France

Mesdames, vous travaillez gratuitement depuis le 23 octobre

Après la question des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grands groupes, le débat se déplace, lentement, sur le terrain des disparités de salaires.

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L’égalité des salaires hommes-femmes trouve soudain sa place dans l’actualité politique. Martine Aubry en avait fait une des mesures phares de son programme –et le désormais candidat PS à la présidence de la République, François Hollande, devrait logiquement la reprendre à son compte.

Au même moment, la commissaire européenne Viviane Reding (en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté) agite à nouveau la menace de quotas pour les femmes que Bruxelles imposerait au sein des conseils d’administration et des comités de direction des grands groupes cotés. «Je suis prête à légiférer si les entreprises n’accélèrent pas le pas», a-t-elle lancé de mauvaise humeur, lors de son passage le 14 octobre au Women’s Forum à Deauville.

Un regain de féminisme? Pas vraiment. Désuet ou trop provocateur dans les entreprises ou les partis politiques, le mot est passé à la trappe.

En se déplaçant sur le terrain –des droits civiques aux droits dans l’entreprise–, les revendications des femmes empruntent désormais, sous des vocables divers (parité, diversité, mixité, égalité salariale) au lexique syndical et notamment sur la grande question des quotas.

Ainsi armées de leur glossaire tout neuf, les femmes ont enterré la hache de guerre (des sexes) et sont entrées, timidement, en négociations. Du moins jusqu’à l’irruption du politique dans le débat qui risque d'accélérer le tempo. Et c'est une bonne nouvelle, car l'Europe avance doucement sur le sujet, et la France n'échappe pas à la règle.

Un arsenal juridique, très peu appliqué

La campagne présidentielle imposera peut-être l'idée d'une loi (une de plus!) en faveur de l'égalité salariale dans l'entreprise, assortie de sanctions. Le PS épousant le mot d'ordre de Martine Aubry devrait ainsi pousser la droite sur ce terrain miné.

La France a déjà en effet un arsenal juridique exceptionnel, très peu appliqué. Plusieurs lois depuis 1946 –dont la loi «Roudy» en 1983, et la dernière en date en 2006–, ont tenté de corriger, sans succès, l'écart des salaires entre les hommes et les femmes.

La loi de 2006 présentée par l'ancien ministre de Travail, Xavier Bertrand, obligeait les entreprises à négocier sur l'égalité salariale avant fin 2009. Trois plus tard, seulement 5% des entreprises de plus de 300 salariés avaient réellement engagé des négociations avec les syndicats sur l’égalité avant la date butoir. C’est dire si le sujet mobilise peu.

Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) remis au ministre du Travail en juillet 2009 estimait que la rémunération brute totale moyenne des femmes en France était encore de 27% inférieure à celle des hommes (à travail égal).

Peu lisible ou peu contraignant, le millefeuille législatif n'a pas fait progresser sur le sujet. Nullement découragé, le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle proposait en mai dernier une nouvelle parade: un décret précisant les modalités de pénalité pour les entreprises ne respectant pas l'égalité salariale.

On en est là. Nul doute que la campagne présidentielle, à gauche comme à droite, vienne titiller ce vieux serpent de mer.

Le fossé des rémunérations

Pour le moment, le ton fleure bon l'argument électoraliste et n’atteint pas encore la férocité et l’impatience manifestées par les féministes outre-Manche. «Et si votre patron vous proposait de travailler gratuitement à partir du 4 novembre jusqu’en 2012?» titre violemment le magazine RED de novembre, à l’adresse des hommes britanniques, après avoir lu le douloureux constat du très sérieux Chartered Mangement Institute (CMI), l’équivalent de l’Institut français des administrateurs.

Le CMI estime en effet à près de 2 mois de salaires la différence de traitement entre les hommes et les femmes, au détriment bien sûr de ce dernières: elles toucheraient 11,6% de moins dans le secteur public et le double —20,8% de moins– dans le privé, à compétences et poste égaux.

