Économie

La Lune est-elle à la portée des entrepreneurs?

Ouvrir une pizzeria sur la Lune, en exploiter les ressources, y aller à bord d'une navette spatiale: des opportunités dont la faisabilité scientifique et économique est encore incertaine.

<a href="http://www.flickr.com/photos/yourdon/3700347848">Pleine lune dans l'Upper West Side</a> Ed Yourdon via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Pleine lune dans l'Upper West Side Ed Yourdon via Flickr CC License by

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Retourner sur la Lune ... On y consacre des conférences messianiques; on parle de l’ambitieux programme d’exploration chinois. Mais on ne parle plus des missions de la Nasa. Quarante ans après ses «petits pas» du 21 juillet 1969, frappée par des coupes budgétaires, l’agence américaine n’a plus les moyens de son ambition lunaire. En attendant un hypothétique relais chinois, il faudra sans doute compter sur la détermination de multinationales et d’entrepreneurs pour que l’«ultime frontière» ne soit pas que «fabriquée dans un sous-sol d’Hollywood».

Et ce sera essentiellement pour le business. C’est le cas de Naveen Jain, co-fondateur de Moon Express, fort d’un partenariat à hauteur de 10 millions de dollars avec la NASA, qui planifie des futures missions d’exploration et d’exploitation des ressources lunaires comme le titane, le platine ou l’hélium 3, isotope très rare sur Terre et qui pourrait incarner le futur salvateur d’une Terre en perte de ressources énergétiques.

Quelle faisabilité?

Pour autant, Francis Rocard, astrophysicien responsable de l’exploration du système solaire à l’Agence spatiale française (Cnes), doute de la faisabilité scientifique du projet. «Quand on parle d’exploitation minière, on doit d’abord chercher les lieux où des matières comme le titane et le platine sont en quantité importante et la prospection minière sur la Lune n’est pas simple.»

«Le processus d’exploitation minière nécessiterait d’amener des matériaux très lourds pour l’excavation ou la purification du minerai et il faudrait ramener tout cela sur la Terre. Les voiles lunaires actuels n’ont pas la dimension correspondante à un programme minier.»

Avec les satellites de localisation et de recueil de données sur la structure du sol lunaire, le tourisme spatial constitue une niche en laquelle certaines entreprises parient sur une profitabilité à moyen terme, bien que les prix affichés restent évidemment bien au-delà de ceux d’un tourisme de masse. 

Ainsi, la compagnie Virgin Atlantic du milliardaire Richard Branson propose des vols à destination de la Lune à bord de leurs «SpaceShips» pour 200.000 dollars au minimum. En 2025, selon une étude du cabinet américain Futron, près de 15.000 personnes pourraient monter à bord de ces navettes spatiales.

Pour autant, les promesses d’embarquement d’ici 2013 ou 2014 pourraient être reportées et le Spaceport America, aéroport construit au Nouveau-Mexique avec une piste de 3.000 mètres de longueur, continuerait à chercher ses touristes. 

A l’heure actuelle, les agences gouvernementales produisent la majorité des recherches sur la Lune, bien que certaines nouent des partenariats avec le privé faute d’allocation de ressources budgétaires suffisantes. Il en va ainsi de la chaîne hôtelière Budget Suites of America qui a fondé Bigelow Aerospace en rachetant les crédits d’un programme délaissé par la Nasa, Transhab visant au développement d’habitats gonflables dans l’espace. Deux ballons, Genesis I et Genesis II ont été arrimés à des fusées russes en 2006 et 2007. 

Quel est le cadre juridique d'une activité entrepreneuriale sur la Lune?

La prédominance du secteur public est l’effet d’un cadre juridique et géopolitique faisant de la Lune un domaine réservé à la prérogative étatique. L’homme a marché sur la Lune, car elle était conçue comme un autre espace d’affrontement de grandes puissances par les Etats-Unis et la Russie en pleine guerre froide. «Le traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 a été signé dans un contexte particulier: on ne savait pas qui allait gagner la course et les Etats-Unis et la Russie se sont réciproquement interdits toute appropriation», explique Armel Kerrest, professeur de droit à l’université de Bretagne occidentale. 

Ainsi l’article 2 du traité dispose que «l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen». 

Les drapeaux américains plantés par Neil Armstrong et Buzz Aldrin en 1969 relèvent bien de la symbolique. Pour autant, l’absence d’un droit de souveraineté nationale sur la Lune ne s’étend pas nécessairement aux personnes physiques ou privées; cet aspect n'est pas précisé dans le traité. En cas d’implantation de compagnies sur la Lune, l’imprécision du corpus juris spatialis pourrait engendrer des conflits, ce qui est le cas avec des entrepreneurs autoproclamés ambassadeurs de la Lune comme Dennis Hope dont le site Lunar Embassy met en vente des parcelles lunaires. Ce type d’activité n’a pas de valeur juridique, précise Armel Kerrest.

