté politique. Si l’innovation thérapeutique véritable doit être financièrement soutenue, les simples copies de spécialités déjà existantes ne justifient pas d’être autorisées à la commercialisation.

L’Etat doit  prendre en main les responsabilités qu’il n’a jamais assumées en matière de formation médicale continue et de prescriptions par le biais des principes actifs, non des marques commerciales.  Les multinationales pharmaceutiques ne doivent certes pas être démonisées. Mais elles doivent impérativement être cantonnées à la place qui est la leur: celles d’industries vivant (aujourd’hui toujours fort bien) de la collectivité.

Tolérer qu’elles puissent participer au financement de la formation médicale et, au-delà, qu’elles puissent peser librement sur l’équilibre des comptes des systèmes de couverture sociale et qu’elles modèlent de facto le paysage sanitaire national est plus qu’une erreur. C’est une faute.

Jean-Yves Nau

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