France

«Bonjour, je voudrais une chambre avec pute»

Le Carlton est devenu une attraction lilloise, au grand dam de ses employés.

Temps de lecture: 3 minutes

«Je peux vous demander pourquoi vous prenez cet hôtel en photo?»

«Bah c’est bien ici l’affaire avec DSK et les prostituées, non ? C’est pour mettre sur Facebook.»

Fabien travaille à la SNCF. Il est de passage à Lille pour quelques heures. En sortant de la gare, c’est sur lui qu’il est tombé en premier. Lui, c’est l’hôtel Carlton. Avant, l’établissement quatre étoiles était réputé pour son confort et son emplacement idéal au cœur de la capitale des Flandres. Aujourd’hui, il est surtout la face visible de l’affaire qui secoue le Nord.

Des prostituées, un proxénète belge au surnom évocateur de Dodo la saumure, une grosse entreprise de BTP, des partouzes, un avocat, des policiers, des notables et même le nom de Dominique Strauss-Kahn. Tout est réuni pour faire de l’affaire du Carlton un dossier ultra médiatisé. Et du quotidien des employés un enfer.

Car l’hôtel est devenu the place to see à Lille. «Toute la journée, des touristes se font photographier devant l’hôtel, soupire Julien*, réceptionniste. C’est vraiment très lourd. Il y a même des gens qui viennent à la réception demander “une chambre avec pute”. D’autres nous appellent pour demander si DSK est ici.»

L’ancien patron du FMI est en effet cité dans l’affaire. Mais pas dans son volet lillois. Certaines prostituées peut-être liées au réseau du Carlton auraient pu rendre visite à DSK à Paris ou Washington. En revanche, lui n’aurait pas mis les pieds dans l’établissement. Mais Julien ne perd pas de temps à expliquer ces détails aux blagueurs.

«Je leur dis qu’on est sur écoute et qu’ils peuvent être poursuivis, ça les calme.»

«J’ai été voir un spectacle. Eh ben ça n’a pas manqué…»

Sofiane*, réceptionniste également, garde lui un œil sur les réservations Internet.

«Je repère tout de suite les réservations louches, type canular. C’est souvent du jour pour le lendemain, avec des demandes étranges…»

Gêné, il n’en dira pas plus.

En face de l’hôtel, des affiches sont restées collées quelques jours. Elles faisaient la promotion d’une soirée organisée par un collectif libertaire et intitulée «De la dope, du fric, des putes». En toile de fond, un dessin du Carlton. «On voulait les garder pour porter plainte, mais elle ont été enlevées», souffle Julien.

Même quand il quitte le travail, l’affaire le rattrape.

«J’ai été voir un spectacle de stand up dans un club lillois. Eh ben ça n’a pas manqué: le duo d’humoristes a fait des blagues sur le Carlton et les prostituées.»

On proposerait bien à Julien d’aller boire un coup pour lui remonter le moral. Mais non. «Quand je vais prendre un café à côté de l’hôtel, combien de fois j’entends des gens plaisanter entre eux “allez viens, j’te paye une pute”…» VDM, diraient certains.

Mais bon, ça pourrait être pire. Si le réceptionniste était sur Twitter par exemple.   

«Rien ne s’est passé ici»

Mais les cinquante salariés de l’hôtel commencent à voir le bout du tunnel. Le Carlton s’affichant moins dans les journaux ces derniers temps, l’armée de touristes-blagueurs a un peu battu en retraite. Reste que l’amertume est bien là. «C’est triste, dur. Les gens ont tout mélangé. De toute façon, rien ne s’est passé ici», assure Julien.

Rien? Le propriétaire de l’hôtel, son directeur et le chargé des relations publiques sont pourtant accusés d’avoir proposé les services de prostitués à certains clients…

«Franchement, on aurait remarqué quelque chose, des va-et-vient. On n’a rien vu! Qu’il y ait une affaire, c’est possible, mais rien ne s’est passé au Carlton même.»

Ce n’est pas l’avis des juges, puisque les trois membres de la direction de l’hôtel sont mis en examen pour proxénétisme aggravé.

Bonne fréquentation

Pendant dix jours, les salariés ont d’ailleurs vécu dans l’angoisse d’une fermeture judiciaire, qui aurait peut-être obligé l’établissement à mettre la clef sous la porte. Une manifestation a été organisée et ils ont refusé de procéder à l’évacuation des chambres. Avec succès, puisque la fermeture a été suspendue le 25 octobre pas la cour d’appel de Douai. Les clients sont donc toujours là.

«Pour l’instant, on ne ressent pas l’effet de l’affaire sur la fréquentation, assure Julien. Nous avons un taux d’occupation normal pour la saison. Les clients, qui sont pour beaucoup des habitués, nous soutiennent. Ils ont même voulu faire une pétition quand on était menacé de fermeture.»

Mais malgré tout, Julien et Sofiane le concèdent: il faudra attendre quelques mois –mars, peut-être avril– pour savoir si l’hôtel sortira indemne de l’affaire.

«En ce moment, c’est une période de congrès avec beaucoup de clients business et des réservations anciennes. Il faudra voir ce que ça donne quand les entreprises devront réserver à nouveau…»

On a voulu parler à la directrice adjointe du Carlton assurant l’intérim pour avoir son avis sur tout ça. Manque de bol, elle est en vacances. En Thaïlande.

Hugo Clément

*Les prénoms ont été modifiés

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