Par ailleurs, l’Accord sur la Lune et autres corps célestes de 1979 interdit toute activité militaire (art. 3) et son article 4 précise que «l’exploration de la Lune doit être une province de l’humanité et doit être entreprise au bénéfice et pour l’intérêt de tous les pays, quelque soit leur degré de développement économique ou scientifique.» Ce transfert de compétences et de technologie qui pourrait exister entre les pays semble toutefois peu réaliste puisqu’aucune puissance spatiale majeure n’a signé ce traité. Il n’empêche que cette relative instabilité juridique, au regard des millions voire milliards de dollars investis dans les initiatives commerciales sur la Lune, pourrait être dommageable à la concrétisation de nombreux projets, dont les entrepreneurs craindraient des poursuites judiciaires.

Par ailleurs, si un dommage environnemental est effectué sur la Lune, ce sont les Etats qui en seraient tenus responsables, affirme Henry Hertzfeld citant l’article 14 de l’Accord sur la Lune et autres corps célestes de 1979. Une notion de responsabilité des Etats qui a notamment inspiré la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales qui requiert que toute opération spatiale réalisée par un opérateur français obtienne une autorisation préalable. 

«La situation de la Lune est comparable à celle des fonds de haute mer qui présentent un intérêt métallique mais ne sont pas encore exploités en raison d’un important coût économique et technique», compare Armel Kerrest.

La Lune aussi a son modèle économique

Cependant, faute de moyens et de faisabilité pour quelques projets, les perspectives commerciales sur la Lune restent bien souvent en l’état de jolis PowerPoint présentés devant de potentiels investisseurs. 

C’est à cet effet que des prix comme le Lunar X Prize ont été mis en place, explique Peter Diamandis, un de ses cofondateurs qui, enfant, rêvait d’être astronaute. Après avoir discuté avec un astronaute au cours de ses études universitaires, il réalise qu’il faudra court-circuiter la bureaucratie de la Nasa pour envoyer d’autres hommes sur la Lune, à l’image du prix qu’avait remporté Charles Lindbergh pour être le premier à traverser l’Atlantique en avion en 1927.

En 1996, le X Prize est lancé et offrira un prix de 30 millions de dollars à l’entreprise qui présentera le projet le plus convaincant consistant à envoyer sur la Lune un appareil automatique capable de recueillir des vidéos et images haute résolution et des données.

L’hésitation des investisseurs tente d’être réduite par l’organisation de conférences et de mise en relation entre entrepreneurs et investisseurs comme le font ProSpace, The Space Frontier Foundation ou encore le réseau Space Angels Network. Ce dernier, mettant en relation investisseurs précoces et entrepreneurs dans l’aérospatial, a été lancé en 2007, partant du constat que les gouvernements et les grandes corporations prédominaient, raconte son cofondateur Burton Lee.

Un argument que reprend Dale Tietz, de la Shackleton Energy Company, à l’état de recherche de financements pour un projet d’exploitation de la glace d’eau, censée être contenue dans des cratères au pole nord et sud de la Lune. «Pour l’instant, il n’y a pas de justification économique pour extraire d’autres ressources comme de rares métaux ou l’Hélium 3». 

Francis Rocard rappelle à ce propos que le secteur privé a investi dans l’industrie spatiale par phases. «Le premier eldorado a été dans les années 1970 avec les télécoms comme la fusée Ariane qui lance essentiellement des satellites de télécommunication. Le second eldorado est celui de la microgravité mais ce qui a été fait dans ce domaine n’a pas réellement convaincu les entreprises qui ont besoin d’un retour sur l’investissement.»

La Lune, un joli effet d'annonce

Encore plus farfelue est l’ambition de la branche japonaise de la chaîne de pizzerias Domino, qui, après que Pizza Hut a livré des pizzas aux astronautes de l’ISS en orbite en 2001, a franchi un pas supplémentaire et annoncé la construction d’un restaurant sur la surface de la Lune

Un effet d’annonce, dit Henry Hertzfeld, professeur et chercheur du Space Policy Institute de l’université de George Washington. «Existe-t-il assez, voire aucun, de personnes sur la Lune pour créer un marché qui soit profitable. Il n’est même pas question ici de ramener de la pizza qui serait extrêmement froide pour être mangée sur Terre. Actuellement, il y a plus de personnes qui montent sur l’Everest ou de chercheurs en Antarctique.». Joan Johnson-Freese, professeure au Naval War College, renchérit: «Ces annonces ont surtout l’objectif de booster les ventes terrestres actuelles de ces compagnies», renchérit Joan Johnson-Freese, professeure au Naval War College.

«Comme dans tout business, des fortunes seront faites et d’autres perdues. Le gagnant sera toutefois l’humanité - la compétition entre entreprises faisant pression à la baisse sur les prix et rendant la Lune accessible aux consommateurs», espère Virgiliu Pop, expert à l’institut international de droit spatial et chercheur affilié à l’agence spatiale roumaine. Pour l'instant, cette espèrance reste à l'état d'une utopie.

Judith Chetrit

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