Économie

Monti, Papademos... La saison des Experts

L'impuissance des politiques face à la crise, leur peur d'affronter une impopularité croissante s'ils venaient à prendre des mesures radicales condamnent-elles les élus à laisser gouverner des technocrates pour rassurer les marchés?

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Les nominations en Grèce et en Italie de gouvernements de «technocrates» sont-elles le résultat de la défaite des démocraties face aux tout puissant marchés financiers? Les créditeurs de ces pays endettés ont-ils obtenu gain de cause: le choix de personnalités à leur convenance qui soient les plus aptes à sauvegarder leurs intérêts? Les marchés sont-ils en train de mettre, pays après pays, les hommes politiques en coupe réglée? Au-delà, assiste-t-on à un échec de la démocratie occidentale devant l’argent, alors que dans le même temps, en Chine, les gouvernements dictatoriaux parviennent, eux, à s’imposer avec succès?

Le Grec Lucas Papademos et l’Italien Mario Monti sont des économistes «eurocrates»: le premier a été vice-président de la Banque centrale européenne et le second commissaire à Bruxelles. Les deux sont considérés comme les seuls capables de calmer la tempête soulevée dans leur pays respectif par la crise des dettes.

Pourquoi? Parce qu’ils seraient les seuls à pouvoir mesurer la gravité de la situation, comprendre le pourquoi des attaques des marchés, mettre en place les dispositifs et réformes nécessaires, et parce qu’étant «a-politiques», non élus, ils seraient mieux à même d’appliquer des mesures, aussi draconiennes soient-elles.

L’idée qui préside à leur choix est qu’il faut repousser hors de la cabine de pilotage des hommes et des femmes soumis à réélection car ils sont rendus de ce fait forcément peu courageux. Il suffit de s’en référer à l’aveu de Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois qui déclarait:

«Nous les hommes politiques, nous savons très bien ce qu’il faut faire [pour résoudre la crise]. Mais ce que nous ne savons pas, c’est comment être réélus si nous le faisons.»

Phrase terrible qui justifie l’impuissance des gouvernements… Monti et Papademos n’ont jamais affronté les électeurs, ils seraient donc, eux, courageux.

L'union sacrée

Une autre solution est théoriquement possible: le gouvernement d’unité nationale. C’est ce que cherche un Barack Obama quand il crée une commission bipartisane pour trouver comment abaisser le déficit budgétaire américain. C’était aussi l’idée à Athènes de trouver un compromis entre le Pasok et l’opposition de droite.

Dans d’autres pays, beaucoup y songent. Si l’on considère que la crise est très profonde, qu’il faut des mesures radicales et, qu’en somme, l’occident est en «guerre économique» (contre la Chine et les spéculateurs coalisés), alors sonne l’heure de l’«Union sacrée», comme celle proclamée en 1914 par Raymond Poincaré contre «l’envahisseur» allemand. 

Cette solution préserve les prérogatives de la classe politique et lui donne même le beau rôle. Hélas, elle s’avère impossible. La commission Obama explose, les partis politiques grecs ne parviennent pas à dépasser leurs querelles, même échec ailleurs: la classe politique n’est décidément pas à la hauteur de l’Histoire. CQFD. Voici le temps du gouvernement des experts.

Tout cet argument n’est pas faux, à l’évidence. Face à la crise, un Mario Monti vaut mille fois mieux qu’un Silvio Berlusconi. Il n’est personne pour douter qu’un économiste d’expérience est plus à même de gouverner qu’un fanfaron. Mais pour autant, le sous-entendu, c’est-à-dire la défaite de la démocratie, est faux.

Ces experts sont nommés démocratiquement et ils sont responsables devant leur parlement. Si la main sur le gouvernail cesse d’être partisane, la haute main reste à la politique. C’est vrai aussi pour un gouverneur de la Banque centrale européenne, nommé par 17 chefs d’Etat et responsable devant le Parlement de Strasbourg. Si ce ne sont pas des élus, le processus de leur nomination et de leur contrôle n’en est pas a-démocratique.

Même chose pour tous les responsables des «agences indépendantes» qui se multiplient: les Autorités de régulation de la concurrence, des marchés financiers, des télécoms, de la télévision, de l’électricité, etc. Cette démocratie des experts reste une démocratie. Et la démocratie gagne en efficacité ce qu’elle perd en électoralisme.

Mais jusqu’où aller? Faut-il en temps de crise n’avoir plus que des économistes anciens du FMI ou de la BCE? N’est-ce pas céder devant le fameux Tina (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher qu’en français ses détracteurs ont traduit par «la pensée unique»?

La réponse tient dans la première partie de la phrase de Jean-Claude Juncker: oui, toute la classe politique sérieuse «sait ce qu’il faut faire». Oui, il faut rembourser la dette, la seule marge est de discuter du comment et de l’agenda. Oui, il faut que l’Etat providence soit entièrement reconstruit, même si le comment n’est pas écrit. 

On peut, ici, douter d’ailleurs de l’inéluctabilité du sort cruel fait aux dirigeants politiques qui seraient courageux. Les électeurs ne sont pas si déterminés que ça à punir les réformateurs radicaux. Au contraire souvent, à condition de bien expliquer l’enjeu. En France, on aurait fortement besoin d’experts qui précisément nous tiennent un tel discours.

Les beaux jours

Dernière question: en attendant que les courageux montent à la tribune, faut-il craindre la réussite de la Chine et se convertir à une forme de dictature, plus pertinente devant la crise? Archi-faux là aussi. La Chine bénéficie d’une économie en rattrapage, elle aspire les inventions et les méthodes inventées ailleurs. Bientôt, elle sera rattrapée par le manque de liberté de créer, de critiquer.

Dans un monde où l’inventivité et la souplesse sont les clés de la victoire, la démocratie, avec ses pouvoirs et contre-pouvoirs, est le seul système qui vaille durablement. L’Amérique et l’Europe actuellement déclinent au profit des Brics. Mais si l’occident sait, justement, défendre et améliorer de l’intérieur la qualité de son système politique, si Papademos et Monti réussissent, la démocratie greco-latine a de beaux jours devant elle.   

Eric Le Boucher

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