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Pourquoi les Français détestent les Américains

Peu de Français sont vraiment anti-américains; ils sont toutefois une majorité à avoir des idées reçues à leur sujet.

<a href="http://www.flickr.com/photos/aerophish/3893372143">"Frit", les Etats-Unis?</a> Andrew Beebe via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
"Frit", les Etats-Unis? Andrew Beebe via Flickr CC License by

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Des Français, les Américains pensent qu’ils sont efféminés et poltrons, corrompus et manquant d’idéalisme, trop théoriques, élitistes et collectivistes. C’est en tout cas le portrait tracé par le journaliste de Slate.com, Brian Palmer. Associer un homme politique américain au terme «français» tient de l’insulte, le qualificatif faisant appel à des référents culturels bien ancrés.

En France également, être qualifié d’«américain» n’est pas un atout dans une course à la présidentielle, faute à une tradition universaliste héritée des Lumières se confrontant à l’autre universalisme américain et d’«une France qui ne peut être France sans la grandeur», dixit De Gaulle rejetant l’unipolarité américaine. Ce n’est toutefois pas propre à la France et aux Etats-Unis. Accéder à la fonction suprême d’un pays, c’est prouver qu’on colle parfaitement aux revendications et à la culture des électeurs. Malgré la proximité géographique et culturelle entre les Etats-Unis et le Canada, il serait tout aussi malvenu pour un candidat à l’investiture présidentielle d’être qualifié de «Canadien».

«La pulsion anti-américaine relève de l’inconscient national et de l’aveuglement volontaire. Ce n’est ni une pensée, ni une idéologie, ni même une opinion», relève l’essayiste Nicole Bacharan dans son essai Pourquoi nous avons besoin des Américains. Les Américains sont-ils détestés pour ce qu’ils représentent ou pour ce qu’ils font? Après tout, nous n’avons jamais été en guerre contre les Etats-Unis (le seul conflit fut un conflit maritime larvé appelé la Quasi-Guerre entre 1798 et 1800).

La figure de l’Américain concentre les critiques adressées à un modèle de société. Une somme de clichés agissant comme un réservoir à arguments qui n’ont pas nécessairement besoin d’évènements récents pour être compris.  Peu de Français sont vraiment anti-américains; ils sont toutefois une majorité à avoir des idées reçues à leur sujet, notamment parce que c’est un penchant partagé par l’ensemble de l’échiquier politique, de l’extrême gauche antilibérale à l’extrême droite nationaliste.

Voici 5 des raisons pour lesquelles les Français détestent les Américains.

1Les Américains sont des brutes

La peine de mort, légale dans une partie des Etats-Unis, ou le port d’armes autorisé par le Second amendement de la Constitution américaine, conforté notamment par la puissance du lobbying de la National Rifle Association, nourrissent l’image d’une Amérique des cow-boys adonnée à des pratiques jugées barbares. On a pu encore le voir avec la couverture médiatique du cas de Troy Davis, exécuté alors que sa culpabilité n’était pas prouvée à 100%, une «faute irréparable» pour le Quai d’Orsay.

C’est aussi le sentiment qui se dégageait après la tuerie de Virginia Tech perpétrée par le jeune Seun-Hui Cho en 2007 ou celle de Columbine en 1999, dépeinte dans le film de Gus Van Sant, Elephant, ou le documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine.

Plus récemment, ce sont les menottes au poignet de l’ancien dirigeant du FMI, Dominique Strauss-Kahn, accusé d’agression sexuelle, qui ont ravivé ce préjugé, comme le soulignait le correspondant du New York Times à Paris, Steve Erlanger, selon lequel c’est «une manière de pointer la nature barbare, brutale et carnavalesque de la société, la justice et la démocratie américaines», citant l’ancien Premier ministre Lionel Jospin qui accusait les Etats-Unis d’avoir «jeté DSK aux loups».

2Les Américains manquent de culture

L’hostilité à la culture américaine est une des sources les plus anciennes de l’anti-américanisme. Un exemple est le livre de Georges Duhamel paru en 1930, les Scènes de la vie future où, partant de l’hypothèse que «l’Amérique d’aujourd’hui, c’est notre monde de demain», l’écrivain fustige «l’omniprésence de l’automobile, le jazz (pas de musique aux Etats-Unis, sauf celle des “nègres monocordes”), les ascenseurs, l’horrible promiscuité de toutes les races du monde, le goût excessif du sport, la cuisine qui n’est pas naturelle».

Prenons par exemple la création du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée. Alors que la France a pesé pour que le parc d’attractions soit situé dans la région parisienne, les intellectuels français –l’anti-américanisme est avant tout véhiculé par les élites en France– se sont insurgés contre ce «Tchernobyl culturel» selon les mots de la metteure en scène Ariane Mnouchkine, l’historien Max Gallo estimant lui que «le parc bombarde la France de créations importées qui sont à la culture ce que le fast-food est à la gastronomie».

