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Pourquoi il est si difficile de trouver des extraterrestres

Il y a de bonnes chances pour que ET existe. Pourquoi est-il introuvable ?

La Allen Telescope Array du Seti, REUTERS
La Allen Telescope Array du Seti, REUTERS

Temps de lecture: 7 minutes

En 2002, dans une université du Herfordshire, un professeur a entrepris de déterminer quelle était la blague la plus drôle au monde. Aidé de la British Science Association — autorité reconnue sur tout ce qui touche à l’humour — il a créé un site web où le public pouvait soumettre et voter pour ses plaisanteries favorites.

En deuxième place, manquant de peu la couronne, une histoire où Sherlock Holmes et Watson font du camping. La voici, à quelques détails près:

«Sherlock Holmes et le docteur Watson vont faire du camping. Ils plantent leur tente sous les étoiles et s’endorment. Au milieu de la nuit, Holmes réveille Watson et lui dit: «Watson, regardez en l’air et dites-moi ce que vous voyez».

Watson répond: «Je vois des millions et des millions d’étoiles».

«Et que pouvez vous en déduire?» demande Holmes.

Watson répond: «Eh bien s’il y a des millions et des millions d’étoiles, et même si quelques-unes seulement ont des planètes, il est probable qu’il existe quelque part des planètes qui ressemblent à la terre. Et s’il existe quelques planètes similaires à la terre quelque part, il se peut qu’on y trouve de la vie».

Ce à quoi Holmes répond: «Watson, espèce d’idiot, on nous a volé notre tente!».

Watson, bouillonnant et éternel faire-valoir de Holmes, a mis le doigt sur la raison principale pour laquelle depuis plus de cinquante ans, une poignée de chercheurs balayent les étoiles dans l’espoir de capter un signal émis par une autre civilisation. Pour y mettre plus de formes, on peut affirmer qu’il existe trois arguments en faveur de la thèse de l’abondance de vie dans notre galaxie et au-delà. En premier, comme l’a fait remarquer Watson, sur 200 milliards et quelques d’étoiles dans la Voie Lactée à elle seule, il doit se trouver un grand nombre de planètes suffisamment hospitalières (on en a d’ailleurs trouvé quelques dizaines). Deuxièmement, rien dans notre propre existence ne suggère que nous sommes uniques. Et troisièmement, certaines formes de vie sont capables de survivre dans les environnements les plus précaires. En d’autres mots, si c’est arrivé ici, ça peut arriver n’importe où.

L'Allen Telescope Array

Il faut être un Watson pour avoir une telle foi dans la possibilité de la vie extraterrestre qu’on est disposé à consacrer du temps et de l’argent à la trouver. Ce sont les Sherlocks qui signent les chèques, néanmoins. Au début de cette année, le SETI Institute — à savoir «Search for Extraterrestrial Intelligence»— a dû fermer boutique, l’état de Californie ayant sabré dans le budget alloué au Allen Telescope Array exploité par SETI pour balayer le ciel à la recherche de signaux en provenance d’autres civilisations (le SETI Institute, en grande partie financé par le privé, a pu collecter suffisamment de fonds pour rouvrir dès le mois d’août).

Un contretemps qui n’a rien d’inhabituel. La NASA a passé quatre ans à préparer le matériel en vue d’une énorme campagne de recherche sur dix ans lancée en 1992. En 1993, le congrès annulait le programme, poussant nombre des scientifiques engagés sur le projet à rejoindre le SETI Institute.

Les télescopes étant à nouveau parés à la manœuvre, 2011 s’annonce comme le début d’un âge d’or dans la chasse aux extraterrestres. Par le passé, les activités de SETI étaient terriblement inefficaces et consistaient à pointer des télescopes en direction d’étoiles situées à proximité puis à tenter de déceler tout signal pouvant suggérer la présence d’espèces développées.

À présent que la sonde Kepler de la NASA a commencé à identifier des planètes ailleurs dans la galaxie — elle en a pour l’instant localisé 1.200, dont 54 semblent présenter des conditions nécessaires au développement de la vie — SETI va se concentrer sur ces objets ressemblant à notre terre, adoptant une approche beaucoup plus ciblée. En dépit du fait que la Maison Blanche ait récemment nié avoir en sa possession des preuves d’intelligence extraterrestre, les chances de trouver une civilisation extraterrestre quelque part dans l’univers sont sur le point d’augmenter considérablement.

