Économie

Eric Schmidt: «Google n'est pas obligé de traiter tout le monde pareil»

Le président de Google a inauguré son nouveau centre opérationnel à Paris ce mardi. Et répondu à Slate.fr sur quelques questions qui fâchent.

Au volant d'une 2CV, à Paris, dans les nouveaux locaux de Google, avec Nicolas Sarkozy, le 6 décembre. REUTERS/Jacques Brinon/Pool
Au volant d'une 2CV, à Paris, dans les nouveaux locaux de Google, avec Nicolas Sarkozy, le 6 décembre. REUTERS/Jacques Brinon/Pool

Temps de lecture: 5 minutes

Eric Schmidt a une semaine européenne chargée. Il a inauguré avec Nicolas Sarkozy le nouveau quartier général de Google en France mardi 6 décembre et doit parler, toujours à Paris, lors de l’édition 2011 de la conférence Le Web.

Ces deux derniers moments seront sans doute plus agréables que celui passé lundi 5 décembre avec Joaquín Almunia, le commissaire européen à la concurrence. Google est au centre de deux enquêtes pour abus de position dominante, à la fois en Europe et aux Etats-Unis. Entendu par le Sénat américain à la mi-septembre, le président de Google devait cette fois convaincre la Commission européenne que son entreprise ne favorise pas ses propres services et produits dans ses résultats de recherche.

En nous recevant mardi dans les anciens locaux de Google à Paris, à l’Opéra, Eric Schmidt s’est montré circonspect:

«Ils ne nous ont pas dit ce qu’ils ont trouvé […] Ils ne nous ont pas dit quelles étaient leurs inquiétudes. Le commissaire ne nous a pas dit “Je n’aime pas ci”, “Changez ça”… Nous attendons.»

Pour l’instant, la stratégie de Google se résume à «attendre et voir», affirme Eric Schmidt qui précise –évidemment–, penser que les opérations de Google «sont légales d’après les lois européennes et américaines».

C’est sur le même ton, très technique, qu’il nous a expliqué le rapport de Google avec les services du fisc français. «Nicolas Sarkozy veut plus de Google en France, et il a plaisanté avec moi sur les impôts et j'ai dit "Monsieur le Président, nous paierons absolument tous les impôts que nous devons légalement payer en France, absolument." Nous payons la majorité de nos impôts en Irlande, et si cette loi change, nous les paierons sans problème dans un autre pays.»

Pas de véritable «deal» entre Google et la France, juste un «gentlemen agreement», nous a-t-il assuré: 150 emplois créés par Google, 100 millions d'investissement «dans un pays qu'il aime depuis son enfance» contre l'inauguration de ce centre par Nicolas Sarkozy et «le soutien du gouvernement».

«Passer du lien à la réponse»

Au cœur de ces enquêtes pour abus de position dominante, la question de savoir si Google favorise dans ses résultats de recherches ses services par rapport à ceux de ses concurrents (par exemple, nous lui avons demandé si Google faisait apparaître des vidéos YouTube avant celles de Dailymotion ou de Vimeo).

Eric Schmidt a refusé catégoriquement qu’on lui pose la question avec le terme de «neutralité de la recherche» («search neutrality»). Un terme, affirme-t-il, «inventé par Microsoft, qui a financé un groupe qui essaie d’encourager les gens à me poser cette question» –il fait référence à Foundem, une entreprise qui a popularisé le terme et qui est financée par une organisation elle-même financée par Microsoft. Foundem a nié être «le pantin» de Microsoft.

Mais il n’a pas botté en touche pour autant, s’amusant à nous demander de reformuler nos questions sans utiliser ces mots honnis. «Est-ce que vous utiliser votre moteur de recherche et sa position dominante, dans certaines parties du monde, notamment en France, pour promouvoir d’autres services de Google?» Réponse: «Non». Mais pas tout à fait non plus. D’ailleurs, l’exemple qu’il nous donne pour préciser sa pensée montre la corde raide sur laquelle Google joue.

Le but du moteur, nous dit Schmidt, est «de répondre à la question» qu’on lui pose. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Il prend comme exemple la météo: il y a deux ans, en tapant «météo Paris» dans Google, on atterrissait sur cinq liens vers cinq sites qui pouvaient renseigner l’utilisateur sur la météo.

