France / Économie

Sarkozy, deux ans à l'Elysée: le cap manquant

Mon bilan de deux ans de Sarkozysme

Temps de lecture: 5 minutes

Longtemps, j'ai cru que Nicolas Sarkozy, c'était déjà pas mal. L'immobilisme avait été tel, depuis vingt ans, que celui qui changerait des choses en France — ne serait-ce qu'un peu — devait être salué. Il avait la volonté, il avait la force, il avait le culot des mal polis. La France assise depuis trop longtemps allait avoir ce qu'elle méritait: des coups de pied dans les flancs.

Elle les a eus. La gauche se met le doigt dans l'œil — ou trompe son monde — de le dire libéral: il déteste rien de plus que le laisser faire. Nicolas Sarkozy est un homme d'actions. Avec plein de S. Il n'aime qu'agir. Il a multiplié les engagements de réformes: quatre-vingt dix, selon Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée. Et il a tout commandé directement lui-même, sur tous les tableaux, préférant toujours tenir en mains et les rênes et le bâton. Et être devant. Tant pis pour le Premier ministre, tant pis pour les ministres. L'Europe en panne et la présidence française lui donnaient l'occasion sur la scène extérieure, il en a profité. La crise lui donnait l'occasion sur la scène intérieure, il en a profité.

Quel est le bilan? La France s'est-elle levée? A-t-elle avancé? De beaucoup? La réponse est hélas décevante. Le pays s'est levé mais pour se dresser contre son maître. La France refuse d'aller, grogne contre les coups qu'elle prend. Et les corporatismes tout ragaillardis pèsent encore plus lourds sur son dos. La France menace de se rasseoir.

Pilotage à vue: voilà le bilan.

Pouvez-vous citer seule une réforme forte parmi les 90? Non. Nicolas Sarkozy est un pilote des entrées de port, pas de haute mer. Il ignore la boussole. Il ne trace pas la route. On ne peut pas dire qu'il suit les vents, comme Jacques Chirac. Non, mais il longe les côtes. Il ne va donc pas loin. Deux ans après, la France n'est pas allée loin dans les réformes.

Bricolage

En vérité, je le craignais. Dès avant l'élection, celui qui arrivait la voile gonflée par le libéralisme nécessaire (pour débloquer les France rigides, faiblement concurrentielles, trop peu innovantes), avait débarqué en nous parlant de pouvoir d'achat. Contre-message Monsieur le candidat-pilote: la France manque d'emplois pas de consommation! La France a un déficit de son commerce extérieur, elle vit au dessus de ses moyens, pas en dessous! Il faut booster l'offre pas la demande! Il faut des créations de PMI, des brevets, de nouveaux emplois pour les exclus, les «out», et non pas aider les « in », ceux qui ont un travail en leur donnant des heures supplémentaires!

Mais la loi Tepa fut (Travail, emploi et pouvoir d'achat). Bricolage économique nécessaire pour la revalorisation idéologique du travail? L'Elysée le plaide. Mais ce fut un bricolage coûteux (Bercy cache la note), injuste, à côté de la plaque et qui s'est révélé anachronique et néfaste dans la crise: celle-ci réhabilite un partage du travail puisqu'il n'y en a plus.

Puis la crise arriva. D'août 2007 à septembre 2008, le gouvernement refusa de la voir mais la France n'y échappa point. Il se passa alors une surprise: alors que son penchant keynésien avait là enfin de quoi de trouver légitimé, notre président du pouvoir d'achat opta pour l'idéologie de la Bundesbank. On relance peu et on relance par l'offre! Henri Guaino, son conseiller, s'est mis à vanter les politiques orthodoxes et à multiplier les interviews pour dire du bien de Jean-Claude Trichet. Comprenne qui pourra!

Non que cette politique de prudence soit sans argument mais elle est pour le moins inattendue de la part du volontariste Sarkozy. Que la France déjà endettée refuse d'en faire beaucoup et qu'elle compte sur les relances des autres peut se comprendre. Mais à la condition... que les autres en fassent assez, ce qui n'est pas le cas des partenaires européens. Conséquence de cette cécité: la relance française est faible dans un ensemble anémique. Cela se verra lors des troisième et quatrième années du quinquennat, la reprise tardera et sera molle.