La gastronomie, ou plutôt l'absence de gastronomie américaine, propre à une alimentation peu équilibrée, autre thème dont se nourrit l’anti-américanisme français et ses a priori. En tapant «les Américains sont… » sur Google (en français), la phrase «Les Américains sont obèses» est ainsi la première phrase suggérée.


En espagnol, les résultats sont quelque peu différents.

Ce n’est pas seulement le manque de culture des Américains qui est pointé, mais également leur stupidité (1er résultat sur Google), ou plutôt leur ignorance. Visuellement, ceci donne une carte du monde vu par les Américains ou cette vidéo, devenue virale:

Les sondages et enquêtes à ce sujet sont très nombreux. Un reportage d’ABC «Stupid in America» rappelait que les élèves américains âgés de 15 ans n’étaient classés que 25e dans un classement de 40 nationalités, largement dépassés par les élèves belges. Au Texas, rapporte le Texas Tribune, 30% des sondés pensent que les humains et les dinosaures ont co-existé et ils étaient 29% à affirmer qu’ils ne connaissaient pas la réponse. Selon un sondage Gallup de 1999, un cinquième des sondés n’avaient aucune idée de quel pays les Etats-Unis s’étaient émancipés au cours de la Révolution américaine.

Une enquête du docteur Jon D. Miller de l’université Northwestern réalisée en 2005 établissait également des lacunes importantes des Américains en matière de connaissances scientifiques. Moins d’un tiers des interrogés ne liaient pas l’ADN à l’hérédité et 1 Américain sur 10 pensaient que le Soleil tourne autour de la Terre, soit une théorie scientifique abandonnée après les travaux de Copernic et de Galilée.

Plus récemment, les candidats à la primaire républicaine ne semblaient pas être meilleurs en géographie que leur célèbre prédécesseure Sarah Palin qui avait affirmé voir la Russie de l’Alaska, territoire dont elle était la gouverneure jusqu’à sa démission en juillet 2009.

Avec Michelle Bachmann, ancienne sénatrice du Minnesota, il est question de géographie du continent africain. Commentant la décision du président Obama d’envoyer des troupes en Ouganda, elle affirme qu’«après nous avoir envoyés en Libye, il veut nous envoyer en Afrique». Bémol: la Libye est en Afrique.

3Les Américains sont puritains

Pas de sexe avant le mariage, interdiction de l’alcool avant l’âge de 21 ans dans la continuité de la période historique de la Prohibition dans les années 1920-30, vigueur des mouvements pro-life s’opposant à l’avortement… Autant de symboles du puritanisme, rapidement ramené à une morale austère opposée à la libéralisation des moeurs de la société française.

Pour autant, ce ne sont pas tant ces codes sociaux qui exaspèrent les Français que l’hypocrisie de la société américaine et du double standard en cause. Autrement dit, les Américains ne sont pas si loins des Français quand il s’agit d’avoir leur première relation sexuelle, la généralisation des fausses cartes d’identité rend aisée la forte consommation d’alcool (sans parler de la légende construite autour du spring break et des drinking games à partir de verres en plastique rouge) ou encore le bon état de l’industrie pornographique américaine.

Ce double standard donne ainsi lieu à une autre forme d’anti-américanisme fondé sur l’image d’une Amérique de la décadence morale en perte de valeurs religieuses. Pour la blogueuse américaine Susannah Breslin, l’hypocrisie culturelle est manifeste quand des scandales sexuels impliquant des hommes ou femmes politiques surgissent, écrit-elle sur Forbes.

«Les Américains sont fascinés par ce type de scandales sexuels car le politicien en question fait ce que l’Américain moyen fait mais n’admettra jamais, ou fait ce que les Américains aimeraient faire, mais au lieu d’avouer ses pulsions naturelles ou fantaisies sexuelles, préféreront critiquer ces personnalités politiques.»

4Les Américains se croient au centre du monde

La France a-t-elle digéré le fait que la puissance américaine soit devenue la première puissance mondiale? A la fin de la Première Guerre mondiale déjà, l’idée que l’Amérique est encore trop immature et naïve –politiquement parlant– pour accéder au rang des puissances victorieuses conduit ainsi le président du Conseil Georges Clemenceau à parler de la «noble candeur» de son homologue Woodrow Wilson, auteur des 14 points préfigurant la Société des nations.

Dans le sillon du discours de Dominique de Villepin aux Nations unies le 14 février 2003 rejetant la possibilité d’une intervention militaire française en Irak, l’anti-américanisme politique a connu un rebond sous le mandat de George W. Bush avec, notamment, la médiatisation des tortures d’Abou Ghraib ou le refus de ratification du protocole de Kyoto. Ce rejet de l’administration Bush s’accompagne d’une baisse de popularité des Américains en France, bien que l’on estime qu’en matière d’anti-américanisme, il faut faire la différence entre les actes des leaders et la perception d’une population. 

