Politique / Économie

Ce n'est pas la faute de l'Allemagne et des agences

Essayer de leur transférer toute la responsabilité de la crise relève du mauvais théâtre.

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La place accordée dans le débat public aux agences de notation relève de la mauvaise comédie. Elles sont à la fois dénoncées comme s'arrogeant un pouvoir antidémocratique et placées, néanmoins, en position d'arbitre suprême des camps politiques. Avec, entre chaque candidat et leurs amis, un renvoi de responsabilités dans un pur style cour de récré: «C'est lui qui dégrade la France!», «Non, c'est pas vrai, c'est lui!»

Le ton utilisé dans le débat public pour parler de l'Allemagne relève du mauvais théâtre. Notre partenaire est à la fois qualifié de dominant et d'ami indispensable. Avec, à gauche cette fois, des mots d'insulte.

Utiliser les agences de notation et l'Allemagne comme des armes dans le combat électoral est un jeu pervers et dangereux. Le tout relève d'une inaptitude alarmante de la classe politique à aborder la rigueur budgétaire autrement qu'en l'attribuant aux marchés ou à l'Allemagne. Autrement dit, la France, si elle était seule, ferait mieux. Mais elle n'est pas seule... Voilà très exactement comment on fait le lit des populistes.

Comment pensent les marchés

Jeu pervers car les agences de notation ne méritent ni d'être clouées au pilori ni d'être glorifiées. Elles ont fait preuve, avant crise, d'un aveuglement coupable sur les «subprimes»; elles essaient de se refaire une virginité en en rajoutant dans la rigueur. Aujourd'hui, leur crédibilité n'est pas redevenue si incontestable qu'on puisse en faire des pythies. Elles donnent un avis parmi beaucoup d'autres analystes et économistes sur la scène de la crise.

Il faudrait, un jour, étudier sérieusement comment se fait «la pensée des marchés»: épais bouillon d'informations ultraprécises, de calculs modélisés, de rumeurs, d'esprit moutonnier et de certitudes idéologiques. Dans ce forum, les agences de notation émettent des notes, qui ont une importance particulière à cause des réglementations des Etats: elles servent de référence pour consolider les bilans des banques. Une dégradation d'un pays provoque l'obligation faite aux banques de céder ses titres et donc accroît la perte de leur valeur. Mais cet effet «autoréalisateur» n'est pas certain: la dégradation des Etats-Unis a été suivie d'une baisse des taux d'intérêt américains.

Un jeu pervers

Deux conclusions. Un: l'importance si grande de la note provient des Etats. Ce sont les politiques qui décident du pouvoir des agences et non l'inverse. Les dirigeants politiques qui prétendent que les marchés ont pris le pas sur la démocratie sont des démissionnaires. Deux: au total, ce brouhaha des marchés contribue à améliorer grandement l'information des citoyens sur la situation financière et économique de leur pays. Cette information est biaisée, elle correspond aux besoins des investisseurs, non des salariés, mais elle est très utile.

L'Allemagne fait l'objet d'un même jeu pervers. Si la France doit se serrer la ceinture, ce n'est pas parce qu'Angela Merkel le demande. C'est parce que la dette est devenue trop lourde. C'est parce que le paiement des intérêts prive de toute marge de manoeuvre. Le déficit, hier, permettait d'investir, il ne sert plus qu'à boucher les trous. Choix du présent contre l'avenir, de l'appauvrissement des enfants. Voilà pourquoi il faut abandonner les politiques du déficit. Non à cause de Berlin ou de la City.

Le jeu pervers devient dangereux quand le détournement de responsabilité ne sert qu'au combat politicien et s'arrête là. Car, alors, la politique se résume à la discipline budgétaire. Voilà où nous en sommes, hélas. Nicolas Sarkozy naguère dénonçait l'austérité, il devient son promoteur. François Hollande, le candidat d'un parti dont l'ADN est la dépense publique, fait le même chemin. Mais c'est tout.

Où sont les propositions françaises, autres que relancer la dette ou la planche à billets, pour reconstruire la croissance européenne? Un vide intellectuel sidéral qui ne sera pas comblé par la répétition des facilités keynésiennes françaises. Voilà le défi: inventer une politique européenne schumpetérienne pour un «noyau dur» fédéral, capable de convaincre par des arguments et l'Allemagne et les marchés.

Le défi n'est pas de rembourser ses dettes au plus vite, mais de trouver une place dans la mondialisation, face à la Chine et à l'Amérique, à côté de l'Allemagne. La réponse ne viendra pas de la facilité d'accuser les agences et le diktat allemand pour séduire l'électeur.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

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