France

Carlos et l'avocate de la terreur

Le procès de la figure emblématique du terrorisme international des années 1970-80 s’ouvre lundi 7 novembre devant la cour d’assises de Paris. Au côté de l’accusé se tiendra Me Isabelle Coutant-Peyre, celle qui l’assiste depuis quatorze ans.

Temps de lecture: 5 minutes

Dans la cour de la prison de la Santé, un détenu s’emporte. Sans l’avoir averti préalablement, les surveillants viennent de le sortir de sa cellule pour un rendez-vous avec le juge d’instruction. Il est hors de lui: il n’a même pas eu le temps de prendre une douche. Dans la confusion, une mince femme brune s’approche et se présente: elle est son avocate. Le prisonnier, soudain apaisé, lui répond… par un baise-main. Illich Sanchez Ramirez dit Carlos et Isabelle Coutant-Peyre viennent de faire connaissance.

«C’était surréaliste!», sourit-elle aujourd’hui en racontant cette anecdote vieille de quatorze ans. Assise dans son cabinet de Saint-Germain des Prés, le cigarillo aux lèvres, l’avocate de 58 ans, évoque la scène avec un amusement que le temps n’a pas atténué.

C’est «dans son quartier faussement VIP» de la prison de la Santé qu’Isabelle Coutant-Peyre rend actuellement visite au plus célèbre terroriste des années de plomb. Il y a été transféré début octobre dans la perspective du nouveau procès. «Il est ravi, il peut parler en espagnol avec Noriega!», l’ancien narco-dictateur panaméen, glisse-t-elle malicieusement. Pour des raisons pratiques, Carlos a en effet quitté la centrale de Poissy (Yvelines) où il purgeait sa peine de prison à perpétuité pour le meurtre de deux agents de la DST, à Paris rue Toullier, en 1975.

Paradoxalement, c’est la première fois que ce «révolutionnaire professionnel» autoproclamé, aujourd’hui âgé de 62 ans, va à être jugé pour des actes terroristes. Jusqu’au 16 décembre 2011, il sera face aux juges de la cour d’assises spéciale de Paris afin de répondre de complicité dans quatre attentats perpétrés entre 1982 et 1983 et qui ont fait onze morts: contre le train Toulouse-Paris «Le Capitole», le siège du magazine Al-Watan Al-Arabi, la gare Saint-Charles de Marseille et un TGV à Tain-L'Hermitage.

Selon l'accusation, cette série meurtrière aurait été orchestrée par Carlos afin d’obtenir la libération de sa compagne, l’Allemande Magdalena Kopp, et d’un ami, le Suisse Bruno Bréguet.

Pas de trace du «Chacal»

Me Isabelle Coutant Peyre affute ses arguments: elle ne concèdera rien. Elle connaît le dossier par cœur et serait «le seul avocat en qui Carlos ait confiance». Méthodique, elle dissèque chaque acte terroriste pour prouver que son client y est étranger. L’explosion du  journal Al-Watan Al-Arabi? Il faudrait y voir l’œuvre d’un général de l’armée de l’air syrienne en guise de représailles envers ce titre hostile à son pays. Gare Saint-Charles, pas de trace du «Chacal», comme l’avait surnommé le Guardian en 1975, non plus. «Un mois et demi avant l’attentat, un type qui travaille avec le GAL (groupe antiterroriste de libération), prévient que l’acte va avoir lieu, pour faire pression sur le gouvernement français. Pourquoi alors accuser Carlos?», s’interroge Me Coutant-Peyre.

L’accusation lui fournira certainement une réponse. Concernant «le Capitole», la responsabilité de Carlos est vite balayée: «Le mec visé, c’était Chirac et on ne voit pas en quoi Carlos pouvait être intéressé par le maire de Paris», conclut-elle. En résumé, la seule action jamais revendiquée par le terroriste mythique est celle de la prise d’otages de l’Opep. Le bras de fer avec l’accusation s’annonce long et sans concession.

Coutant-Peyre

Isabelle Coutant-Peyre en 1997. REUTERS/Jacky Naegelen

Pourtant, Carlos sera modestement entouré au cours ce procès fleuve. Au côté d’Isabelle Coutant-Peyre, une seule autre robe: celle de Me Francis Vuillemin. Le Chacal, faute de moyens, ne peut pas engager une ribambelle de conseils. Ses soutiens financiers de l’ambassade du Venezuela, son pays d’origine, se réduisent à peau de chagrin.

Sa famille envoie bien un peu d’argent de temps à autre, mais les sommes sont loin d’être suffisantes. Assise au milieu de son spacieux bureau, entourée par des piles de dossiers où s’étalent les noms de chefs d’Etats africains, Me Coutant-Peyre maugrée: «Je ne sais même pas si je pourrai payer les charges de mon cabinet!»