Le mandat de Bush avait pourtant été marqué au début par la solidarité des pays dits occidentaux à la suite des attaques terroristes du 11-Septembre. «Nous sommes tous Américains», affirmait le co-fondateur de Salte.fr, Jean-Marie Colombani, alors directeur de la rédaction du Monde.

La candidature Obama à l’élection présidentielle de 2008 –largement plébiscitée en France et en Europe faisant même dire à son adversaire, le sénateur républicain John McCain que «c’est aux Etats-Unis que se joue l’élection, pas en Europe»– et le renforcement des relations transatlantiques initiée par Nicolas Sarkozy dès son élection en 2007 ont affaibli un anti-américanisme de nature politique, déjà dissipé avec la fin de la Guerre froide.

Preuve en est la réintégration de la France dans les structures militaires de l’Otan, quittées en 1966 sur décision du général de Gaulle (un retrait qui aurait même fait dire à Dean Rusk, le secrétaire d’Etat américain: «Votre décision concerne-t-elle aussi les corps des soldats américains enterrés dans les cimetières de France?»)

Pour l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, qui a développé la notion d’«hyper-pouvoir» pour qualifier la puissance américaine, l’évolution de l’anti-américanisme en Europe dépend de la «dose de multipolarité ou de multilatéralisme que Washington accepte» en matière de relations internationales.

Il n’en reste pas moins que, même si les politiques français expriment un certain rejet des Etats-Unis, il y a peu de conséquences concrètes. Par exemple, les relations commerciales franco-américaines n’ont pas pâti du refus de la France de s’engager en Irak et se sont même renforcées au début des années 2000, ce qui n’était pas nécessairement le cas pour d’autres puissances européennes comme l’Espagne ou la Grande-Bretagne, pourtant présentes en Irak. 

Pour l’ancien dirigeant de Vivendi Universal Jean-Marie Messier, «les Français ne haïssent pas seulement les Américains, ils détestent aussi les Français qui s’intéressent à l’Amérique». Il est ainsi commun de taquiner, voire de discréditer une personnalité politique en la présentant comme pro-américain, comme ici l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius à l’égard de Nicolas Sarkozy en 2006, alors candidat UMP à l’élection présidentielle.

5Les Américains sont matérialistes

Autre version: tous les Américains sont capitalistes et ne jurent que par le modèle de la société de consommation. Lorsque José Bové choisit McDonald’s comme cible de sa contestation, le registre choisi est celui de la lutte contre la mondialisation, souvent assimilée à une tentative d’américanisation et d’uniformisation. Traduit en justice, il compare son acte à la Tea Party de Boston en 1773, événement symbolique de la Révolution américaine au cours duquel les migrants des colonies jetèrent des caisses de thé importées de Grande-Bretagne par-dessus bord pour demander que tout territoire taxé soit représenté au Parlement britannique (no taxation without representation).

A la fin du XIXe siècle, la critique d’une Amérique matérialiste est celle de la droite dite catholique qui s’en prend au règne de l’argent, faisant des Etats-Unis «l’ennemi spirituel de la France». Une critique notamment fondée sur l’opposition entre le protestantisme anglo-saxon (et ses rapports avec l’esprit du capitalisme, comme étudié par le sociologue et économiste allemand Max Weber) et le catholicisme français.

Au XXe siècle, l’anti-américanisme comme référence politique a été principalement utilisé par les marxistes à l’argumentaire anti-capitaliste et anti-matérialiste et les gaullistes avec une «certaine idée de la France» qui ne pouvait s’épanouir dans le cadre d’une hégémonie américaine.

L'explication bonus: En quoi notre façon de détester les Américains est bien française?

A la différence d’autres pays pour lesquels l’animosité à l’égard des Etats-Unis reste relativement récente, l’anti-américanisme français remonte même avant que les Etats-Unis ne soient constitués en Etat; notre animosité étant alors une extension géographique de la rivalité franco-britannique. Bien que s’opposant à l’Empire britannique, les colons américains, aux yeux des Français, sont tout autant britanniques. 

Par ailleurs, avance Sophie Meunier, l’anti-américanisme à la française recoupe les six différentes formes d’anti-américanisme qui ont pu être définies par les historiens et politologues: un anti-américanisme libéral contre le modèle économique, un anti-américanisme social contre le modèle sociétal, un anti-américanisme souverainiste qui rejette l’impérialisme américain, un anti-américanisme des islamistes radicaux, un anti-américanisme élitiste contre l’exportation de la culture de masse américaine et un anti-américanisme d’héritage qui se transmet de génération en génération fonctionnant comme un discours autonome.

Judith Chetrit

L’explication remercie Jacques Portes, professeur en histoire nord-américaine à l’université Paris 8 et auteur du Paradoxe américain: idées reçues sur les Etats-Unis et Sophie Meunier, chercheur à la Woodrow Wilson of Public and International Affairs de l’université de Princeton.

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