Ainsi la politique macro-économique des deux premières années ne fut ni vraiment offre, ni vraiment demande, ni de droite ni de gauche, ni inefficace, ni très efficace, elle a été juste bizarre. On longe les côtes au petit bonheur... Le sarkozysme est un louvoiement.

Et le reste?

Les politique micro-économiques? Parmi les 90 réformes engagées, l'Elysée met en avant l'université, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la refonte de la représentativité syndicale. Autrement dit: l'innovation-formation, la réforme de l'Etat et une révolution des relations avec les organisations de salariés. Ce serait le bon cap, ce sont là en effet trois grands maux du pays. Il n'innove pas, l'Etat l'étouffe et les relations de travail sont plombées par une surenchère de micro-syndicats qui ne représentent que 8% des salariés. Gagne non le plus constructif (CFDT) mais le plus criard (Sud).

Mais le détail pèche. La réforme de l'université-recherche a trébuché sur des phrases malheureuses et sur une sottise d'économies bureaucratiques (quelques centaines d'emplois supprimés) qui ont fait croire que la réforme n'avait comme ambition secrète que de démolir le service public. Dans un pays à cran, la moindre erreur gâche le sens de la réforme.

L'ombre du Fouquet's

D'avancée, elle devient régression. Le coup au flanc ne vaut pas choc de réveil mais pique à mort. Cette perte de sens, cette hystérie, s'explique quand l'image de réformateur a été troublée voire supplantée par l'image de «président des riches». Le dîner au Fouquet's, le soir de la victoire présidentielle, [sur]plombe pour toujours le quinquennat. Nicolas Sarkozy ne peut pas vouloir le bien commun, puisqu'il veut celui de ses amis. Les corporatismes n'ont pas eu besoin qu'on le leur dise deux fois: ils ont bondi sur l'occasion: «des réformes on veut bien, mais pas les siennes!»

La réforme de l'Etat pêche, elle, curieusement par timidité. La RGPP (révision générale des politiques publiques) se limite à l'Etat (rien sur les collectivités dépensières et rien sur la sécurité sociale) et ne vise que des gains limités à coups de râpes homothétiques. Le navire Sarkozy ne va pas loin des côtes... Pourtant il devra, avec le déficit creusé par la crise, couper plus hardiment dans les missions de l'Etat.

Quant à la loi sur les syndicats, on hésite: Nicolas Sarkozy fait le pari que Bernard Thibault parviendra à faire la révolution à la CGT. C'est le retour au gaullisme primitif : l'alliance de la droite avec la CGT (et les communistes) pour s'entendre en tête à tête sur l'économie (le partage des «progrès sociaux») et sur la politique (écarter la gauche non communiste). Aujourd'hui, ce pari est plus simplement de miser sur une reconstruction du paysage syndical et non pas sur sa fin thatchérienne. Pour l'heure, dans la gestion de la crise, CGT et CFDT jouent de raison. Très bien. Encore faut-il souligner que le président ne peut pas, en parallèle, favoriser Olivier Besancenot dont l'aile Sud sape le travail des réformateurs. Il y a là une contradiction qu'il faut vite lever.

Quoiqu'il en soit, c'est un pari qu'on jugera en fin de parcours.

A gauche, à droite, un coup de barre pour l'offre, un coup de barre pour la demande, la présidence manque d'un cap économique clair. La crise ne peut pas servir d'argument à se replier sur l'urgence, l'incohérence la précédait. Les trois directions choisies sont les bonnes: l'innovation, la cure de l'Etat et le monde du travail. Mais il faut s'y tenir ferme pour effacer les mauvaises images. 90 réformes? Il n'est plus temps: trois grandes suffiront à donner un cap.

Eric Le Boucher

A la une: Discours à l'Elysée, le 4 mai 2009. REUTERS/Philippe Wojazer

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