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L'hypothèse d'une attaque de l'Iran par Israël resurgit

Si l'Etat hébreu entend empêcher l'Iran qui le menace de destruction de se doter d'armes nucléaires, il n'a plus vraiment le temps ni le choix.

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Des indiscrétions publiées en première page du quotidien «Yediot Aharonot» prétendent que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre de la défense Ehud Barak se sont mis d'accord pour attaquer les installations nucléaires iraniennes, contre l'avis des services de renseignements militaires et civils. Le quotidien Haaretz confirme qu’ils tentent de lever l'opposition d'une majorité de ministres contre une attaque visant les installations nucléaires iraniennes. A la suite de ces rumeurs, la chef de l'opposition, Tsipi Livni, a appelé le premier ministre à «écouter les chefs des services de sécurité concernant le dossier iranien».

Les États-Unis envisagent, selon le New York Times, de renforcer leur présence militaire dans la région du Golfe persique et pourraient également envoyer des navires supplémentaires dans les eaux du Golfe.

Le risque d’une action militaire est à prendre d'autant plus sérieusement que la Russie a décidé de renforcer la défense de l’Iran contre les avions ou les missiles. D'autant plus que la première centrale nucléaire iranienne, construite par la Russie à Bushehr, devrait entrer en service au début de l’année 2012. Cette déclaration a été faite par Mohammad Ahmadian, responsable des centrales nucléaires au sein de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA), lors d'une cérémonie marquant la montée de Bushehr à 40% de sa puissance: «Nous prévoyons de pouvoir connecter la centrale avec toute sa puissance au réseau électrique d'ici mars 2012».

Difficultés techniques

Le report de mois en mois de la mise en service du fleuron des usines nucléaires iraniennes prouvait les difficultés techniques du programme et confortait Israël dans sa conviction que le danger n’était pas encore immédiat. Il semble cependant que la donne vient de changer.

Israël avait déjà prévu d’attaquer les installations nucléaires à la fin de l'année 2010 mais les États-Unis l’ont empêché. Nos articles sur Slate avaient fait état des pressions qu’Israël maintenait sur Barack Obama pour le persuader de la nécessité d’une frappe préventive contre les installations nucléaires de Téhéran. WikiLeaks avait confirmé nos affirmations.

Les dirigeants israéliens, usant d’analyses fluctuantes, ont donné le sentiment de ne pas avoir de stratégie précise. Ils semblent vouloir brouiller les pistes sur leurs intentions réelles à l’égard de l’Iran. L’ancien chef du Mossad Meir Dagan avait en effet tempéré la situation en précisant que l’Iran n’aurait pas de capacité nucléaire militaire avant 2015.

Ces atermoiements ont été justifiés par les dysfonctionnements intervenus dans les centrales nucléaires sous l’effet du virus informatique Stuxnet. Les experts sont maintenant convaincus que ce virus avait été conçu pour s'attaquer aux centrifugeuses de Natanz utilisées pour enrichir l'uranium. Contrairement aux virus de type «familiaux», Stuxnet avait été élaboré «sur mesure» pour s’attaquer spécifiquement aux sites nucléaires iraniens. Il était chargé de saboter exclusivement les alimentations électroniques des centrifugeuses nucléaires. Le virus a ainsi agit comme une arme de destruction, nouvelle génération.

Parallèlement à cette attaque cybernétique, une guerre totale des services secrets avait été engagée entre l'Iran et Israël. Des savants iraniens ont été assassinés, retardant d'autant la réalisation du programme iranien. Le virus Stuxnet et les assassinats de scientifiques ont suffisamment retardé le programme nucléaire pour qu'Israël renonce presque officiellement à une attaque risquée et incertaine.

Nouvelle donne de l’AIEA

Toutefois l’AIEA (Agence internationale à l’énergie atomique) de l’ONU pointe, dans son rapport du 2 septembre qui sera publié le 8 novembre, sa préoccupation croissante «sur l'existence possible en Iran d’activités nucléaires non divulguées, liées au nucléaire militaire, y compris les activités de développement d'une charge nucléaire pour un missile». Le rapport montre que la production par l'Iran d’uranium faiblement enrichi (UFE) et d’uranium enrichi à 20% a continué sans relâche. Les iraniens ont augmenté leur stock d’UFE de 438 kg pour le porter à un total de 4.543 kg tandis que la production totale d’uranium enrichi à 20% a atteint 70,8 kg. L’Agence s’estime actuellement «incapable de fournir des assurances crédibles garantissant que toutes les matières nucléaires en Iran sont destinées à des activités pacifiques».

Fereydoun Abbas, chef de l'agence iranienne de l'énergie atomique, a confirmé le 29 août, l'accélération de son programme nucléaire militaire et les préparatifs contre une éventuelle attaque sur ses installations. Selon lui, la production de combustible nucléaire a déjà largement dépassé ses besoins. Les sources militaires israéliennes précisent que Téhéran est en mesure de passer de l’uranium enrichi à 20% à de l’uranium enrichi à 60%, dernière étape avant l’uranium à 90% utilisable pour les armes nucléaires. Le stock évalué par l’Agence à 4.543 kg d’uranium faiblement enrichi suffit à construire quatre armes nucléaires après enrichissement.

Fereydoun Abbas considère caduque la proposition des occidentaux de 2009 tendant à fournir à l'Iran du combustible en faible quantité pour son réacteur de recherche en échange d'un arrêt de la propre production iranienne: «Nous ne négocierons plus d’échange de combustible ni l'arrêt de notre production» a-t-il affirmé.

