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Révolutions arabes: les Frères Musulmans remportent la mise

Après avoir avancés masqués, les Islamistes prennent le pouvoir dans les pays arabes qui ont chassé dans l'allégresse leurs dictateurs, Tunisie, Egypte et Libye. Même la Syrie pourrait basculer. Une perspective inquiétante.

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Les révolutions arabes sont toutes différentes mais ont au moins un point commun dans les différents pays où elles ont eu lieu. Les Frères musulmans et autres islamistes, malgré des structures souvent bien organisées, n’ont pas pris part à l’avènement des nouveaux régimes. Ils ont d’abord assisté en spectateurs aux évènements et ensuite, se sont insérés dans le processus de démocratisation en donnant l’impression qu’ils ne s’intéressaient pas au pouvoir et que leur objectif était uniquement social.

Ils se sont inspirés de la technique utilisée avec succès en 1979 par l’ayatollah iranien Khomeiny qui ne cessait de marteler, quand il était en France lors de la chute du Shah, que son vœu le plus cher était de reprendre ses cours pour ses élèves de Qom et que le pouvoir était le dernier de ses soucis. On sait ce qu’il est advenu de son engagement. La gauche marxiste iranienne était descendue dans la rue à Téhéran et a permis aux mollahs de récupérer la révolution à leur profit. Depuis la République Islamique tient le pouvoir à Téhéran d'une main de fer.

La stratégie du profil bas

Les Frères musulmans n’ont pas directement participé aux émeutes de Tunisie, d’Égypte ou de Libye et ne les ont même pas suscitées. Ils sont restés en embuscade pour ne pas affoler les populations laïques comme l’a d’ailleurs constaté un de leurs hérauts, Tariq Ramadan: «Pour nous, occidentaux, ce sont des laïcs qui sont descendus dans les rues tunisiennes et égyptiennes, alors que ces populations sont majoritairement musulmanes.» Il s’agissait pour eux d'attendre le moment opportun, d'une situation dont ils ont tout à gagner, pour prendre le pouvoir: «Ce sont des soulèvements populaires c’est une évidence, qui ont été accompagnés de techniques de mobilisations non-violentes, et dont le but était de renverser les régimes, mais pas nécessairement de changer le système». Le mot est lancé, l’objectif est de transformer les régimes trop compromis avec l’occident.

Les Frères ont compris qu’ils devaient utiliser une dialectique appropriée pour ne pas brusquer ceux qui ne voulaient pas rompre et même aspiraient sans pour autant vraiment le dire à un mode de vie occidental, la référence condamnée par les islamistes: «les jeunes blogueurs d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont été instrumentalisés par les occidentaux.» Alors ils ont utilisé des sous-traitants qui les ont progressivement amenés aux portes du pouvoir tandis qu’ils avançaient masqués. L’exemple tunisien a été le plus réussi puisque le parti Ennahda a récolté 41% des sièges à l’assemblée constituante alors que les militants islamistes ont peu été vus dans les cortèges de la révolution où les femmes non voilées ont mené le combat en première ligne.

Pour l’instant, l’échec est provisoire en Égypte car l’armée est toujours présente et contrôle le pouvoir mais les élections risquent de modifier le cours des choses puisque les Frères musulmans y comptent plus de 2 millions d’encartés. En revanche, en Libye les islamistes ont exploité très vite l’intervention de la France et de l’Otan pour s’arroger le pouvoir et font mine à présent de refuser les éloges aux nouveaux venus: «En ce qui concerne la Libye, j’ai tout de suite dit que le CNT était composé de gens dont la majorité ne me paraissent pas dignes de confiance et qui, derrière des déclarations sur la charia, sont dans des tractations économiques avec l’Occident liées au pétrole.» Cette posture permet de masquer les intentions réelles d’un nouveau pouvoir qui ne veut pas agréger contre lui les critiques occidentales.

Crédibilité

Les islamistes veulent se donner de la crédibilité tout en étouffant les inquiétudes occidentales. Parce que l’AKP est considéré comme fréquentable et respectable, ils répètent à longueur d’interviews que leur modèle reste la Turquie qui a su allier démocratie et islamisme, sans rappeler que les turcs y ont été contraints par la Constitution d’Atatürk qu’ils ont tendance à grignoter progressivement.

Dans cet esprit, fidèles à leur stratégie de non implication directe qu’ils ont expérimentée en Tunisie et en Libye, les Frères musulmans estiment à présent qu’ils peuvent prendre le pouvoir en Syrie par Turquie interposée. Ils veulent que le pays tombe dans leur escarcelle. Ils prônent ouvertement une intervention turque pour supplanter le régime de Bachar el-Assad. Leur leader en exil, Mohammad Riad Shakfa, est clair dans ses propos: «Le peuple syrien acceptera une intervention en Syrie venant de Turquie, plutôt que de l’occident, s’il s’agit de protéger les civils. Nous pouvons avoir besoin de demander davantage de la Turquie car c’est un voisin».

Ils craignent un conflit généré par les occidentaux qui risquerait de freiner leur prise de pouvoir en Syrie. Le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a bien reçu le message et est fortement intéressé à mettre un pied en Syrie pour s’introduire au Proche-Orient dans sa volonté de devenir le leader du monde arabe: «Il semble que la Syrie ne soit pas suivie par la communauté mondiale avec l’attention et la sensibilité qu’elle mérite parce qu’elle n’est pas suffisamment riche en ressources énergétiques».

En écho, le chef radical chiite irakien, Moqtada Sadr, cherche à contrer toute forme d’opposition à l’influence iranienne dans la région. Il a affirmé sa solidarité avec la cause des révolutionnaires syriens mais a salué l’opposition du président Assad aux États-Unis et à Israël. Il a ouvertement appelé à son maintien au pouvoir.

La montée irrésistible des islamistes

La montée fulgurante du courant islamiste, avec pour corollaire son accès au pouvoir grâce aux révoltes populaires, n’est pas jugé à sa juste mesure par les pays occidentaux. Le souhait des tunisiens et du CNT libyen d’instaurer un État islamiste, et à présent les intentions affichées par le Conseil de transition syrien, passent presque inaperçus. En usant du qualificatif d’islamistes modérés voulant s’inspirer du modèle turc, les occidentaux semblent volontairement ignorer le danger islamiste qui menace à court terme le processus démocratique dans les pays libérés de la dictature.

Certains intellectuels arabes expliquent cette situation par le soutien affirmé des États-Unis aux salafistes d’Arabie saoudite. Entre les islamistes chiites iraniens et les wahabites saoudiens, Washington a plus encore que dans le passé pris le parti des Saoudiens. Cela signifie que la montée des islamistes se poursuivra, qu'elle sera irrésistible et que le terme de révolutions arabes aura été le slogan d'une saison.

Jacques Benillouche

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