Dans les postes à responsabilités, le fossé se creuse encore, à 24,8%, même en intégrant les plus jeunes femmes de l’exécutif, un peu mieux payées que leurs aînées. En France, le dernier rapport de l'observatoire des inégalités (2009), reprenant les chiffres de l'Igas, note que les femmes gagnent 27% de moins que les hommes (en moyenne nationale), et notamment à cause des différences de temps de travail.

Les femmes sont cinq fois plus souvent en temps partiel que les hommes: leur revenu tous temps de travail confondus est logiquement inférieur à celui des hommes. Ainsi, en comparant des salariés à temps complet, les femmes perçoivent encore 19% de moins.

[D’où le calcul qui nous a servi de titre:

(100-19)x365/100 = 296 jours, soit le 23 octobre]

Si l’on tient compte des différences de poste (cadre, employé, ouvrier), d’expérience, de qualification (niveau de diplôme) et de secteur d’activité (éducation ou finance) environ 10% de l’écart demeure inexpliqué. Pas de quoi pavoiser.

Au rythme très tranquille d’auto-régulation de l’entreprise, le CMI britannique a calculé qu’il faudrait, pour corriger l’erreur, quatre-vingt dix-huit ans avant que les salaires des femmes ne rattrapent le niveau de leurs collègues masculins.

En pleine crise économique et financière, les prétextes ne manqueront sûrement pas pour temporiser encore. Et c'est là que le volontarisme politique peut faire la différence. Il l'a déjà prouvé, notamment sur la question des quotas de femmes dans les conseils d'administration des groupes, là où se jouent les décisions sur la stratégie et les investissements.  

Sans un effort législatif, le «lady boom» dans la hiérarchie du pouvoir traînerait encore. L'effet domino vertueux a pour une fois, joué partout en Europe. En Norvège, qui a ouvert le bal, les femmes sont aujourd’hui à 41% dans les grands conseils des groupes, puis l’Espagne a voté une loi en 2007, plaçant la barre à 40% d’administratrices dans les sociétés cotées, d’ici 2015. La France a emboîté le pas.

Dès 2008, le gouvernement de François Fillon en a fait l’expérience: il lui a suffi de menacer les entreprises du CAC 40 de leur imposer des quotas, sur le modèle de la Norvège, pour qu’elles se mettent aussitôt en chasse d'administratrices potentielles: en 2 ans, un tiers des groupes du CAC a ainsi atteint les 20% de femmes siégeant aux conseils d’administrations (contre 10% en moyenne en 2009).

Votée en janvier 2011, la loi impose désormais 40% de femmes au sein des conseils des groupes de plus de 500 salariés, d’ici 2017, avec un premier palier de 20% en 2014 (contre 9% seulement en 2009). Un gigantesque bond en avant.

Malgré ce faible score, les femmes elles-mêmes restent partagées sur la question, refusant de devoir aux quotas, et non à leurs seules compétences, cette «promotion» au sein des conseils.

«Un conseil ouvert à la mixité est plus performant et plus réactif qu’un conseil uniquement composé d’hommes», indique Susan Vinnicombe de l’université Canfield, dans un rapport qu’elle a remis au gouvernement britannique sur le sujet –le «Davies Review» [PDF] du nom de son promoteur, Lord Davies– mais elle plaide vigoureusement pour des critères transparents de choix des futures administratrices sur le «mérite».

Contrairement à l’Espagne et aux pays scandinaves, la Grande-Bretagne reste en effet à la traîne, note le Davies Review: les 100 premières entreprises cotées ont seulement 14,2% des femmes dans leurs conseils d’administration. Mais c’est l’Allemagne d’Angela Merkel, qui fait étonnamment figure de lanterne rouge: les 200 plus grandes sociétés du pays se limitent à 10% de femmes dans les conseils et… à 2,5% dans les comités de direction selon une étude menée par la Goethe Université (J.Redenius –Hoverman). De quoi provoquer en effet, la colère et l’activisme de Viviane Reding à Bruxelles. «J'ai les moyens d'imposer des quotas en Europe et j'en userai», a-t-elle promis tout récemment. Le rendez-vous est noté!

Martine Esquirou

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