Mais Google est en train de «passer du lien à la réponse»:

«Aujourd’hui, on vous dit qu’il pleut et qu’il fait 10°C, nous dit-il en se tournant derrière lui pour confirmer qu’il fait bien un temps de chien sur l’avenue de l’Opéra, et ensuite on vous montre les cinq liens, parce qu’on pense que c’est plus rapide pour vous, si on a la réponse, de simplement vous dire quel temps il fait. Ça prend un clic au lieu de deux.»

«Pas d’obligation légale de traiter tout le monde pareil»

D’où les inquiétudes de Google face aux enquêtes américaines et européennes: «On ne veut pas, si on connaît la réponse à la question, être empêchés de simplement y répondre.» 

Mais où s’arrête cette philosophie de la «réponse d’abord»? Après tout, Eric Schmidt envisage tout à fait un avenir où l’exemple de la météo s’élargirait à ceux de la vidéo. «Et si nous tapons "quelle est la meilleure chanson de Lady Gaga", le premier résultat sera-t-il une vidéo YouTube?», lui demande-t-on.

Oui. S’il y a un moyen de calculer avec un algorithme la meilleure chanson de Lady Gaga, «nous voudrions vous la donner immédiatement […] si nous avons la possibilité de calculer ça plus correctement qu’un autre site, si ça peut vous apporter cette réponse plus vite, nous voulons avoir la possibilité de le faire».

Pour être encore plus clair et direct:

«D’un point de vue juridique, nous n’avons pas d’obligation légale de traiter tout le monde de la même manière. [...] Nous voulons vous montrer toute les réponses possibles, et nous avons besoin de classer. La définition même de classement veut dire que nous devons choisir, et nous choisissons avec des ordinateurs.»

Schmidt assure que Google ne sera pas pour autant toujours capable de calculer cette réponse mieux/plus rapidement qu’un autre site, «parce que ça dépend de si nous avons les données ou pas», et que tout n’est pas aussi simple à calculer que la météo.

Pourquoi Google n’abandonnera pas les réseaux sociaux 

Façon aussi de dire que la concurrence existe («Google n’est pas le web, de ce que je sais, Facebook se débrouille pas mal»), qu’il n’a aucun mal à parler de ses concurrents, y compris en vantant les mérites de Facebook justement; et que Google ira partout ou presque. Y compris sur les réseaux sociaux, ce qui jusqu’à présent, ne lui a pas trop réussi.

Google poursuivra ses efforts dans le domaine, même si Schmidt avoue que c’est difficile. Malgré ses échecs cuisants avec Google Wave (septembre 2009-août 2010, et une fermeture finale mi-2012) et Google Buzz (février 2010-octobre 2011), Eric Schmidt croit en Google +, notamment parce que Google «a appris de ces deux expériences». De toute façon, qu’il y croie ou pas, il en a besoin:

«Nous avons besoin de ces informations sur vous et vos amis pour améliorer nos produits, donc nous aurons toujours quelque chose comme [Google+].»

Oui au commerce, non à la production de contenus

Améliorer les produits, ça passe aussi par le commerce, et plus précisément la technologie NFC, qui a entre autres permis au géant du web de lancer son «porte-monnaie Google», une application de paiement par téléphone mobile, l’idée étant «d’utiliser internet pour rendre votre vie plus rapide. C’est dans notre intérêt, pour en revenir au consommateur: vous voyez un produit, plus vite vous pouvez l’acheter et plus vite tout le monde est content!»

Ça s’appelle le «tap and pay», dit-il en joignant le geste à l’explication, frappant vigoureusement à deux reprises contre la table son «nouveau téléphone qui sera chez vous en janvier». En gros, le consommateur repère un produit dans un magasin, et d’un coup de téléphone, l’achète. A terme, Google fera aussi dans la livraison, puisque le géant américain essaie de s’introduire sur ce marché.

Où s’arrêtera donc Google, qui va jusque dans «la vraie vie»? Même s’il ne faut «jamais dire jamais», Eric Schmidt ne voit pas Google se lancer dans le business de la production de contenus, «faire des films, éditer des journaux… parce que c’est mieux pour nous d’être des distributeurs». Ce n’est que pour mieux valoriser sa technologie, assure-t-il, qu’il investit dans le fabricant de téléphone Motorola. Vu qu’il devra aussi en rediscuter avec les Chinois, en plus des Américains et des Européens, Eric Schmidt devrait peut-être se lancer dans l’aéronautique…

Propos recueillis par Cécile Dehesdin, Johan Hufnagel et Eric Leser

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