Décalage horaire

Reste à savoir de combien, et là, les paris sont ouverts. Le souci, c’est que la recherche d’émissions radio en provenance d’autres civilisations se heurte à un problème insurmontable, quel que soit le nombre de sondes spatiales ou de radiotélescopes mis à contribution. Supposons que Kepler découvre une planète très similaire à la Terre, située à 450 années lumières — une planète où l’on trouverait de l’eau à l’état liquide et toutes les choses qui, selon les définitions actuelles, sont essentielles à la vie.

On va donc diriger nos radiotélescopes (financés par le privé) vers le système solaire en question. Et là, on va tenter de détecter une activité qui aurait eu lieu en 1561, année terrestre. Si l’on veut déceler quoi que ce soit, il faudrait que la civilisation qui existe sur cette planète ait au moins 400 ans d’avance sur nous (de la même façon, s’ils tournent leurs télescopes dans notre direction, ils n’entendront rien du tout, car aucun signal d’origine humaine ne sortait de l’atmosphère terrestre au XVIe siècle).

Il est parfaitement possible que cette civilisation de nos rêves ait 500 ans d’avance sur nous — elle pourrait aussi bien avoir 500 ans ou un milliard d’années de retard ou bien un milliard d’années d’avance. L’univers est vieux d’environ 13 milliards d’années, et l’arrivée de la Terre, voici environ 4,5 milliards d’années ne s’est pas produite à l’occasion d’un instant divin de formation planétaire.

La synchronicité

Il est possible que cette autre planète ait été un jour constellée de florissantes cités extraterrestre, qu’elle ait hébergé une race d’êtres intelligents des millions d’années durant, mais que la vie y ait disparu à l’époque où, sur Terre, la race humaine en était encore à découvrir l’intérêt des pouces opposables. Auquel cas, les signaux en passe d’extinction de notre voisin seraient arrivés jusqu’à nous des millénaires avant qu’on invente les antennes satellites à même de les capter.

Les astronomes ont trouvé un nom pour le phénomène: la «synchronicité», ou les «îlots de vie», et il semble incontournable, sauf à imaginer le scénario suivant: supposons qu’il y a très longtemps, une civilisation voisine de la nôtre, réalisant sa fin proche — guerre nucléaire imminente, mort de la planète, révolte des robots, etc. — ait construit une balise radio permanente, destinée à lui survivre, un émetteur qui lancerait dans le cosmos une multitude de signaux à même d’être détectés longtemps après que l’espèce qui l’a imaginée aura disparu. L’émetteur est peut-être encore là, attendant qu’on se règle sur sa fréquence. Il ne s’agit pas de science-fiction. De fait, trouver une balise interstellaire semble la meilleure chance dont puisse disposer la Terre de trouver un voisin. Il faudrait simplement savoir où regarder.

* * *

Le physicien Michio Kaku pense apparemment que tout est potentiellement possible, et c’est pourquoi je l’ai appelé pour discuter du concept de phares intergalactiques. Kaku, théoricien respecté de la physique et avocat convaincu de la théorie des cordes, est également le digne héritier de Carl Sagan de par son talent pour la vulgarisation en physique et en astronomie. Son livre, Hyperspace: A Scientific Odyssey Through Parallel Universes, Time Warps, and the 10th Dimension m’avait, élève de seconde, permis d’entrevoir la bizarrerie du fonctionnement de l’Univers. L’un de ses derniers ouvrages montre la faisabilité des champs de forces et de la téléportation, entre autres. C’est, bien entendu, un grand amateur de la série Star Trek.

Capitaine Picard de Star Trek

Justement, Star Trek est immédiatement venu dans la conversation une fois arrivé au sujet de savoir s’il était raisonnable d’imaginer qu’une civilisation avancée puisse élaborer un système de balise pour préserver sa mémoire, une fois disparue toute trace de sa splendeur. Kaku s’est remémoré un épisode de la série La Nouvelle Génération: «Lumière intérieure», dans laquelle un rayon émis par une mystérieuse sonde spatiale assomme le Capitaine Picard, qui se retrouve dans un rêve sur une planète inconnue et lointaine, où il exerce le métier de tisserand, sans conscience de sa véritable identité.

