Monde

Méfions-nous des guerres courtes

Plaidoyer pour la guerre interminable. Comme le 11-Septembre l'a montré, la civilisation occidentale a des ennemis avec qui la paix n'est ni possible, ni désirable.

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Dans les commentaires sur la décennie post-11 septembre, un sujet revient constamment –on pourrait quasiment y voir une thématique interminable et indéterminée– et c'est cette réflexion plaintive selon laquelle la lutte contre al-Qaida et ses représentants serait quelque part une «guerre sans fin». (D'autres variantes du même raisonnement font état d'une «guerre perpétuelle» ou d'une «guerre interminable», tout comme les articles anti-guerre sur l'engagement en Irak n'avaient de cesse de souligner qu'il n'y avait «aucun dénouement en vue»).

J'ai un peu de mal à saisir la force de cette objection, ou de cette description d'ailleurs. Nous sommes-nous un jour lancés dans un combat, ou même retrouvés dans un combat, en connaissant par avance, et avec certitude, le déroulé et la longueur des hostilités?

Existe-t-il deux sortes de guerres, dont l'une serait à durée limitée? Cela ressemble un peu à une autre catégorisation, tout aussi séduisante mais néanmoins trompeuse –entre les «guerres de choix» et les «guerres de nécessité»– qui, après une analyse attentive, se révèle être une distinction sans grande différence.

La guerre avant la guerre

Pour ne serait-ce qu'ambitionner une chronologie aussi sibylline, il doit d'abord y avoir consensus sur la date effective du début de la guerre. Par exemple, je dirais que les hostilités entre les États-Unis et Saddam Hussein ont commencé au début des années 1990, du moins à un niveau relativement modeste, après la violation par le leader irakien de toutes les conditions du cessez-le-feu qui lui avaient permis de rester au pouvoir en 1991, et après qu'il s'est mis régulièrement à tirer sur les patrouilles aériennes censées garantir ce même cessez-le-feu et les zones d'«exclusion aérienne».

Pendant plus de dix ans, notre seule réaction a été de multiplier les patrouilles aériennes et de s'appuyer sur un régime de sanctions déliquescent. Ici, il n'y avait, réellement, «aucun dénouement en vue». Mais quelque chose me dit que ce n'est pas le genre d'exemple que mes détracteurs ont en tête.

De même, on pourrait se demander depuis combien de temps nous sommes en guerre contre al-Qaida, ou ses équivalents. Depuis l'attentat contre le World Trade Center, en 1993? Depuis les destructions des ambassades américaines en Afrique? Depuis le quasi sabordage de l'USS Cole dans le port d'Aden, en 2000? Soulever de telles questions suffit à éveiller un énervant soupçon indiquant que, pendant une période assez longue, al-Qaida était en guerre contre nous sans que nous ayons pris conscience d'être en guerre contre eux.

C'est justement ce mauvais pressentiment qui commençait à nous parcourir l'échine, pour certains d'entre nous, avant que les événements d'il y a dix ans ne dissipent la plupart de nos doutes. Et il aurait été tout aussi pertinent de dire «aucun dénouement en vue» le 12 septembre 2001 qu'aujourd'hui –et ce avec davantage de justesse, d'ailleurs. Ainsi, encore une fois, ceux qui cherchent à remonter des pendules doivent préciser avec le maximum d'exactitude quand se situe, selon eux, le début de cette confrontation.

Accusés de jouer les prolongations

Les attitudes à l'égard de la durée sont souvent un bon indice des attitudes à l'égard des résultats. Pendant le conflit bosniaque, ceux d'entre nous favorables à l'usage de la force pour lever le siège de Sarajevo furent accusés de défendre une stratégie qui allait «rallonger» la guerre. Cela avait beau être vrai, par définition, dans un sens le plus trivial (tout ce qui privait le Général Ratko Mladić d'une victoire bon marché, facile et rapide sur des civils prolongeait nécessairement la guerre, dans une certaine mesure), ce n'était pas vrai dans n'importe quel autre sens raisonnable. Le bombardement relativement bref des positions d'artillerie serbes eut comme effet de révéler la vacuité de la force militaire de Mladić: en un temps record, Slobodan Milošević en personne se rendait à Dayton pour négocier.

On pourrait formuler la chose comme suit: cette intervention a légèrement rallongé les hostilités à court-terme, mais les a sérieusement raccourcies sur le long-terme. (Plus tard, Milošević a pris, à tort, les accords de Dayton pour une manifestation d'indulgence et a tenté de réitérer sa stratégie bosniaque au Kosovo. Mais même si cela peut être interprété comme un allongement de la guerre, au final, cela a mené à la défaite de son armée, au renversement de son régime, et donc à une fin conclusive).

Les arguments de durée sont souvent d'une grande portée historique, remontant bien avant ces conflits récents. Par exemple, parmi les historiens, la sagesse conventionnelle veut que l'intervention militaire des États-Unis en Europe, en 1917, ait eu comme effet salutaire de persuader le haut-commandement allemand qu'avec le déploiement d'un bataillon hostile supplémentaire, très bien armé et au mieux de sa forme, il ne pouvait plus espérer vaincre l'alliance des Britanniques et des Français.

Mais une autre interprétation des mêmes événements montre que la guerre sur le front occidental a été en réalité prolongée. Avant que le Président Woodrow Wilson n'ait abandonné sa neutralité, et engagé les troupes américaines en nombre, les Allemands rencontraient d'importants succès militaires. Leurs prouesses avaient même poussé une certaine mobilisation, surtout à Londres, en faveur d'une paix négociée.

Mais l'arrivée d'un nouvel allié fit taire tous ces débats, et obligèrent les Allemands à se battre jusqu'à leur dernier souffle. Non seulement cela, mais quand les termes de l'accord de paix furent effectivement négociés, les Français eurent la permission et la possibilité de poser leurs revendications économiques et territoriales les plus vindicatives à l'encontre de l’Allemagne. Que le Traité de Versailles ait mené à la montée du nazisme et à la «Seconde» Guerre mondiale, qui était plutôt la partie 2 de la première, est une conclusion que contestent aujourd'hui peu d'historiens. Les avocats des guerres courtes devraient donc apprendre à se méfier de ce qu'ils réclament.

Ennemis immuables

Une dernière objection au dogme des interventions brèves tient davantage du bon sens. Dans l'ensemble, il vaut mieux peut-être ne pas dire à l'avance à votre adversaire à quelle date vous prévoyez de retirer vos forces. De nombreux généraux américains, nous le comprenons bien, ont été très critiques quand le président Obama prit seul la décision d'annoncer une date butoir pour la fin des hostilités en Afghanistan.

Effectivement, il semble que des signes inquiétants viennent des membres de l'armée nationale afghane, en particulier, qui calculent les choses en fonction de qui sera encore présent dans les mois à venir. Difficile de jeter la pierre à ceux qui s'en tiennent à leurs intérêts personnels d'une manière aussi abrupte.

L'histoire humaine compte visiblement bien plus d'années de conflit que de tranquillité. En un sens, il est donc assez stérile de pleurnicher sur le caractère interminable de la guerre. Nous avons sans aucun doute des ennemis immuables –les États totalitaires, les cellules terroristes et/ou nihilistes– avec lesquels la «paix» n'est ni possible ni désirable. En prendre conscience, et s'y préparer, pourrait nous donner un certain avantage dans une guerre destinée à durer aussi longtemps que la civilisation sera disposée à se défendre.

Christopher Hitchens

Traduit par Peggy Sastre

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