Action directe, Youssouf Fofana, Kemi Seba, Garaudy...

Selon ses dires, elle travaillerait quasi-gratuitement pour Carlos: non seulement le terroriste n’a pas le sou mais, en plus, il ne lui fait pas bonne presse. En effet, ce genre de dossiers n’attire pas les clients convoités des grandes sociétés. «Ceux qui ne me connaissent pas pensent certainement que mon champ de compétence se limite aux affaires terroristes», souligne-t-elle. Difficile en effet d’imaginer que son cœur de métier est en réalité le droit des affaires.

Pourtant, à 20 ans, lorsqu’elle débute ses études, c’est bien cette spécialité qu’elle choisit, à l’université de Nanterre, tout en travaillant parallèlement pour un administrateur judiciaire, chez qui elle est en charge de dossiers concernant des entreprises en redressement. Des affaires bien loin de celles qui façonneront sa réputation médiatique: Carlos, bien sûr, mais également des membres d’Action directe impliqués dans l'assassinat de Georges Besse ou des cellules communistes révolutionnaires belges. Désormais, son nom est indissociablement lié à la défense de Youssouf Fofana, le chef du gang des barbares, de Kemi Seba, le fondateur de Tribu Ka, d’Alain Solé, un nationaliste breton ou encore du négationniste Roger Garaudy.

Isabelle Coutant-Peyre qui ne se revendique ni de droite ni de gauche, se veut un «avocat qui s’occupe du politique»:

«Je ne suis pas une militante, mais j’ai mes points de vue sur la société. J’ai toujours défendu des militants radicaux car je considère que l’on est dans une démocratie artificielle: il y a une censure sur l’opposition. Lorsqu’elle est non institutionnelle, elle est criminalisée.»

Juste après avoir prêté serment, en 1979, la jeune avocate rencontre Jacques Vergès, à l’occasion de la faillite d’un journal africain. Elle devient peu après son associée. Ensemble, ils assurent notamment la défense de Magdalena Kopp, première épouse de Carlos.

Un divorce et un mariage

Mais la relation avec Jacques Vergès se dégrade à la suite d'une série de malentendus. Ils se séparent en 1984. «Des gens qui ont été ses clients sont devenus les miens, mais ce n’est pas moi qui ait été les chercher», explique-t-elle. Parmi eux, Roger Garaudy ou Charles Sobhraj dit «Le serpent», un tueur en série français actuellement emprisonné dans les geôles népalaises.

Son mentor aurait-il inspiré Me Coutant-Peyre jusque dans sa vie personnelle? Jacques Vergès épousa en 1965 Djamila Bouhired, l’une de ses clientes. Isabelle Coutant-Peyre choisit Carlos. En 2001, elle l’épouse selon le rite musulman. Si le terroriste est converti à l’islam depuis 1975, l’engagement d’Isabelle Coutant-Peyre, élevée dans une famille catholique et bourgeoise, a de quoi surprendre.

Le mariage, décrit comme celui de la femme rangée séduite par l’ennemi public n°1, connait évidemment un fort retentissement. Trois ans plus tard, alors que le tapage se dissipe, naît un livre, sobrement intitulé Epouser Carlos. L’auteur est indirectement Me Coutant-Peyre puisqu’elle s’exprime à travers la plume de l’écrivain Joseph Vebret.

L’ouvrage retrace la genèse de leur idylle baignée d’eau de rose. En guise de bonus, quelques lettres rédigées par le terroriste, poète au fond du cachot, dont celle-ci écrite le 10 décembre 2001:

«Je t’aime d’un amour fou exagéré, effréné. Amour rationnel, responsable, le je sacrifié au nous (…) »

Aujourd’hui, Isabelle Coutant-Peyre, nettement plus pudique, renie ce livre qu’elle dit détester. «J’ai fait ça pour le fric.» De même, elle balaie d’un mot cette union, simple «stratégie», apparemment sans lendemain. Difficile de percevoir quelles furent ses motivations, il y a dix ans de cela: attirer l’attention des médias? Divertir Carlos du quotidien de la prison? Amour ou faux semblants, elle refuse en tout cas d’en dire plus sur son «for intérieur». «Ça a perturbé énormément de gens, c’est en cela que Carlos est assez fort. C’est extrêmement drôle, je me suis bien marrée.» Désormais, elle insiste, elle n’est «rien d’autre que son avocat». Mais nul doute que Carlos restera le client de sa vie.

Julie Brafman

cover
-
/
cover

Liste de lecture