Il mène des jours tranquilles, jusqu’au jour où celle-ci se met à se réchauffer rapidement jusqu’à devenir invivable. Son dernier souvenir, devenu vieux, est le lancement d’une sonde où est recueillie l’histoire de cette civilisation agonisante, afin que ses dernières années soient rejouées dans l’esprit de quiconque elle rencontrera (Picard, ensuite, se réveille et constate qu’il ne s’est écoulé que 25 minutes).

«C’était leur façon de préserver leur mémoire collective», conclut Kaku. «Du coup, il avait été en mesure d’acquérir une connaissance incroyablement intime de cette civilisation».

Nous autres humains trouvons séduisante l’idée de laisser à la postérité une trace de notre existence, de la même façon que nous sommes programmés pour propager nos gènes de génération en génération. Une civilisation extraterrestre évanouie de longue date aurait-elle pu avoir le même réflexe? L’une des «définitions de travail» les plus courantes de la vie la qualifie de «système chimique auto entretenu capable d’évolution darwinienne». On peut penser que des instincts comparables en découlent.

ET veut-il vraiment laisser une trace?

Bien entendu, dans le cercle des astrobiologistes, on considère cette définition comme parfaitement inadaptée, et l’on ne voit aucune raison de penser que des extraterrestres pourraient partager ce désir de laisser un héritage. J’ai soumis l’idée à Paul Davies, professeur à l’Arizona State University, qui fut autrefois à la tête de la commission chargée de définir comment on annoncerait la découverte de vie extraterrestre. Il doute que l’instinct de reproduction persiste dans une espèce au fur et à mesure de son développement technologique.

«Ce besoin de laisser quelque chose à la postérité — c’est quelque chose que nous avons hérité de l’évolution», pense-t-il. «S’il existe quelque part dans l’univers une forme de vie intelligente, il est tout à fait possible qu’elle ait depuis longtemps abandonné ses racines organiques».

L’idée fait peur: penser que depuis tout ce temps, on pointe nos télescopes dans la bonne direction, mais qu’on s’efforce en fait de trouver les traces d’une race d’extraterrestre disparue depuis des lustres sans se soucier d’ériger un grandiose monument à sa mémoire où de laisser ne serait-ce qu’un graffiti galactique à notre attention. Est-il seulement possible à une civilisation de fabriquer une balise capable d’émettre son épitaphe des millions ou des milliards d’années durant? Si nos extraterrestres avaient eu le désir de créer ce genre de dispositif, en auraient-ils été capables?

Que vos instincts évolutifs soient chatouillés ou non par la perspective de laisser derrière vous une pierre tombale, mieux vaut espérer qu’il en est allé de même pour les autres civilisations. C’est la meilleure chance dont nous disposons, en l’état actuel de notre technologie, de découvrir une autre vie dans l’univers. Ce raisonnement peut également être inversé: si cette autre civilisation a eu l’amabilité d’émettre quelques signaux vers nous, nous nous devons d’en faire de même. Il faut construire notre propre balise. Pure courtoisie interstellaire.

* * *

À l’heure où nous mettons sous presse, la planète Terre dispose d’encore cinq milliards d’années avant que notre soleil ne devienne une géante rouge et nous avale probablement par la même occasion. Une multitude d’autres événements sont susceptibles de précipiter notre fin. La lune pourrait se faire télescoper, ce qui modifierait notre axe de rotation, nous pourrions succomber à un super-virus, le réchauffement climatique pourrait carboniser notre planète, à moins que nous ne nous anéantissions tous seuls par le feu nucléaire.

Il y a des chances pour que la race humaine vive ses derniers moments. Ce n’est pas une réflexion mélancolique sur l’humanité. C’est un constat basé sur le caractère aléatoire et insensible de l’univers, sans parler de notre incroyable incompétence à préserver la fine mécanique de notre habitat. Comme le disent les publicités pour les assurances-vie, il n’est jamais trop top pour penser à sa retraite.

Ceci est la première partie d’une série de deux articles consacrés à la mémoire de la Terre et la recherche de la vie extraterrestre. Voici la deuxième partie: Comment aider les extraterrestres à nous trouver.

Chris Wilson

Traduit par David Korn


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