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La main tendue allemande pour sortir de la crise de l'euro

Angela Merkel a accepté de présenter un programme d’intégration européenne ambitieux et sur le long terme mais qui ne répond pas à l’urgence de la crise financière actuelle. La chancelière allemande attend désormais une réponse de Paris.

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Pour que l’Europe ne sombre pas dans la catastrophe totale, l’entente entre la France et l’Allemagne est impérative. En tous cas, son affichage. Lors de leur rencontre à Strasbourg en compagnie du nouveau chef du gouvernement italien Mario Monti, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont tombés d’accord… pour se mettre d’accord.  Avant le 9 décembre, date du prochain Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept. Comme souvent Paris et Berlin partent de positions opposées.

La chancelière veut une réforme limitée et rapide des traités européens afin d’améliorer la «gouvernance» de la zone euro. Traduction: pour renforcer la discipline budgétaire, punir les Etats contrevenants, voire les exclure.

Le président de la République française se méfie d’une réforme des traités qu’il juge impraticable dans des délais raisonnables, même en l’absence de ratification par référendum. Il privilégiait une approche pragmatique: aller aussi loin que possible à traités constants, quitte à solliciter un peu les textes. Voire agir dans un cadre juridique ad hoc, en dehors des traités à vingt-sept.

S’il n’est pas d’autre part opposé à un renforcement de la discipline, il est réticent à accepter des sanctions automatiques pour laisser place à l’appréciation politique. Surtout il souhaite que la Banque centrale européenne, à l’instar de la Banque d’Angleterre ou de la Federal Reserve aux Etats-Unis, soit un prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire puisse racheter les dettes des pays en difficulté.

Français et Allemands devraient présenter des propositions communes au prochain Conseil européen. Nicolas Sarkozy a cédé sur la réforme des traités mais il n’a pas réussi à convaincre Berlin d’accepter un changement de statut de la BCE. Pour Angela Merkel, cette mini-réforme devrait être seulement une première étape.

Lors du récent congrès de son parti, l’Union chrétienne-démocrate, elle a présenté un programme d’intégration européenne beaucoup plus ambitieux: élection du président de la Commission de Bruxelles au suffrage universel, renforcement des pouvoirs du Parlement, bref  l’esquisse d’une véritable fédération politique.

De la part d’une chancelière qui se caractérisait plutôt par sa tiédeur vis-à-vis de l’intégration européenne, c’est une surprise. Pourquoi ce revirement? Pour trois raisons au moins.

La première tient à la tradition de la démocratie-chrétienne allemande. La CDU a toujours été le parti pro-européen de l’Allemagne fédérale. Bien avant le ralliement de la social-démocratie allemande à l’Europe, à la fin des années 1950. La vieille garde des collaborateurs d’Helmut Kohl a quitté le pouvoir mais elle a toujours un représentant au gouvernement: Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, fait figure de gardien du temple. Dernier représentant de la génération qui a milité en faveur des Etats-Unis d’Europe, il a convaincu Angela Merkel qu’il fallait sortir de la crise par le haut.

La deuxième raison est plus politique. L’Allemagne est montrée du doigt par nombre de ses partenaires comme largement responsable, sinon de la crise, en tous cas de ses conséquences. «L’égoïsme allemand» aggravé par les leçons de morale financière que Berlin inflige en permanence, a provoqué un regain de sentiment anti-allemand dans de nombreux pays européens, avec des caricatures invoquant le passé et l’occupation nazis, en Grèce notamment.

Pour faire face, il ne suffit pas aux Allemands de rappeler le traumatisme subi par deux inflations galopantes en moins d’un demi-siècle. Dans les années 1920, pendant la crise qui a fait le lit du national-socialisme, il fallait des brouettes de millions de Reichsmarks pour acheter du pain. Après la deuxième guerre mondiale, la réforme économique qui a été à l’origine du «miracle allemand» a doté chaque citoyen d’Allemagne de l’Ouest d’un «magot» de 48 deutschemarks.

L’indépendance de la Banque centrale, qui doit en principe rester insensible aux sirènes de la facilité politique, fait partie «de notre ADN», selon l’expression d’un responsable allemand.

Ainsi, comme au lendemain de la réunification en 1990, le moment est venu pour les Allemands de montrer qu’ils sont de bons Européens. Qu’ils n’envisagent pas d’avenir en dehors d’une Union européenne non seulement consolidée mais de plus en plus intégrée.

La troisième raison est juridique. A plusieurs reprises, le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, interrogé par des eurosceptiques, a réduit la marge de manœuvre du gouvernement fédéral en matière d’intégration européenne. Toutefois ses jugements peuvent être l’objet d’une double lecture. Il limite certes les transferts de souveraineté en faveur de l’UE, au nom des droits des représentants du peuple, réunis dans le Bundestag, en l’absence d’une représentation démocratique d’un éventuel peuple européen.

Mais il laisse entendre que des transferts de souveraineté, en particulier en matière d’impôts (pas d’imposition sans représentation), seraient légitimes à condition que le Parlement de Strasbourg soit à la fois représentatif et doté des pouvoirs d’un véritable parlement. C’est cette évolution qu’a esquissée le congrès chrétien-démocrate de Leipzig.

Les idées lancées par Angela Merkel répondent, ou contournent, les exigences du Tribunal constitutionnel. Cette évolution suppose une réforme profonde de la Constitution allemande qui devrait être approuvée par référendum.

C’est dire qu’il s’agit d’un projet à long terme. Il ne répond pas à l’urgence de la crise financière actuelle. Il n’en jette pas moins les jalons d’un grand bond en avant de la construction européenne. S’il est peu probable que les vingt-sept pays membres veuillent suivre, les Allemands attendent une réponse de Paris. Deux fois, en 1994 et 2000, ils ont proposé un progrès radical de l’intégration. Par deux fois, la France n’a pas répondu.

Daniel Vernet

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