Nouvelle usine à Qom

Le chef l'agence atomique iranienne a révélé le transfert imminent de ses installations d'enrichissement de Natanz vers un lieu fortifié souterrain, à proximité de la ville sainte de Qom, pour les mettre à l’abri d’attaques de missiles et  cybernétiques. Il a clairement prévenu que l’Iran n’autoriserait pas la visite par les instances internationales de cette nouvelle installation qui a reçu de nouvelles centrifugeuses plus avancées, IR-4 et IR-2m, en remplacement de celles détruites par le virus, afin d’accélérer la production d'uranium hautement enrichi.

Les sources de renseignement occidentales estiment à présent que les progrès réalisés par l’Iran permettront au printemps 2012 l'achèvement potentiel de deux à quatre bombes avec une capacité réelle d’effectuer un essai nucléaire. A la Maison Blanche, Tommy Vietor, porte-parole du Conseil national de sécurité, a déclaré que le projet iranien  visant à «installer et faire fonctionner les centrifugeuses à Qom est une violation de leurs obligations vis-à-vis des Nations Unies et un nouvel acte de provocation». La France a, de son côté, adopté une attitude ferme puisque Nicolas Sarkozy a confirmé le 31 août que «les tentatives de l'Iran de construire des missiles à longue portée et des armes nucléaires pourraient conduire les pays occidentaux à lancer une attaque préventive».

Urgence stratégique

 Les dirigeants israéliens laissent croire qu’ils attendent la mise à l'écart programmée du président Ahmadinejad. Mais les russes ne croient pas à un renoncement israélien. Moscou a annoncé, le 25 octobre, la vente à l'Iran de systèmes mobiles de radars très avancés, Avtobaza, montés sur camion et capables de brouiller les instruments électroniques de guidage des missiles d'attaque. Ce brouilleur de radar fait partie de l’arsenal militaire russe le plus sophistiqué pour signaler l’approche des avions de chasse et des missiles. Il est capable de détecter simultanément et électroniquement 60 cibles dans un rayon de 150 kilomètres à 360 degrés, avec une alerte de l’ordre de vingt minutes.

Le transfert des usines nucléaires, l’installation en cours du système Avtobaza et l’opportunité des délais de formation des servants des batteries pourraient avoir incité les dirigeants israéliens à anticiper leur intervention contre l’Iran. Les israéliens craignent que le nouveau matériel préfigure la livraison à l’Iran de la totalité du système russe de renseignement électronique ELINT  qui lui permettrait d’identifier et de réagir à tout mouvement aérien, non seulement au-dessus de son territoire, mais dans la globalité du Golfe Persique et de la Mer Caspienne. Tsahal aurait alors plus de difficultés à intervenir.

L’annonce de la transaction a été faite à un haut niveau politique, par Konstantin Biryulin, directeur adjoint du Service fédéral de coopération militaro-technique de la Russie (FSMTC), et non par les responsables commerciaux habituels. Il a confirmé que «nous négocions la fourniture de moyens pour assurer la sécurité de l'Iran» car le Kremlin estime que les ventes d’armes à l’Iran constituent une question stratégique du ressort du gouvernement. Mais le message aux occidentaux reste clair: la Russie ne restera pas les bras croisés, comme au moment de l’intervention de l’OTAN contre la Libye. Elle ne tolèrera aucune action contre la Syrie ou l’Iran dont elle assure ouvertement la protection.

Test balistique israélien 

Israël ne se sent pas concerné par cette mise en garde. En revanche, il laisse filtrer des informations stratégiques. Il a testé, le 2 novembre dans la base de Palmachim, un nouveau missile balistique intercontinental capable de transporter une ogive nucléaire. Il s’agirait d’un dérivé du Jéricho-3 à combustible solide dont la portée est estimée de 4.800 à 6.500 km, suffisamment pour atteindre l’Iran. Il ne servirait pas à une attaque contre les usines nucléaires mais serait une dissuasion pour toute velléité des iraniens d’atteindre des cibles civiles en Israël. En revanche, les experts militaires considèrent qu’une quarantaine de missiles à ogives conventionnelles est capable de détruire les trois sites de Natanz, Ispahan et Arak. Les israéliens disposent en effet depuis fin septembre de bombes GBU-28 capables d’atteindre en profondeur les bunkers enfouis dans des grottes naturelles.

L’annonce israélienne de cet essai balistique entre dans la nouvelle stratégie du gouvernement d’avouer ouvertement l’existence d’un programme nucléaire militaire alors que jusqu’à présent les dirigeants laissaient planer le doute et l’ambiguïté. Ils sont  amenés à lever le voile devant les informations concordantes des services de renseignements faisant état d’un prochain test balistique iranien avec ogive nucléaire.

Par ailleurs, l’annonce que la Syrie a reconstruit un site nucléaire, pour remplacer le réacteur bombardé en 2007 par Israël, confirme que l’Iran n’a pas abandonné sa volonté d’équiper en armes nucléaires les ennemis d’Israël. La proximité d’un site nucléaire aux frontières d’Israël constitue un casus belli. Le test balistique israélien avec ogive nucléaire et la libération de la censure militaire sur les affaires nucléaires israéliennes pencheraient pour une volonté de mettre en garde les pays occidentaux sur la montée des périls et sur le fait qu'Israël ne restera pas longtemps sans agir pour sa survie.

La comédie, qui se joue en Israël entre les partisans d’une attaque, les politiques, et ceux qui prônent la patience, les militaires, tend à masquer les intentions réelles d’Israël et à mobiliser en permanence les iraniens dans une guerre des nerfs dont l’issue reste improbable.

Jacques Benillouche

 

 

 

 

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